Intervention de Matthias Fekl

Réunion du 14 septembre 2016 à 10h00
Commission des affaires étrangères

Matthias Fekl, secrétaire d'état chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l'étranger :

Non, ce n'est pas général. Mais nous avons pris soin d'y travailler, car la réciprocité est un principe général qui doit se traduire par des actes.

Monsieur Myard, il ne suffit pas de dire : « Y'a qu'à », « Faut qu'on ». Toujours est-il que, lors du G20, le Président de la République a indiqué que le Président Juncker pouvait continuer à négocier s'il le souhaitait, mais il a été extrêmement clair sur la position de la France – position que nous sommes, à ce stade, les seuls à affirmer de manière aussi précise. Je note que, dans son discours sur l'état de l'Union, le Président Juncker n'a pas reparlé de ces négociations et n'en fait plus une priorité de l'agenda européen, ce qui est une nouveauté. C'est le rôle de la France de s'exprimer avec clarté, y compris au risque de l'isolement. Je travaille avec plusieurs de mes homologues européens, notamment mon homologue allemand, mais si nous devons être les seuls à défendre une position que nous estimons juste, nous devons l'assumer.

J'en viens au Brexit, sur lequel M. Pellois et Mme la présidente Massat m'ont interrogé. Là encore, le Président de la République a toujours été très clair : nous respectons le vote du peuple britannique. Le résultat du référendum a été très clair et nous devons en prendre acte. L'Europe a beaucoup souffert du fait que l'on a pu donner l'impression, notamment en France, que les choses pouvaient continuer comme avant en dépit des votes qui étaient intervenus. C'est aussi aux proeuropéens de tenir ce discours.

Ce vote a plusieurs conséquences. Premièrement, nous attendons, comme je l'ai rappelé hier à mon homologue britannique, Lord Price, une notification du retrait du Royaume-Uni au titre de l'article 50. Nous l'espérons avant la fin de cette année, mais il paraît plus probable qu'elle interviendra au début de l'année prochaine. Toujours est-il que, tant que les choses en restent là, nous ne souhaitons pas que s'engagent des pré-négociations informelles qui permettraient d'enfoncer un coin entre les États européens.

Deuxièmement, on ne peut pas être à la fois dans et hors de l'Union. Une fois qu'un pays décide d'en sortir, sa décision doit bien entendu emporter des conséquences. On ne peut pas à la fois échapper à diverses règles contraignantes, ne plus contribuer au budget et profiter de l'accès au marché européen. La position de la France est parfaitement claire sur ce point. Pour ma part, je considère – mais c'est un avis personnel – que les fonctionnaires britanniques qui travaillent dans les instances européennes n'y auront plus leur place après la sortie du Royaume-Uni.

Par ailleurs, nous avons craint, durant l'été, que le Brexit n'ait un impact immédiat sur le tourisme en France, notamment à cause de la dévaluation d'environ 20 % de la livre, mais les réservations ont finalement été confirmées. Nous espérons que les touristes britanniques continueront de venir dans de nombreuses régions de France et nous ferons le nécessaire, avec ces régions, pour que la France demeure, pour eux, une destination attractive.

En ce qui concerne les relations économiques entre l'Union européenne et le Royaume-Uni après la sortie de celui-ci, différents scénarios existent. Le Royaume-Uni peut être considéré comme un membre de droit commun parmi d'autres de l'Organisation mondiale du commerce, à laquelle il devra d'ailleurs adhérer en tant que tel ; une association ou partenariat, à la norvégienne ou à la turque, peuvent être également conclus. Cela sera discuté au niveau européen, sans qu'il soit possible de mener des négociations avec les uns et les autres qui permettraient de jouer certains États contre les autres. En tout état de cause, le Royaume-Uni ne peut pas espérer bénéficier des mêmes facilités d'accès au marché européen qu'aujourd'hui.

