En réalité, comme je l'ai rappelé tout à l'heure, la France n'était pas en retard dans les années soixante-dix. Par la suite, il y a eu des blocages institutionnels et politiques, en effet. Quelles en sont les raisons ? Selon moi, il faut évoquer la rigidité du système universitaire français qui reste jacobin, car même si l'on nous parle aujourd'hui de l'autonomie des universités, les formations dispensées dépendent des politiques nationales. Il y a eu des aléas et, en même temps, les études de genre sont vraiment en voie d'institutionnalisation. À Toulouse, une équipe indépendante a certes dû intégrer un nouveau laboratoire mais à l'université Diderot, c'est l'inverse. Néanmoins, nous avons été confrontés à des difficultés concernant les nomenclatures ministérielles, avec la volonté de simplifier les diplômes, dans la mesure où les études de genre ne figuraient pas dans ces nomenclatures et nous avons dû nous mobiliser.
Le système est aussi très disciplinaire car depuis la fin du XIXe siècle, l'université française est orientée vers la formation des enseignants du secondaire, en favorisant les disciplines traditionnelles. Il y a donc des freins institutionnels multiples au développement des études de genre, et plus largement de l'interdisciplinarité, en lien avec la question de la définition de l'autonomie scientifique de la recherche et de la formation en France, dans un système qui reste largement jacobin, avec une dépendance qui subsiste par rapport aux tutelles.
Une deuxième raison réside selon moi dans la prévalence de l'idéologie républicaine universaliste où les études de genre peuvent apparaître comme une menace pour l'universalisme à la française et comme le triomphe intellectuel et politique du particularisme et du communautarisme. Or les études de genre relèvent pour nous de plein droit d'une anthropologie générale, dans la mesure où les rapports de sexe et les représentations dans ce domaine relèvent de l'expérience intime et politique de chaque citoyen, et concernent différents champs de savoirs.