Intervention de Jean-Yves le Drian

Réunion du 26 juillet 2016 à 14h30
Commission de la défense nationale et des forces armées

Jean-Yves le Drian, ministre de la Défense :

Mesdames et Messieurs les sénateurs et députés, cette réunion était déjà prévue depuis un certain temps : l'objectif était de vous faire part à la fois des conclusions de la réunion de la coalition qui s'est tenue mercredi et jeudi derniers à Washington et des décisions prises lors du conseil de défense. En vous proposant cette rencontre, je n'imaginais pas qu'elle se déroulerait dans des conditions aussi graves, pas seulement en raison des faits épouvantables survenus ce matin, mais aussi compte tenu de tout ce qui s'est passé ces derniers jours. Il me paraissait utile de vous donner le maximum d'informations, étant entendu que cette réunion se tient à huis clos. Je n'ai jamais eu de problème, de ce point de vue, avec vos deux commissions ; sachant que je peux compter sur votre discrétion, je me sens assez libre dans mes propos et je continuerai à l'être cet après-midi.

Rappelons tout d'abord quelles sont les trois composantes de Daech, qu'il convient de bien identifier dans la mesure où elles s'articulent entre elles tout en ayant chacune leur autonomie.

Daech, et c'était l'aspect le plus spectaculaire au départ, est d'abord un proto-État, avec des troupes que j'appelle une « armée terroriste » et qui tente d'exercer des pouvoirs régaliens sur un territoire, de rétablir un califat. Disposant des moyens nécessaires, Daech a envahi des territoires en Irak et en Syrie et possède une armée d'environ 30 000 hommes, dont environ 12 000 combattants étrangers, foreign fighters, et deux positions fortes : Mossoul et Raqqa. Je reviendrai sur son périmètre d'occupation dans cette zone.

Daech, c'est aussi un mouvement djihadiste international, comme Al-Qaïda il fut un temps, une nébuleuse qui opère par-delà les frontières, jusque sur le sol européen, et qui organise des actions terroristes, commises par des commandos. C'est ce qui m'a toujours fait dire que frapper Daech au Levant, sur son siège, sur son terrain, c'est du même coup protéger notre territoire du continuum de la menace intérieure et extérieure qui pèse sur nous.

Daech, c'est enfin – mais tout cela s'articule – une idéologie dangereuse, qui veut renouer avec un califat, en façonnant une société nouvelle ; c'est ce que j'appelle, pour ma part, le « califat virtuel » ou « le califat numérique ». C'est une menace à part entière, et la diffusion de messages et de mots d'ordre, en particulier du numéro deux de Daech, Mohammed Al-Adnani, qui appellent au passage à l'acte individuel, peuvent inspirer des individus fragiles ou violents. Ainsi, Daech agit comme un véritable incubateur de terreur, qui essaime dans le monde entier – on pourrait reprendre la liste des attentats et des actions perpétrés, au cours des dernières semaines, sous cette troisième rubrique ; c'est évidemment la composante de Daech la plus difficile à éradiquer.

Je ne l'ai jamais dit de cette manière, mais, de mon point de vue, Daech est une entreprise totalitaire, au sens où elle se fonde sur un substrat idéologique profondément inégalitaire, hiérarchisant les humains en groupe supérieurs et inférieurs, totalitaire au point d'avoir réintroduit l'esclavage, y compris dans sa forme la plus abjecte, l'esclavage sexuel des femmes, notamment yézidies. C'est un groupe totalitaire parce qu'il est fondé sur une volonté d'éradication de tous les groupes qui s'opposent au califat, sur la mobilisation de l'ensemble des ressources sociétales, financières et humaines au service de ce combat terroriste et aussi sur un contrôle policier étroit des populations, soumises à une violence extrême, sans limite, comme en témoignent la nature et le nombre des exécutions commises sur le territoire dominé par Daech.

Cette menace est nouvelle par sa dimension, mais pas forcément par sa nature : lorsqu'Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) a voulu, en 2012, constituer un proto-État à partir du Mali, on s'inscrivait aussi dans une logique territoriale. Mais, en l'occurrence, nous sommes dans une situation extrême, où l'ensemble des paramètres ont été poussés au maximum. Notre action doit donc s'adapter à la fois à la continuité de la menace et à son évolution, à la variété des instruments mis en place.

