Intervention de Pierre Lellouche

Réunion du 14 septembre 2016 à 10h00
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPierre Lellouche :

Vous le savez, je préside la mission d'information commune sur l'extraterritorialité de la législation américaine, et j'ai aussi eu, par le passé, l'honneur d'occuper le même poste que vous, monsieur Fekl. Je le rappelle parce que je suis surpris, compte tenu de l'estime que je porte à votre intelligence, que vous ayez attendu tout ce temps pour découvrir qu'il y avait des problèmes liés à la transparence des négociations, que l'accès aux marchés publics des États-Unis – en particulier ceux des États fédérés – n'allait pas de soi et qu'il y avait des difficultés concernant l'agriculture et les services financiers. L'administration du Trésor connaît cela par coeur.

Vous savez, par ailleurs, que les règles européennes sont ainsi faites que quand une négociation commence avec mandat donné à la Commission, le ministre du commerce extérieur se trouve dans une position très inconfortable parce que la seule personne chargée du dossier est, en l'occurrence, Mme Malmström. C'est elle qui négocie, elle qui possède l'information, cela au grand dam des ministres nationaux. En France, nous nous réveillons en pleine campagne électorale en disant que nous ne voulons plus jouer parce que les règles ne seraient pas bonnes. Seulement, vous ne pouvez pas vous arrêter : une fois que le mandat est donné, après qu'il a été préparé – en interministériel pour ce qui nous concerne –, la négociation continue.

Or je soupçonne votre prédécesseur – et d'ailleurs je le lui avais dit – de ne pas avoir préparé sérieusement la négociation. On a, par exemple, exclu deux marchés complètement fermés aux Européens, l'armement et l'audiovisuel, alors que les Américains trouvent en Europe un marché ouvert aussi bien concernant les armements que le cinéma ou la télévision. Sur le reste, mon sentiment est que ce que vous faites mine de découvrir aujourd'hui, nous le savions dès le début, notamment qu'il est très compliqué d'entrer dans les marchés publics des États fédérés, et qu'il fallait s'attendre à la manière dont la négociation a été conduite. Votre attitude m'apparaît donc, j'y insiste, lourdement influencée par le calendrier électoral. En outre, vous ne semblez pas avoir de solution : dans la mesure où vous êtes complètement isolé et où les autres veulent continuer les négociations, je ne vois pas très bien comment vous les arrêteriez.

Il aurait fallu demander un réexamen du mandat. Le TAFTA a au moins ceci d'utile qu'il nous évitera, demain, des normes chinoises. Si l'Europe et les États-Unis se mettent d'accord sur un certain nombre de normes de travail, de normes environnementales ou industrielles, cela évitera que les Chinois ne dictent demain leur loi. Voilà pourquoi je ne vois pas très bien où vous allez : vous annoncez que vous allez arrêter la négociation, or vous ne l'arrêterez pas ; je ne connais pas votre position de repli, car sans doute n'en avez-vous pas. Vous êtes donc en train de mettre la France dans une impasse et de l'isoler complètement. Vous ne maîtrisez pas la situation.

En ce qui concerne le CETA, nous avons, en effet, obtenu un certain nombre de progrès même si des questions subsistent en matière d'environnement et en matière agricole puisque nous allons voir arriver en France plusieurs dizaines de milliers de tonnes de viande bovine et porcine sur des marchés pourtant déjà pour le moins déprimés.

Où en sommes-nous, par ailleurs, du statut d'économie de marché de la Chine ? Sur ce point aussi, les conséquences sur l'emploi sont susceptibles d'être massives alors que la date butoir approche.

J'en viens à la crise d'Alstom. Elle était annoncée depuis le dépeçage de 2014 et la vente du pôle énergie à l'Américain General Electric, laissant un pôle transport des plus vulnérables et très difficile à l'export – vous en savez quelque chose. Le résultat est que l'entreprise est fragilisée. Pourquoi l'amende de 772 millions de dollars infligée par la justice américaine à la suite d'allégations de corruption concernant la branche énergie est-elle payée, non pas par General Electric, qui pourtant s'y était engagé, mais par la branche transport qui se trouve déjà en difficulté ? Pourquoi avez-vous laissé passer une chose pareille ?

Quid, ensuite, de l'Iran ? Le Joint Comprehensive Plan of Action (JCPOA-Plan d'action conjoint), signé en juillet 2015, prévoit la levée des sanctions ; or vous savez que les sanctions continuent à peser sur le système financier international et, de facto, interdisent aux entreprises françaises de travailler en Iran. Nous nous trouvons ici dans le cas typique d'une confrontation avec une législation américaine qui s'applique unilatéralement et qui, je le répète, empêche la France et les autres pays de travailler, n'étaient quelques banques italiennes locales dont les opérations ne s'effectuent pas en dollars. Qu'entendez-vous faire en la matière ?

Enfin, une loi américaine a été votée, il y a trois jours, à l'unanimité de la Chambre des représentants et à l'unanimité du Sénat : la loi JASTA, Justice against Sponsors of Terrorism, qui permet désormais des class actions, des actions civiles ou pénales, visant à lever l'immunité souveraine des États. Je n'ai, pour l'instant, pas entendu de réaction du gouvernement français et je suis donc assez intéressé par votre position parce que cette loi va provoquer une véritable révolution juridique, créer une sorte de jungle mondiale où tout le monde pourra attaquer tout le monde. Dès lors qu'un État sera mêlé, directement ou indirectement, à une action terroriste qui peut toucher les États-Unis, il sera susceptible d'être traîné en justice devant les tribunaux américains.

Pour en revenir à mon tout premier point, si je comprends bien pourquoi la négociation avec les États-Unis a été mal menée, je ne comprends pas, en revanche, où vous conduisez la France sinon dans une impasse.

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