Intervention de Jean-Marc Ayrault

Réunion du 5 juillet 2016 à 17h00
Commission des affaires étrangères

Jean-Marc Ayrault, ministre des affaires étrangères et du développement international, sur les conséquences du référendum britannique et sur les relations avec la Russie :

Force est de constater que personne n'avait préparé le jour d'après ni David Cameron, ni les partisans du Brexit. David Cameron avait donné des instructions pour qu'aucune étude ne soit faite sur les conditions du Brexit, soit afin de conjurer le mauvais sort, soit parce qu'il estimait impensable que le Brexit l'emporte. Le premier ministre britannique a joué l'avenir de son pays pour des raisons strictement internes à sa formation politique. Tous ceux qui ont mené campagne en faveur du Brexit fuient leurs responsabilités. C'est un aveu du manque de sérieux de leurs arguments, souvent mensongers. M. Farage a menti de façon éhontée en promettant que l'argent économisé du fait de la fin de la contribution britannique serait utilisé pour le service national de santé, promesse sur laquelle il est revenu le lendemain du vote. J'ai discuté avec mon homologue Philip Hammond dix jours avant le vote. Il était inquiet. Nous avons discuté sérieusement, en dépit de nos divergences avec la conception britannique de l'Europe, avant tout orientée vers le libre-échange et réticente vis-à-vis de tout ce qui peut paraître normatif sur le plan social.

Avec le Royaume-Uni, nous avons une relation singulière qui, je l'espère, durera, notamment en matière de défense avec les accords de Lancaster House, ou pour la gestion de la frontière avec les accords du Touquet. Nous n'avons pas intérêt à nous éloigner de la Grande Bretagne. Je pense en particulier à la dernière résolution du Conseil de Sécurité sur la Libye que nous avons votée à l'unanimité et que nous avons préparée ensemble.

Je lui ai demandé si les Britanniques, nostalgiques de leur puissance passée et aujourd'hui membres du Conseil de Sécurité, ne croyaient pas que leur présence au sein de l'Europe leur donnait une influence mondiale sur beaucoup de questions. Il m'a répondu que c'était effectivement le cas. C'est ce qui m'a convaincu que l'intérêt de la Grande Bretagne était de rester dans l'Union Européenne.

C'est pourquoi le Brexit fera bouger les lignes. Comme me l'a dit récemment mon homologue russe, nous serons désormais le seul membre de l'Union européenne à être membre du Conseil de sécurité. Les équilibres sont également modifiés au sein de l'Union européenne.

Maintenant, nous devons régler les conditions de sortie de la Grande Bretagne. Ce fait politique s'est déjà traduit lors de la dernière réunion du Conseil européen, commencée avec vingt-huit membres, mais terminée à vingt-sept.

Le Président de la République a tenu à être présent aux cérémonies de commémoration de la bataille de la Somme, le Verdun britannique avec 500 000 morts. Le sentiment était celui d'un échec et d'un gâchis.

Il ne s'agit pas de mépriser les Britanniques ou d'offrir publiquement et grossièrement à leurs entreprises de s'installer chez nous, mais il reste que les choses vont évoluer dans la durée.

Il s'agit donc en premier lieu de régler de façon transparente les conditions de sortie de la Grande Bretagne en application de l'article 50, puis de négocier son futur statut.

Nous aurions voulu que les choses aillent plus vite, mais il faut pour cela que le premier ministre britannique invoque l'article 50. N'estimant pas en avoir la légitimité, il attend que son successeur le fasse.Son successeur probable, Mme Theresa May, semble vouloir prendre son temps. Nous comprenons qu'ils veuillent se préparer puisque cela n'a pas été fait avant, à la fois concernant les conditions de la sortie, mais aussi concernant le mandat de négociation sur le futur statut.

Il faut aussi que l'Union européenne se prépare de façon méthodique et exigeante. Vous avez rappelé, Madame la Présidente, les fondamentaux de la négociation. Si nous commençons à décortiquer les quatre libertés, il n'y aura plus d'Union européenne.

Vous avez exprimé votre satisfaction quant à la déclaration faite à l'issue du Conseil européen, qui avait été bien préparé grâce à la réunion préparatoire entre le Président Hollande, la Chancelière Merkel et le Président Renzi. C'est la bonne ligne et il faut la tenir, mais le risque est que d'autres intérêts viennent affaiblir la position de l'Union européenne.