Quant aux études d'impact, je suis parfaitement d'accord pour qu'elles soient renforcées ; nous l'avons demandé à la Commission européenne. Les travaux du Parlement sur ce sujet sont très précieux. Je suis, du reste, favorable à la création, autour de celui-ci, d'un grand pôle d'évaluation des politiques publiques auquel seraient rattachées de nombreuses instances d'évaluation actuellement dispersées et qui renforcerait l'expertise sur laquelle vous pouvez d'ores et déjà vous appuyer. Une telle instance est indispensable, d'autant qu'elle permettrait également de réhabiliter le débat contradictoire au sein de la science économique. La pensée unique économique ne peut, en effet, être la seule à avoir pignon sur rue. On ne peut accepter que ses tenants donnent des leçons en usant d'arguments d'autorité pour le moins contestables, alors qu'ils ont été incapables d'anticiper et d'analyser les dernières crises, notamment celle, désastreuse, de 2008.

J'en viens maintenant aux questions de M. Lellouche. Celui-ci a évoqué l'influence du calendrier électoral, et il me semble avoir répondu sur ce point. Je précise néanmoins que proposer, comme le fait M. Sarkozy, de suspendre le processus pendant les élections me semble une manière de faire très ancienne – l'Europe paie très cher ce type de pratiques. Si démarche électoraliste il y a, je ne crois qu'elle soit le fait du Gouvernement…

S'agissant des enjeux des négociations, je partage l'idée selon laquelle les marchés publics sont prioritaires. La question de l'antidumping, y compris avec la Chine, est également extrêmement importante : nous devons nous doter, dans ce domaine, d'outils de défense commerciale très robustes. Je suivrai de très près les travaux de la mission présidée par M. Lellouche sur l'extraterritorialité, que je considère comme un enjeu majeur sur lequel l'Europe a également son mot à dire. La décision que la Commission a prise concernant Apple est très positive du point de vue du volontarisme industriel, et elle doit poursuivre son action dans d'autres domaines. La réciprocité signifie aussi que, lorsqu'un grand pays, même ami, vous inflige des décisions unilatérales, il faut être en mesure de répliquer, sans s'interdire d'utiliser tous les instruments possibles. Je prendrai connaissance des conclusions de la mission avec intérêt, et je suis disponible pour travailler sur ce sujet.

En ce qui concerne l'Iran, la frilosité de nos établissements financiers est bien compréhensible compte tenu de l'extraterritorialité de la législation américaine. Nous travaillons sur ce sujet avec les autorités monétaires américaines, mais il n'est pas satisfaisant de devoir prendre ainsi des directives. En effet, la France respecte parfaitement les régimes de sanction internationaux de l'ONU et de l'Union européenne, elle n'a donc pas à ployer sous des régimes unilatéraux. J'ai conduit, avec Stéphane Le Foll, une délégation de 135 entreprises au mois de septembre dernier en Iran. Un tel déplacement n'était pas intervenu dans ce grand pays depuis une dizaine d'années. De nombreuses délégations d'entreprises s'y rendent désormais. L'Iran compte 80 millions d'habitants et une classe moyenne émergente qui a des besoins en biens d'équipement pour lesquels le savoir-faire français est attendu et déjà présent dans les rues iraniennes – je pense notamment aux automobiles. Nous continuerons à accompagner nos entreprises pour qu'elles puissent exporter vers ce pays. Après l'accord de Vienne du 14 juillet dernier, en faveur duquel la diplomatie française et Laurent Fabius ont beaucoup oeuvré, une nouvelle phase de nos relations avec l'Iran doit s'ouvrir, dans le respect plein et entier de l'accord de Vienne.

