L'enjeu est la mise en oeuvre de l'agenda global de transformation, qui dépend elle-même de la réalisation de l'égalité entre les femmes et les hommes, question transversale.
On vient de négocier les indicateurs de suivi déterminants pour mesurer les progrès réalisés dans l'application de l'Agenda 2030 et de cet objectif spécifique. Dans ce cadre, il ne faut pas perdre de vue les engagements souscrits dans le programme d'action d'Addis-Abeba. En faisant de l'égalité entre les femmes et les hommes un critère prioritaire pour les investissements, ce texte a énoncé un message politique très fort – il reste à l'appliquer !
Mme Shanti Bobin a cité le paragraphe 41 de ce document d'une importance primordiale pour la réalisation de l'Agenda 2030 : il appelle à des financements supplémentaires dans des secteurs où l'égalité entre les femmes et les hommes est loin d'être acquise. J'y insiste : aucun des engagements souscrits par les États en cette matière n'aurait été possible sans l'implication constante des associations de femmes et de la société civile, dont le rôle a été déterminant.
Les engagements pris plaident en faveur d'un changement de nature et d'échelle des financements consacrés à la réalisation de l'égalité entre les femmes et les hommes. Le système actuel ne permet pas de résoudre les problèmes structurels qui continuent d'avoir un impact néfaste à long terme pour les femmes et les filles.
Aussi Mme Phumzile Mlambo-Ngcuka, directrice exécutive d'ONU Femmes, en a-t-elle appelé aux États pour que, dans le cadre de la réalisation de l'Agenda 2030, ils transforment l'architecture financière mondiale. Elle a convoqué à cette fin un sommet mondial. À cette occasion, pour la première fois dans l'histoire des Nations Unies, 90 chefs d'État et de gouvernement se sont engagés à prendre des mesures concrètes en faveur de l'égalité entre les hommes et les femmes. Au-delà des indispensables marqueurs ad hoc de l'OCDE, cela suppose l'analyse qualitative et quantitative des résultats de l'aide publique au développement et l'association des acteurs de la société civile à l'action menée ; il faut financer cette implication par des financements spécifiques sans lesquels rien ne sera possible.
Le développement inclusif coûte cher. Or l'autonomisation des femmes souffre depuis des décennies d'une pénurie chronique d'investissements ; cela a entravé l'avancement de leurs droits et de l'égalité entre les sexes. Les chiffres cités étonnent parfois, car ils ne concordent pas avec les nôtres, qui sont accablants. Ainsi, 2 % seulement de l'aide publique au développement sont consacrés à l'autonomisation économique des femmes dans le secteur productif – une proportion vraiment très faible. D'autre part, selon les chiffres d'ONU Femmes, 5 % en tout de l'aide publique au développement serait consacrée à l'égalité entre les femmes et les hommes dans le monde. Je suis donc un peu surprise d'entendre Mme Bobin dire que 90 % des projets analysés par le ministère français des Finances et des Comptes publics respectent le marqueur « genre » ; peut-être s'agit-il d'un problème de compréhension.
Quoi qu'il en soit, nous sommes très en deçà des milliards de dollars alloués à l'éducation et à la lutte contre le VIH-sida : ce sont 300 millions de dollars par an que l'on consacre à l'égalité entre les femmes et les hommes… soit 100 fois moins ! Les montants n'ont rien de commun, alors qu'il s'agit aussi d'une priorité sectorielle et transversale. Pour que l'Agenda 2030, dont 11 des 17 objectifs doivent prendre en compte la dimension « genre », se traduise en pratique, des financements d'un niveau sans précédent doivent être mobilisés. La budgétisation sexo-spécifique est une piste intéressante, mais les données dont nous disposons montrent que très peu de pays ont avancé dans ce domaine. Les résultats sont assez décevants et le chantier reste ouvert puisque certains plans d'action nationaux montrent un défaut de financement de 90 % au regard des objectifs fixés.
Je partage l'opinion que l'Agenda 2030 représente une occasion unique. Global et universel, il peut, selon les mots de notre directrice exécutive, avoir un effet accélérateur majeur sur l'amélioration de la condition des femmes et des filles, et permettre d'atteindre en quinze ans, et non en quatre-vingts, les objectifs que nous nous sommes fixés. Pour cela, l'Agenda doit être transformatif. On ne peut consacrer des milliards de dollars à des secteurs tels que celui de l'éducation en pensant que l'intégration de la dimension « genre » se fera spontanément. Aussi, ONU Femmes, qui pilotera l'ODD 5 pour les Nations Unies, appelle les États à réaliser la collecte des données sexo-spécifiques prévues par l'Agenda 2030 pour 50 des 230 indicateurs. C'est le seul moyen de mesurer, et de progresser.
Vous l'aurez compris, le bilan est en demi-teinte.