Intervention de Jean-Yves le Drian

Réunion du 5 juillet 2016 à 18h30
Commission de la défense nationale et des forces armées

Jean-Yves le Drian, ministre de la Défense :

Je répondrai d'abord à M. Le Bris à propos des munitions. Il n'y a aucune inquiétude à avoir en la matière, nous avons ce qu'il nous faut et reformons nos stocks. Les moyens financiers sont le seul point délicat car seule une partie, le flux, est compensée par le dispositif de financement des OPEX, les stocks de base devant être reconstitués et rehaussés par ailleurs. Mais je parviens à mobiliser les moyens pour financer les approvisionnements que nous effectuons auprès de plusieurs pays.

Concernant le sommet de l'OTAN, si votre question est : « Les attendus de la France relatifs à l'IOC (Initial Operational Capability) sont-ils intégrés ? », la réponse est oui. Il n'y a pas eu de grandes difficultés pour la déclaration finale, les acteurs majeurs souhaitant affirmer leur cohésion par une identité de vues. Nous avons beaucoup contribué à l'élaboration de cette déclaration, notamment sur le point essentiel de la préservation de notre autonomie de décision dans le cadre de l'organisation du C2. Il nous importait également de ne pas laisser entrevoir de quelque manière que ce soit que, d'une part, la défense antimissiles, telle qu'elle était proposée, était en premier lieu tournée vers la Russie et que, d'autre part, elle pouvait se substituer à la dissuasion. Ces points fondamentaux avaient déjà été évoqués au sommet de Lisbonne en 2010, le compromis de Lisbonne ayant servi de base à celui de Chicago en 2012 qui mentionnait cette inflexion et la nécessité d'une vigilance sur ces sujets qui sont à nouveau abordés lors du sommet à venir. Nous avons donc réitéré nos observations en matière de vigilance, qu'il s'agisse du concept, du contrôle politique, de la destination des missiles ou d'un commandement américain sous couvert de l'OTAN. L'IOC en dépend.

Pour répondre à M. Hillmeyer, et sans vouloir faire preuve d'un quelconque mauvais esprit, je vais prendre un exemple concernant les discussions avec l'Allemagne. L'Union européenne a voté au mois de juin l'élargissement de la mission Sophia, après un vote du Conseil de sécurité de l'ONU. À l'heure actuelle, le Bundestag n'a toujours pas pris la décision correspondante, alors qu'elle est acquise et ne fait l'objet d'aucune opposition. Nous ne savons donc pas quels pays se positionnent et aujourd'hui la mission n'est toujours pas actée, bien que l'issue soit certaine. Après le Brexit, nous nous sommes entretenus avec ma collègue allemande qui penche pour la coopération structurée permanente (CSP), inscrite dans le traité de Lisbonne, qui permet une coopération militaire spécifique avec certains États. Les discussions vont se poursuivre sur ce thème mais il me semble illusoire de croire à un « grand soir » de la défense européenne. Il convient de procéder étape par étape en affermissant les différents points, de veiller à éviter tout retour en arrière et de mener des opérations en commun. L'Allemagne devra travailler sur sa capacité de décision et de projection sur des théâtres un peu « chauds ». La présence des Allemands en Afghanistan a été une avancée et ils sont présents aujourd'hui au Mali, dans la MINUSMA, et au Levant. Une réflexion est en cours outre-Rhin. Ma méthode est de mettre sur la table, avec les Allemands si possible, les questions concrètes dès qu'elles se posent.

Les derniers événements nécessitent une relance de la posture de sécurité de l'Union européenne. L'Allemagne y est prête. D'ailleurs la déclaration commune de MM. Jean-Marc Ayrault et Franck-Walter Steinmeier fait état de perspectives opportunes mais, pour utiliser une métaphore issue du football, il s'agit d'une « balle en profondeur » qui devra être reprise.

