Intervention de Matthias Fekl

Réunion du 14 septembre 2016 à 10h00
Commission des affaires étrangères

Matthias Fekl, secrétaire d'état chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l'étranger :

Je vous remercie, les unes et les autres, pour votre invitation hors session parlementaire, et donc pour le temps que vous consacrez à ce sujet. Nous avons, en effet, régulièrement l'occasion d'échanger sur notre politique commerciale et vous connaissez mon attachement à la parfaite information du Parlement, non seulement par le biais des réponses que j'apporte à vos questions mais aussi à travers votre association la plus large possible à la conduite, en temps réel, des négociations commerciales internationales.

En matière de transparence, nous avons obtenu des progrès, même si beaucoup reste à faire : il ne peut plus y avoir de négociations menées dans l'opacité alors qu'elles concernent de nombreux domaines touchant à la vie quotidienne des gens. Une puissance publique moderne, à l'heure des réseaux sociaux, n'a rien à cacher. Rien n'est pire que de dispenser l'information au compte-gouttes et par fuites, pratique qui ne fait que susciter de la méfiance voire de la défiance ou même de la peur. Je demeure donc à votre entière disposition.

Les 22 et 23 septembre prochains, les ministres du commerce extérieur de l'Union européenne tiendront à Bratislava une réunion informelle, à l'issue de laquelle aucune décision ne sera prise, mais dont les trois sujets à l'ordre du jour conféreront aux échanges un caractère important : les instruments de défense commerciale, le partenariat transatlantique et le CETA. Si vous m'avez demandé de m'exprimer surtout sur les deux derniers points, je répondrai évidemment à vos éventuelles questions sur les instruments de défense commerciale, à savoir tout ce qui permet concrètement à l'Union européenne de parer au dumping, de se protéger à chaque fois que cela est nécessaire, de pratiquer une politique commerciale offensive et de défendre ses intérêts bien compris, en France comme dans d'autres pays de l'Union. Les États-Unis, par exemple, le font admirablement : ils disposent d'une panoplie d'outils des plus robustes, offensifs, et de la capacité de les employer rapidement.

Sur les deux autres sujets, j'ai eu l'occasion, à de nombreuses reprises, de m'exprimer devant vous ; vous ne serez donc pas surpris par les décisions annoncées par l'exécutif à la fin du mois d'août. Je m'étais prononcé, dès le mois de septembre 2015, et j'ai été le premier membre d'un gouvernement européen à affirmer que si les négociations n'avançaient pas, mon pays se réservait le droit de demander leur arrêt. Le Président de la République a alors confirmé les exigences de la France sur toute une série de critères : l'accès aux marchés publics, la réciprocité, le respect de l'environnement dans les négociations commerciales internationales, l'exigence de transparence, la clarté sur les règles et leur application. Il a été le premier chef d'État à formuler ces exigences de manière claire. Depuis deux ans, je bâtis la stratégie de la France sur cette base, sous l'autorité du ministre des affaires étrangères, du Premier ministre et du Président de la République.

L'ambition initiale du partenariat transatlantique, formulée par le président Obama et par les chefs d'État et de gouvernement européens, était claire et demeure, sur le fond, juste. Elle repose sur l'idée d'élaborer ensemble, entre Américains et Européens, des règles exigeantes pour l'économie mondialisée, portant sur un certain nombre de normes de sécurité. Personne ne peut sincèrement s'opposer à un tel objectif et je souhaite qu'on ait bien présent à l'esprit que la France reste attachée à l'idée que nous devons ensemble écrire des règles pour l'économie mondiale. C'est indispensable.

Si l'inspiration est bonne, le problème porte sur la manière dont les négociations se sont déroulées, que j'ai eu l'occasion à plusieurs reprises de dénoncer. Ces négociations ont été engagées dans une opacité totale, suscitant défiance et peur et, sur le fond, elles se sont très mal passées. Non pas à cause de la Commission européenne, qui n'a rien cédé de ses exigences, mais parce que, du côté américain, il n'y a eu d'ouverture sérieuse sur aucun des sujets que nous avons souhaité mettre à l'ordre du jour. Pour ce qui est de la transparence, nos partenaires n'ont cessé d'essayer de restreindre vos possibilités de consulter les documents alors même que les parlementaires américains y avaient, pour leur part, un large accès. Je me suis battu sans relâche pour que vous ayez accès à l'ensemble des éléments de la négociation au même titre que vos homologues. Nous y sommes parvenus mais les conditions posées restent très rigoureuses.

