Près d'un an après l'adoption des nouveaux objectifs de développement durable (ODD), ce colloque est opportun. Mon équipe est chargée d'animer le réseau du Comité d'aide au développement (CAD) sur l'égalité entre les femmes et les hommes, connu sous le nom de GENDER-NET. Il rassemble les experts en genre des ministères des affaires étrangères et des agences de développement des 29 États membres du CAD ainsi que des représentants des agences des Nations unies, de la Banque mondiale et des banques régionales de développement.
Nos priorités de travail suivent trois axes. En premier lieu, l'OCDE favorise la coordination des donateurs sur les questions d'égalité hommes-femmes en amont des négociations internationales relatives au développement. L'OCDE a notamment été très active dans le plaidoyer en faveur de l'adoption d'un objectif spécifique sur l'égalité homme-femme et de l'intégration transversale du genre dans le programme d'action d'Addis-Abeba sur le financement du développement.
D'autre part, le conseil d'administration de l'OCDE assure le suivi de l'aide publique au développement consacrée au genre afin d'assurer la transparence et la redevabilité des engagements. L'OCDE publie chaque année des données sur l'aide en faveur de l'égalité hommes-femmes par donateur. Les pays membres du CAD sont tenus d'examiner leurs programmes de développement à l'aide du marqueur genre du CAD, ce qui permet de suivre l'évolution des ressources allouées à l'égalité hommes-femmes.
Enfin, l'OCDE soutient l'intégration du genre dans les politiques et programmes de développement des donateurs du CAD en fournissant une expertise technique, en favorisant le dialogue au sein de la communauté des bailleurs de fonds et en promouvant des partenariats inclusifs en faveur de l'égalité homme-femme.
Quel bilan dresser de la politique de coopération internationale française en matière de genre ?
Lors de la revue à mi-parcours de l'aide française en 2015, le CAD de l'OCDE a salué les progrès réalisés par la France en faveur d'une intégration transversale du genre dans sa politique de développement. Ces efforts se traduisent notamment par l'ancrage désormais solide de la promotion de l'égalité hommes-femmes dans les institutions françaises chargées de la coopération et de l'aide au développement. Cet engagement s'est traduit par la stratégie « Genre et développement » du ministère des Affaires étrangères et du Développement international ainsi que le cadre d'intervention transversal sur le genre pour l'Agence française de développement, par la formation d'agents de la coopération française aux questions de genre et la nomination de correspondants « genre » dans les ambassades – autant d'avancées qui vont dans le sens des recommandations qui avaient été formulées par le CAD de l'OCDE.
La France continue de jouer un rôle clé en faveur de la promotion des droits des femmes dans les enceintes multilatérales, notamment sur des questions politiquement difficiles telles que les droits sexuels et reproductifs ou la lutte contre les violences fondées sur le genre. Ce soutien est particulièrement précieux dans un contexte de montée des conservatismes tel que les droits des femmes doivent constamment être réaffirmés et consolidés. Si les cibles retenues dans l'Agenda 2030 sur l'accès aux droits et à la santé sexuelle et reproductive – dans les ODD 3 et 5 – ont pu être préservées, c'est notamment grâce au refus de certains gouvernements, dont celui de la France, d'accepter la moindre concession sur l'égalité des sexes et à la détermination sans faille de la société civile.
Enfin, la France a un rôle moteur pour certains thèmes clés tels que les femmes et la lutte contre le changement climatique. Présidente de la COP 21, la France a plaidé en faveur d'une meilleure prise en compte des femmes dans la lutte contre le changement climatique. L'OCDE a soutenu la présidence française dans ces efforts en organisant des événements de haut niveau lors de la COP 21 et lors de la CSW 60 en mars 2016. Une de ses priorités sera désormais de maintenir ce niveau d'ambition en vue de la COP 22 de Marrakech, où les États parties seront invités à renouveler le programme d'action de Lima sur le genre et le changement climatique.
La France doit cependant ajuster les moyens alloués à l'égalité hommes-femmes à son ambition stratégique et politique. En effet, les données du CAD de l'OCDE montrent que l'aide publique au développement (APD) française est en constante diminution depuis 2010, en volume et par rapport à son revenu national brut. Les données prévisionnelles pour 2015 indiquent un volume total de 9,23 milliards de dollars au titre de l'APD – soit 0,37 % de son revenu national brut. La France n'a pas de calendrier pour atteindre l'objectif de 0,7 % du revenu national brut (RNB). Elle s'est cependant engagée sur le plan européen et à la Conférence d'Addis-Abeba à atteindre collectivement cet objectif dans l'horizon temporel de l'Agenda 2030.
Par ailleurs, les ressources mises à disposition en faveur de l'égalité femmes-hommes sont faibles. Seulement 15 % de l'APD bilatérale française – soit 953 millions de dollars – ciblait l'égalité homme-femme en 2014, contre 32 % en moyenne pour l'ensemble des membres du CAD, en dépit de l'engagement pris par le ministère des Affaires étrangères dans sa stratégie « Genre et développement » de consacrer 50 % de ses projets ou programmes à des projets ciblant le genre d'ici à 2017.
