Intervention de André Schneider

Réunion du 19 juillet 2016 à 15h00
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAndré Schneider, co-rapporteur :

Madame la présidente, mes chers collègues. Le rapport que nous vous présentons aujourd'hui, et les conclusions que nous soumettons à la Commission, portent sur un sujet régulièrement abordé dans notre enceinte et toujours autant d'actualité : l'Union de l'énergie. Nous avons souhaité, avec mon collègue Jacques Cresta, nous pencher de plus près sur le « paquet d'hiver » présenté par la Commission le 16 février 2016, qui porte sur la sécurité d'approvisionnement en gaz. Au sein de ce paquet, le règlement visant à garantir la sécurité de l'approvisionnement en gaz naturel et la décision sur l'échange d'informations dans les contrats intergouvernementaux ont retenu toute notre attention.

Mais pour bien saisir tous les enjeux de ces textes, il faut rappeler le contexte très particulier qui a conduit à leur élaboration. Étant moi-même l'auteur de plusieurs rapports sur la dimension géopolitique de l'énergie, dont le plus récent date de 2015, je vais essayer de brosser à grands traits le contexte de l'approvisionnement gazier de l'Europe pour mieux faire ressortir les enjeux qui rendent nécessaire la réalisation de l'Union de l'énergie. Mon collègue Jacques Cresta reviendra ensuite plus précisément sur le contenu des textes que nous avons examinés, et vous présentera les conclusions que nous souhaitons soumettre à votre sagacité.

Alors qu'elle ne produit que 6,5 % de l'énergie mondiale, l'Union européenne en consommait encore 12,7 % en 2014, avec une part d'énergies fossiles très significative dans son mix énergétique. Le charbon, le pétrole et le gaz naturel totalisent encore 73 % de sa consommation, dont 27 % pour le gaz.

La dépendance énergétique de l'UE est très élevée par rapport aux autres régions du monde, mais ce qui est plus préoccupant, c'est qu'elle ne cesse de s'accroître. Cela n'est pas le cas des États-Unis par exemple, qui connaissent parallèlement une tendance inverse spectaculaire depuis la découverte et l'exploitation de gaz de schiste sur leur territoire. Il ne s'agit pas ici d'ouvrir un débat sur l'exploitation du gaz de schiste en Europe, mais il est important de souligner la singularité de la position européenne, qui constitue une véritable vulnérabilité à la fois stratégique et économique au plan mondial.

Ces 53 % de la consommation d'énergie importés par l'Union représentent une facture de plus d'un milliard d'euros par jour pour l'achat de combustibles fossiles (pétrole et gaz). Le taux de dépendance de l'Union monte à 63 %, rien que pour le gaz. Cela signifie que l'Europe importe presque deux tiers du gaz qu'elle consomme. Et bien que la tendance de la consommation gazière européenne soit à la baisse, sa dépendance continue à s'aggraver en raison de réserves déclinantes et d'une production qui ralentit. La situation de l'Union est donc encore celle d'une grande dépendance, et potentiellement, d'une grande fragilité, d'autant plus que 40 % des importations de gaz en 2013 proviennent d'un seul fournisseur, la Russie.

Mais ces chiffres, qui sont des moyennes au niveau européen, recouvrent également une grande diversité dans les situations nationales. Comme vous le savez, les mix énergétiques des États membre sont variés, et reposent plus ou moins sur l'accès à des fournisseurs extérieurs, voire à un fournisseur unique, ce qui est d'autant plus problématique. Pour cinq États membres, la Finlande, l'Estonie, la Lituanie, la République tchèque et la Slovaquie, l'approvisionnement en gaz dépend ainsi du seul partenaire russe.

Vous l'aurez compris, la principale menace qui plane selon la Commission sur l'approvisionnement en gaz de l'Europe, particulièrement orientale, est bien celle d'une coupure d'approvisionnement décidée unilatéralement par la compagnie Gazprom, dont nous savons qu'elle est le prolongement de l'État russe. Toute la stratégie européenne telle que déclinée depuis 2010 vise donc essentiellement à circonscrire cette menace. Et il est vrai qu'en 2006, puis en 2009, les troubles intervenus entre la Russie et l'Ukraine ont eu de sérieuses répercussions sur l'approvisionnement énergétique en Europe.

En 2006, le conflit portait d'une part sur l'augmentation du prix du gaz que la Russie voulait facturer à l'Ukraine, désormais reconnue comme une économie de marché. D'autre part, l'Ukraine était accusée de revendre à l'Europe une part du gaz qui lui était destiné, et qu'elle achetait à un prix inférieur au prix de revente, afin de réaliser une plus-value. Après plusieurs mois de contentieux entre Gazprom et Naftogaz, la compagnie russe finit par ne laisser passer que le gaz à destination de l'Europe de l'Ouest. L'insuffisance de l'approvisionnement ainsi opéré démontra que l'Ukraine avait effectivement réalisé une revente illégale. Cela internationalisa le conflit, qui fut résolu par un accord russo-ukrainien.

La crise de 2009 a porté à nouveau sur les tarifs de vente de gaz de la Russie à l'Ukraine, négociés annuellement entre les deux pays, et sur une dette invoquée par la Russie. Cette nouvelle crise a été plus grave, puisque les approvisionnements vers l'Europe ont cette fois été totalement interrompus pendant plus de dix jours au plus fort de l'hiver. Certains pays européens ont connu de véritables pénuries aux sérieuses répercussions économiques.

Le gaz est alors définitivement apparu comme un moyen de pression privilégié du géant russe envers ses voisins, d'autant plus qu'en 2009, l'Ukraine transportait encore 70 % des flux gaziers russes vers l'Europe, et pour certains pays comme la Slovaquie, la dépendance était totale envers ces flux de gaz.

Voilà pour le contexte à l'aube des années 2010. Depuis, des efforts ont été réalisés pour pallier cette relation de dépendance. Certaines solutions ont été apportées dans le cadre européen : il s'agit du règlement de 2010, de la stratégie européenne pour le gaz de 2014 sur lesquels mon collègue va revenir. D'autres solutions, plus pragmatiques, ont consisté à diversifier les routes d'approvisionnement, pour faire échapper certains pays européens aux affres de la relation russo-ukrainienne. Il s'agit par exemple de la construction du gazoduc Nord Stream, qui achemine directement le gaz russe vers l'Allemagne en passant par la mer baltique, et en contournant le corridor ukrainien, mais aussi certains États membres – comme la Pologne ou les pays baltes – qui auraient peut-être pu bénéficier d'une route terrestre.

La relation bilatérale privilégiée ici par l'Allemagne est bien représentative du dilemme entre souveraineté énergétique des États européens et solidarité dans l'Union. Étant moi-même député frontalier, je peux témoigner de cette difficile conciliation entre les choix nationaux et le caractère transfrontalier du marché intérieur de l'énergie, puisque si les Allemands n'ont pas consulté leurs partenaires européens pour fermer leurs centrales nucléaires, cela ne les a jamais empêchés d'avoir recours à cette énergie au besoin, notamment en prenant des parts dans la centrale de Fessenheim.

Pour tenter de réconcilier ces deux dimensions, souveraineté nationale et coopération européenne dans le dossier du gaz, la Commission a donc proposé le paquet d'hiver, que mon collègue Jacques Cresta va à présent vous détailler.

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