Sur le fond, l'accès aux marchés publics américains demeure fermé et les négociations en la matière sont d'ordre anecdotique : des broutilles ont été concédées, soit rien de sérieux. Or, pour nos entreprises, grands groupes comme petites et moyennes entreprises (PME), l'accès aux marchés publics est très important. Les marchés publics américains sont ouverts à moins de 50 % alors que les marchés publics européens le sont à plus de 90 %. Le bon sens montre bien où se situe le problème : du côté américain. Nous savons parfaitement que les États-Unis n'ont pas la volonté sérieuse d'aboutir non seulement au niveau fédéral, mais encore au niveau des États fédérés – qui ne se sentiraient pas engagés par une ouverture des marchés publics et qui pourraient aller jusqu'à contester devant la Cour suprême des concessions qui seraient faites à cet égard. Aussi, si le Canada a accepté d'ouvrir largement ses marchés publics aux Européens et a invité les représentants des entités locales autour de la table des négociations, les États-Unis s'y sont toujours refusés et ont toujours indiqué qu'il n'y aurait pas de mouvement important de leur part en la matière.

Il en va de même concernant l'agriculture, une autre de nos lignes rouges. Nous souhaitons, dans le cadre de ces négociations, mettre en oeuvre ce que j'appelle une « diplomatie des terroirs », visant à défendre, au sein des organisations internationales, les terroirs et l'agriculture française. Or les indications géographiques françaises et européennes ne sont pas discutées, à ce stade, dans le cadre des négociations dont il est ici question, si ce n'est de manière totalement informelle et embryonnaire alors que nous souhaitons pouvoir avancer. Le Canada, à travers le CETA, a reconnu quarante-deux indications géographiques alors que les États-Unis n'en reconnaissent aucune. Ainsi, 96 millions de bouteilles sont produites en Californie sous l'appellation purement et simplement usurpée de « champagne » ; le « Chablis » produit aux États-Unis ne correspond en rien à ce qu'on peut décemment attendre d'un Chablis ; le Burgundy, le vin de Bourgogne produit là-bas ne respecte aucune des clauses des cahiers des charges qui s'appliquent à nos producteurs. Au mois de mai dernier, je me suis rendu aux États-Unis pour rencontrer au Congrès, comme au sein de l'exécutif, les personnalités travaillant sur le sujet, mais aussi pour rencontrer des représentants du monde viticole et agricole américain. Certains souhaitent la reconnaissance des indications géographiques, par exemple les producteurs de pommes de terre de l'Idaho. Ce combat est très sérieux, car si nous ne voulons pas, demain, avoir un système de protection de l'agriculture et des productions par les marques, si nous voulons garder une spécificité française liée aux appellations et aux indications géographiques, nous devons nous battre pied à pied.

Nous n'avons pas non plus obtenu d'avancée sur les questions de coopération, notamment concernant les services financiers qui sont très importants pour la France – pays excédentaire net en la matière.

Fort de ces constats, après le temps de l'analyse vient le moment des décisions. Nous avons donné beaucoup de temps aux négociateurs pour avancer et, encore une fois, il y a un an, j'ai déclaré que si, courant 2016, les négociations ne progressaient pas, nous prendrions une décision sur notre volonté de les poursuivre ou non. Ce moment est venu. Il demeure en Europe une pression forte de nombreux États pour parvenir à un accord. Cette pression existe également aux États-Unis où nombreux sont ceux qui souhaitent qu'un accord soit signé avant la fin de la présidence Obama. Or nous savons tous qu'un accord rapide serait mauvais pour la France, pour les valeurs et pour les intérêts que nous défendons.