Pour répondre à M. Vitel, la fragilité du Niger est essentiellement due à son flanc sud et à Boko Haram. Des militaires nigériens ont été tués en grand nombre et les forces nigériennes ont rencontré des difficultés sérieuses. Je me suis entretenu à ce propos à Paris avec le président Mahamadou Issoufou. Il demande une coopération pour régler les difficultés au sud où Boko Haram est très actif, malgré la force multinationale mixte. Après l'attaque de Bosso, nous avons proposé la mise en place d'une capacité d'appui aérien des forces nigériennes contre Boko Haram et un ensemble de soutiens que je vais aller proposer à la fin de l'été pour aider ce pays, qui est en danger et nous a alertés à juste titre.

Je partage vos préoccupations en ce qui concerne la Méditerranée.

À propos de la Russie, les sanctions économiques ne relèvent pas de ma compétence. La position de la France est, je le rappelle, la fermeté car il n'est pas possible d'observer cette montée en puissance et d'accepter l'occupation de la Crimée sans réagir. Il n'est pas possible non plus d'ignorer la crainte des pays baltes, dont celle d'une guerre larvée provoquée de l'intérieur avec le soutien de la Russie comme cela s'est passé en Ukraine. Nous leur devons un soutien en tant que membres de l'Alliance et c'est pour cette raison que la compagnie d'infanterie que nous mettrons en place le sera dans un des pays baltes. La Russie renforce sa présence partout et adopte une posture musclée, comme vous l'avez dit, parfois de façon inacceptable, au moyen de ses sous-marins et ses avions. Nous pensons néanmoins qu'il est essentiel de ne pas rompre le dialogue et sommes sur ce point en harmonie avec l'Allemagne ; mais certains pays sont plus offensifs, et je rappelle que les discussions préparatoires du sommet de Varsovie évoquaient l'installation permanente d'éléments significatifs de l'OTAN le long de la frontière. Cela ne se fera pas bien que certains le souhaitent toujours. Le dialogue doit perdurer et la commission OTAN-Russie se réunira dans la foulée du sommet de Varsovie.

Je répondrai à M. Candelier par écrit à ses deux premières questions. Pour ce qui concerne KNDS, je pense que cette opération a préservé Nexter qui se serait trouvé à terme, faute de perspectives, dans une situation catastrophique. J'ai voulu sauver Nexter. Il s'agit d'un accord égalitaire dans le respect de notre souveraineté. Le siège est certes aux Pays-Bas, dans un pays tiers, mais l'activité ne s'y trouve pas et je rappelle que les Pays-Bas font partie de l'Union européenne et ne sont pas un paradis fiscal. Cette nouvelle société sera porteuse de nouvelles capacités et de nouveaux emplois. Les organisations syndicales que je rencontre estiment qu'il s'agit d'une bonne issue, dont la négociation a duré trois ans et n'a pas été facile avec nos partenaires institutionnels allemands.

Les moyens financiers de Daech sont effectivement en chute. Indépendamment de la baisse du cours du pétrole, les ressources sont en baisse significative car les sites de production sont frappés, les routes d'exportation sont coupées, dont celles du Kurdistan irakien. Le montant des soldes a été divisé par cinq, le nombre de combattants a baissé et on n'observe quasiment plus de transferts vers les territoires de Daech au Levant en raison des combats qui se déroulent sur les voies d'accès, en particulier autour de Manbij.

Pour répondre à la question de M. Hillmeyer, la proposition de créer une division chargée du renseignement au sein du secrétariat général de l'OTAN a été émise par M. Stoltenberg. Pourquoi pas ? Mais, de manière plus générale, il ne serait à mon sens pas opportun de créer un véritable service de renseignement de l'Alliance. Il faut demeurer sur une base de souveraineté nationale, avec des services nationaux échangeant des informations de manière contrôlée. Nous pratiquons d'ailleurs de manière intense l'échange d'informations à caractère opérationnel avec nos partenaires, mais cela reste très différent d'une mutualisation générale dont les risques sont évidents.

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