L'Agenda 2030 offre une occasion d'ajuster les moyens à la hauteur des ambitions pour achever les objectifs de développement durable. Quelles priorités pour la France et les donateurs du CAD dans ce cadre ?
Plusieurs priorités se dégagent afin de traduire les ODD en progrès concrets en matière d'égalité femmes-hommes. Je citerai en premier lieu l'articulation entre engagements globaux et mise en oeuvre au niveau national. L'Agenda 2030 change la donne en raison du caractère universel des ODD, qui traduit l'abandon progressif du paradigme Nord-Sud. Ce changement de paradigme est particulièrement pertinent dans le domaine de l'égalité hommes-femmes puisque aucun pays à l'échelle mondiale n'a atteint la parité à tous les niveaux. Il reste cependant beaucoup de chemin à faire pour saisir pleinement l'impact de cette universalité dans les pays de l'OCDE qui devront également rendre compte des progrès accomplis dans la concrétisation des ODD au niveau national.
Je souligne que la France fait partie des 22 pays qui se sont portés volontaires pour passer en revue en 2016 la mise en oeuvre de l'Agenda 2030. Un document d'étape doit être présenté au forum politique de haut niveau la semaine prochaine, à New York, et un rapport est en cours d'élaboration à ce sujet.
Le deuxième objectif clé sera de combler les déficits de financement dans certains secteurs prioritaires. Un des secteurs où les investissements manquent le plus cruellement est celui de l'autonomisation économique des femmes. Un de nos récents rapports révèle que l'APD reste particulièrement faible dans ce domaine et n'a que très peu augmenté depuis 2007.
En 2013-2014, moins d'un quart de l'aide aux secteurs économiques et productifs prenait en compte l'égalité hommes-femmes et seulement 2 % de l'aide totale à ces secteurs a bénéficié à des programmes destinés à l'autonomisation économique des femmes. Pourtant, l'égal accès des femmes à un travail décent leur offre une série d'opportunités émancipatrices : une chance de sortir de leur foyer, de développer leurs compétences et leur confiance en elles, de repousser l'âge du mariage et d'élargir leurs horizons et leurs aspirations. L'autonomisation économique des femmes est également un puissant vecteur de développement et jouera un rôle déterminant dans la réalisation de tout l'Agenda 2030.
Autre priorité, l'appui à l'égalité femmes-hommes dans les États fragiles, en crise ou en sortie de crise. Grâce à l'impulsion politique donnée par la résolution 1325 du Conseil de sécurité, l'aide en faveur de l'égalité des sexes dans les États fragiles a plus que triplé en dix ans, passant de 2,4 milliards de dollars en 2002 à 8 milliards de dollars en 2012. Cependant, ce soutien est très variable : huit États fragiles reçoivent à eux seuls plus de 50 % de l'APD « genre » dans les États fragiles. L'insuffisance et l'imprévisibilité des financements révèlent également le manque d'engagement des donateurs sur le long terme, ce qui affecte l'efficacité des interventions.
L'OCDE soutient la mise en oeuvre de l'agenda « femmes, paix et sécurité ». Nous conduisons actuellement un projet de recherche dans quatre États fragiles – la République démocratique du Congo, l'Éthiopie, le Bangladesh et le Népal. Ils visent à évaluer les programmes de développement des donateurs en matière de genre et la manière dont ils intègrent les liens entre fragilité, conflit et égalité hommes-femmes. Un rapport à ce sujet sera présenté à l'OCDE, à Paris, probablement en novembre 2016. Il comportera des recommandations précises aux donateurs, visant à soutenir leur engagement en faveur du genre dans les États fragiles et en conflit.
Une des priorités nous semble devoir être de promouvoir une approche coordonnée de tous les partenaires du développement afin de mobiliser toutes les sources de financements possibles en faveur de l'égalité hommes-femmes, pour inverser la tendance à la baisse de l'aide publique au développement apparente en France comme dans la plupart de pays membres du CAD, et pour améliorer l'intégration du genre dans tous les projets et les programmes. Il faut aussi renforcer la mobilisation de ressources domestiques dans les pays partenaires à l'appui de l'égalité femmes-hommes ; appuyer la société civile et les organisations de femmes au niveau local en soutenant leurs activités à travers des financements flexibles et de long terme ; mobiliser le secteur privé en s'assurant que cette contribution soit fondée sur des valeurs respectueuses des droits de l'Homme et axées sur le développement économique, social et environnemental.
Pour conclure, l'Agenda 2030 offre la possibilité historique de réaliser l'égalité femmes-hommes, d'éliminer les barrières structurelles des inégalités de genre et de promouvoir un développement inclusif au bénéfice de tous d'ici à 2030.
La réalisation de ces objectifs requiert cependant des moyens de mise en oeuvre sans précédent à la hauteur des ambitions, ainsi que des politiques innovantes. L'OCDE continuera de se mobiliser pour appuyer ses membres, dont la France, dans la mise en oeuvre des ODD.