Voilà pourquoi l'exécutif a annoncé, à la fin du mois d'août, qu'il demanderait la fin des négociations. La situation juridique n'en reste pas moins compliquée. Vous le savez, le droit européen prévoit qu'un mandat de négociation est donné à la Commission européenne – un mandat potentiellement valable éternellement : aussi la Commission est-elle parfaitement en droit de négocier autant qu'elle le souhaite. Le droit précise en outre qu'une fois les négociations avancées, la Commission revient vers les États pour leur demander leur avis sur ce qui a été obtenu ou pour constater l'échec des négociations – mais rien ne permet à aucun pays membre de l'Union européenne d'exiger leur arrêt. Reste que notre position est claire : je demanderai à Bratislava, les 22 et 23 septembre prochains, la fin des négociations, ce qui signifie que, pour nous, le mandat de négociation n'aura plus le soutien politique de la France.

Dès lors, plusieurs options sont envisageables : l'option paresseuse, qui consiste à miser sur l'enlisement des négociations, le mieux étant d'attendre sans rien faire ; l'option ambiguë, qui vise à ménager un certain nombre de portes de sortie, à interrompre le processus pendant les périodes électorales américaine, française et allemande, quitte à le reprendre par la suite ; l'option claire, qui consiste pour la France à demander l'arrêt des négociations, malgré les limites juridiques que j'ai indiquées. Nous ne sommes pas majoritaires, au sein de l'Union européenne, sur cette position – manière très polie de dire les choses – mais nous devons nous montrer sans ambiguïté.

Je dirai, pour finir, quelques mots de l'accord avec le Canada, qui sera également discuté au conseil informel de Bratislava. Sur le fond, nous considérons que cet accord, bien que perfectible comme l'est tout accord, est équilibré, bon pour l'Union européenne et pour la France ; ainsi nos partenaires en jugent-ils pour le Canada. Les marchés publics canadiens s'ouvrent largement, au niveau national comme infranational. C'est très important pour les 550 entreprises françaises déjà installées au Canada, sans compter celles, beaucoup plus nombreuses encore, qui exportent vers ce grand pays ami. La négociation relative aux indications géographiques, à l'agriculture et à la diplomatie des terroirs, a remporté un succès important : quarante-deux indications géographiques françaises sont reconnues – notamment concernant les fromages et la charcuterie –, soit près d'un quart des 173 indications géographiques reconnues par le Canada relatives à l'Europe. Il s'agit d'une avancée très positive dans la lutte contre les usurpations, les contrefaçons et la concurrence déloyale.

De la même manière, le Canada a accepté, alors même que les négociations étaient terminées, de rouvrir les discussions relatives à l'arbitrage et sur la proposition que j'ai élaborée au nom de la France, largement reprise par l'Union européenne, sur la cour de justice commerciale internationale. Les arbitres privés seront ainsi remplacés par des juges publics rémunérés par les États ; les conflits d'intérêts seront interdits ; les attaques contre les choix des politiques publiques seront également prohibées – c'est écrit noir sur blanc. Sur ce dernier point, autant une entreprise est en droit de se défendre contre des abus, des expropriations abusives, autant les choix ratifiés par les parlementaires sur la santé, l'énergie ou l'alimentation ne doivent pas pouvoir être attaqués par des voies d'exception. Nous saluons, par conséquent, la prise en compte de cette proposition par le gouvernement canadien, ce qui était impensable avant que M. Trudeau n'arrive au pouvoir. Le Canada a ainsi été le premier État à l'accepter.

Je réunirai ce soir ceux de mes homologues européens qui sont sociaux-démocrates, pour discuter de politique commerciale internationale. La France a des positions tranchées mais elle est aussi force de proposition pour rénover la politique commerciale européenne, la rendre robuste, à la fois offensive et défensive. Il s'agit de prendre en compte l'environnement dans lequel nous travaillons, marqué en particulier par l'application extraterritoriale du droit américain en matière commerciale – je sais, d'ailleurs, qu'une mission d'information parlementaire a été constituée sur le sujet, présidée par M. Lellouche et dont Mme Berger est la rapporteure. Nous devons appréhender le monde tel qu'il est, sans naïveté et en faisant valoir de nombreuses propositions concrètes importantes pour la défense des intérêts économiques de la France avec, en arrière-plan, une certaine conception de l'Union européenne.

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