S'agissant des négociations du TISA, la France a, en tant que pays exportateur net en matière de services, des intérêts offensifs à faire valoir. C'est pourquoi nous souhaitons avancer dans ce domaine, y compris dans un cadre multilatéral. La vingtième session de ces discussions doit se tenir du 19 au 25 septembre prochain. Ce que j'ai dit tout à l'heure à propos de la transparence s'applique à ces négociations comme à toutes celles auxquelles la France participe. J'ai déjà indiqué, du reste, que j'étais favorable, à titre personnel, à l'open data : tout doit être connu. De toute façon, puisque tout finit par fuiter, autant organiser et assumer la transparence : tout doit être rendu public et ce qui ne peut pas l'être ne doit pas être négocié. Nos intérêts offensifs concernent les transports, maritime et aérien, les services financiers, les services postaux, et nous resterons très exigeants sur ces sujets. Nous avons également été attentifs à ce que le mandat de négociation exclue expressément les services audiovisuels et garantisse la protection efficace des services publics. Il est vrai que la France était, au départ, seule à défendre cette position, mais ces secteurs font maintenant l'objet d'une sorte de consensus européen. Il faut demeurer vigilant, mais tout le monde sait qu'une négociation ne peut pas s'ouvrir sans que ces aspects soient bien intégrés.

M. Straumann m'a interrogé sur la coordination franco-allemande. Depuis ma nomination, je travaille étroitement avec nos partenaires allemands, notamment avec le Vice-Chancelier, Sigmar Gabriel. Sur les questions d'arbitrage et la proposition de création d'une cour de justice commerciale internationale, nous sommes parvenus, ensemble, à créer un consensus européen en quelques mois, en emportant l'adhésion des autres États membres. Il est vrai qu'il existe un débat au sein de la grande coalition du gouvernement allemand, notamment entre la Chancelière et le Vice-Chancelier. Mais la France travaille avec le gouvernement allemand en tant que tel, et nous continuerons à le faire. Nous avons toujours entretenu une coordination très étroite avec l'Allemagne sur ce sujet, à tous les niveaux. Certes, les intérêts de l'Allemagne ne sont pas tout à fait les mêmes que les nôtres, en raison de la spécialisation de son industrie, de sa stratégie d'export et de ses relations commerciales avec les États-Unis. Il est donc possible qu'à un moment donné, nos intérêts ne se rejoignent pas ; ce ne serait pas un drame. En tout cas, je tiendrai bon sur les intérêts de l'économie, de l'industrie et de l'agriculture françaises.

« Qu'est-ce qu'un bon accord ? », me demande M. Destot. Il m'est difficile de répondre à cette question philosophique en définissant quelques critères. J'estime cependant qu'un bon accord doit d'abord respecter nos lignes rouges et défendre les intérêts français. Il doit également être tourné vers l'avenir, respecter l'exigence de transparence et être soumis au contrôle démocratique du Parlement. Par ailleurs, il doit intégrer, M. Destot a raison, les acquis de l'accord historique obtenu à Paris au mois de décembre dernier dans le cadre de la COP21. J'ai ainsi proposé au Président de la République, qui s'y est déclaré favorable lors de la conférence environnementale, que la France ne signe désormais que les accords commerciaux intégrant l'urgence écologique et les acquis de l'accord de Paris. Nous avons été les premiers à adopter cette position. Certes, l'accord avec le Canada a été conclu avant le sommet de Paris et il aurait sans doute été différent s'il l'avait été après. Mais on ne peut pas dire pour autant que, dans son équilibre global, il soit préjudiciable à l'environnement. M. Trudeau a pris des engagements politiques précis sur la question de l'exploration des gaz de schiste. Nous devons cependant y demeurer très attentifs. Quoi qu'il en soit, rien ne s'oppose à une évaluation de l'accord à assez brève échéance. Je suis ainsi favorable à ce que l'on mesure le bilan carbone des accords commerciaux et à ce que l'on propose, le cas échéant, de nouvelles discussions. Tout ce qui permet une actualisation des accords me semble positif ; je rejoins donc l'approche innovante défendue par M. Destot sur ce point.

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