C'est au Conseil de définir le mandat de négociations et à la Commission d'exécuter les décisions du Conseil, sous son contrôle, mais aussi sous celui des parlements nationaux. La Conférence des Présidents de l'Assemblée nationale a décidé ce matin d'une mission, présidée par le Président de l'Assemblée nationale, de suivi des négociations. C'est important du point de vue de la clarté politique car il faut rendre compte aux citoyens français.

Il peut y avoir des divergences. J'ai parlé avec tous mes homologues de l'Union européenne, dont Philip Hammond. J'ai senti du côté de ce dernier que les Britanniques voudraient obtenir le maximum de choses, mais sans les contraintes. Il faut tout de même rappeler que l'Union européenne, ce sont des droits, mais aussi des devoirs et des engagements.

Comment nous y prendre avec la Grande-Bretagne pour préserver les intérêts des uns et des autres de façon équitable tout en admettant la séparation, et comment préserver l'avenir de l'Europe ?

Tout le monde est conscient qu'il s'est passé quelque chose qui pourrait mettre en péril l'avenir du projet européen. Même dans un pays eurosceptique comme le Danemark, près de 70 % des Danois, d'après les sondages, expriment leur adhésion à l'Union européenne. Il en va de même en Finlande et dans d'autres pays.

Est-ce que cela aura une influence durable ? J'ai évoqué avec Christian Kern, le nouveau chancelier autrichien, l'influence du référendum britannique sur la situation dans son pays, où un nouveau vote va avoir lieu. Pour l'instant, cela favorise plutôt les pro-européens que ceux qui seraient tentés par l'aventure du référendum pour sortir de l'Union européenne, comme certains l'ont proposé en France. Mais qu'en sera-t-il dans trois ou quatre mois ? Cela dépendra beaucoup de l'unité des Européens.

Je formule donc le souhait qu'au-delà du suivi que vous avez décidé et qui est une excellente chose, soient poursuivis les échanges entre les parlements nationaux sur l'avenir de l'Europe, qui sont essentiels.

Je constate des divergences : à Prague, à une réunion des pays du groupe de Visegrad, j'ai constaté des divergences entre les Tchèques, les Hongrois, les Polonais et les Slovaques. Les plus eurosceptiques sont les Polonais. Jarosław Kaczyński est un patriote polonais qui voudrait que l'Europe change et accorde davantage de place aux nations : moins de compétences pour l'Union européenne, moins d'intégration et un nouveau traité. C'est cependant le seul de mes interlocuteurs à m'avoir parlé d'un nouveau traité.

Ceux qui appartiennent à l'espace Schengen souhaitent par contre aller au bout de ce mécanisme. Les propositions que j'ai faites avec mon homologue Steinmeier ont été généralement perçues comme utiles.

Les difficultés sont cependant réelles. Je préconise une conception d'une Europe différenciée, sous la forme de coopérations renforcées. D'un côté, il y aurait le marché unique avec ses obligations, Schengen avec les siennes, et des avancées plus importantes sur certaines politiques, notamment dans la zone euro. Les propositions que j'ai faites avec mon homologue allemand sont pragmatiques. Elles évoquent la possibilité d'un budget de la zone euro, qui a ses partisans en Allemagne, sans faire l'unanimité. Nous avons du temps, mais ce qui est important, c'est qu'il y ait débat.

La priorité, c'est d'envisager le futur statut de la Grande Bretagne. Ensuite, il faudra entreprendre un travail de fond sur l'avenir de l'Europe. Le Conseil européen se réunira le 16 septembre à Bratislava, précédé de beaucoup d'autres réunions, notamment au niveau des ministères des Affaires étrangères.

La Russie doit être un partenaire avec lequel nous devons avoir des relations sincères mais franches, sans nier nos désaccords.

La question des sanctions est l'un des points sur lesquels nous pourrions avancer. Le Conseil européen les a reconduites pour six mois. La position que j'ai défendue à Moscou auprès de Poutine, que j'ai rencontré plusieurs fois, ainsi que Sergueï Lavrov, est aussi celle que le président de la République a évoquée au Conseil européen : il faut nous tenir prêts à réévaluer les sanctions en fonction de la mise en oeuvre de l'accord de Minsk. La difficulté vient du fait que les Russes, par jeu tactique, considèrent que ces sanctions n'ont rien à voir avec cette mise en oeuvre. Ce message, que je n'ai cessé de répéter, est perçu comme un signal qui témoigne de notre volonté d'avancer avec la Russie. On peut toutefois considérer que les deux parties, que ce soit les Russes concernant le Donbass ou les Ukrainiens concernant les réformes, se rejoignent dans le statu quo. Les chefs d'États envisagent une nouvelle réunion au format Normandie, sans qu'une date n'ait été arrêtée. Sur cette question, une réunion s'est tenue hier avec les Ukrainiens en marge du sommet sur les Balkans. La situation est complexe mais on ne perd pas le fil de l'échange et de la discussion.

La situation en Syrie s'est extrêmement dégradée sur le terrain. Il semblerait que la Russie considère que Bachar el-Assad peut gagner la bataille militaire. Nous croyons qu'il n'y aura pas d'issue militaire : la paix ne peut être que politique. Les rapports avec les Américains sont difficiles. Américains et Russes parlent beaucoup entre eux sans aboutir à des résultats. Le 1er août approche à grands pas, et alors qu'il est prévu que soit mis en place un gouvernement de transition, les discussions sont bloquées.

Nous avançons avec la Russie dans la bonne direction. Nos échanges sont nombreux et nous tentons de rassurer notre partenaire sur la question de la Libye, qui reste un point de contentieux assez lourd pour les Russes depuis l'intervention aérienne décidée sous la majorité précédente, considérée par eux comme responsable du chaos actuel. Si un gouvernement a depuis été formé, il ne fait pas l'unanimité, et peine à réunir sous sa direction l'ensemble des forces militaires. Il faut également compter sur la présence de Daech. Pour des résultats durables, qui ne peuvent venir que des Libyens, il faut unifier les forces autour du général Haftar. Cette vision est partagée par l'envoyé spécial du secrétaire général des Nations unies, les Russes, l'ensemble de nos autres partenaires ainsi que les Égyptiens et les Emirats Arabes Unis.

Les rapports avec les Russes sont positifs. Ils ont permis l'adoption par le Conseil de sécurité de la résolution qui permet à la mission EUNAVFOR Med (ou Sophia) d'étendre son action aux eaux territoriales de Méditerranée centrale pour le contrôle des navires qui pourraient transporter des armes, afin de faire respecter l'embargo. Cette résolution a été adoptée à l'unanimité après un travail de rédaction franco-britannique et des échanges menés à plusieurs reprises avec les Russes, pour les convaincre de s'associer, en leur donnant des garanties que l'opération serait européenne et non otanienne. Ce point sensible n'a pas échappé aux Russes, et a été évoqué par M. Lavrov lors de sa venue la semaine dernière à Paris.

Sur le plan économique, nos relations ne sont pas si mauvaises. Après l'adoption des mesures de sanctions et leurs répercussions russes, les entreprises françaises sont toutes restées en Russie. Nous sommes l'un des rares pays dont les entreprises n'ont pas fui, et les Russes y sont sensibles. Un certain nombre de dossiers sont discutés afin de leur trouver un débouché cohérent avec les sanctions. Le président Poutine a été invité à venir inaugurer en octobre l'exposition Chtchoukine et le centre culturel russe orthodoxe à Paris, qui avait fait l'objet de longues discussions avant de pouvoir être construit. Ces symboles comptent.

S'agissant de l'OTAN, la position de la France est que le sommet de Varsovie des 8 et 9 juillet ne doit donner lieu à aucune provocation gratuite ou manifestation d'hostilité. Les Russes, sincères ou pas, y sont très sensibles. Il faudra s'en tenir au strict nécessaire du point de vue du fonctionnement de l'Alliance. La France a sur ce point une position à la fois solidaire et responsable, qu'elle maintiendra comme ligne de conduite au cours des échanges bilatéraux qui se dérouleront au cours du sommet. La France a souhaité une nouvelle réunion OTAN-Russie afin de pouvoir échanger en toute transparence. Les Russes ont donné leur accord pour cette réunion, et souhaité qu'elle ait lieu après le sommet de Varsovie, ce que l'on peut comprendre.

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