J'en viens à ce qui est de ma compétence de ministre de la Défense : je pense, pour ma part, qu'il faut à tout prix frapper Daech au coeur, car, ainsi, on frappe à la fois l'armée terroriste, les capacités de planification et de projection, mais également les capacités de propagande du califat virtuel, qui a besoin pour ce faire d'infrastructures, toutes localisées sur le même territoire. Parallèlement, la coalition doit elle-même développer une contre-offensive de communication stratégique, afin de montrer à tous ceux qui sont susceptibles de recevoir ses messages que Daech est ce qu'elle est et subit des revers. J'ai déjà eu l'occasion de développer ces principes devant vos deux commissions, mais je voulais les articuler dans un discours que j'espère complet et cohérent.

Qu'en est-il de la situation militaire aujourd'hui ? Qu'envisageons-nous ? J'évoquerai avant tout le Levant, avant de répondre au président Raffarin sur le cas de la Libye. Ensuite, évidemment, je dirai quelques mots de l'opération Sentinelle, et nous pourrons discuter très librement, comme nous le faisons lors de toutes nos rencontres.

Soixante pays soutiennent la coalition contre Daech, mais trente-cinq en sont effectivement les acteurs, du Danemark à l'Irak, en passant, entre autres, par le Koweït, la Jordanie et l'Égypte. Ces trente-cinq pays acteurs étaient tous représentés, par leurs ministres de la Défense, à la réunion de Washington, la semaine dernière, qui faisait suite à une initiative française. Au mois de janvier dernier, j'avais effectivement souhaité réunir à Paris les ministres de la défense des principaux contributeurs de la coalition afin de pouvoir parler ensemble des actions de défense liées à la coalition : l'absence de telles discussions me semblait en effet un handicap en termes de communication, de cohésion et d'action. La réunion de Paris a été suivie de deux autres, à Stuttgart puis à Bruxelles. La rencontre de la semaine dernière s'inscrit donc dans leur prolongement ; elle s'en distingue cependant par le fait que la réunion des ministres de la Défense était suivie, le deuxième jour par une réunion commune des ministres de la Défense et des ministres des Affaires étrangères.

En termes de situation opérationnelle, les cartes que nous allons vous projeter le montrent, une constante se dégage : il ne s'agit plus d'un simple recul de Daech sur l'ensemble des fronts, on constate bel et bien une accélération du tempo même de ce recul.

Ainsi, la ville de Falloujah a été libérée il y a peu de temps, notamment grâce à l'action d'une brigade irakienne dont nous assurons une bonne partie de la formation, l'Iraqi Counter Terrorism Service (ICTS). Certains d'entre vous ont pu rencontrer nos formateurs à Bagdad, qui font un très bon travail. L'ICTS a joué un rôle déterminant pour la libération de cette ville, non loin de Bagdad, qui fut la première prise par Daech, il y a deux ans : c'est dire son importance symbolique.

À Qayyarah, à moins de soixante kilomètres de Mossoul, c'est l'ensemble de la rive ouest qui est tombé, la semaine dernière, sans réelle résistance de Daech. C'est très important, puisque s'y trouve une base aérienne, reprise du même coup. En ce moment même, les combats se cristallisent sur les points de franchissement du Tigre. Cette victoire a été acquise, elle aussi, par les forces irakiennes.

Dans la province d'Al-Anbar, Daech a perdu le contrôle de la région d'Al-Dulab, sa dernière emprise au sud de l'Euphrate. Avec une rapidité que l'on n'imaginait peut-être pas, la présence de Daech sur le territoire irakien se réduit, sous l'action combinée des forces irakiennes et des forces kurdes du Gouvernement régional du Kurdistan d'Irak (GRK). J'avais eu l'occasion d'évoquer des victoires antérieures lors de mes précédentes auditions, mais, depuis celles-ci, au début du mois de juillet, le mouvement s'accélère.

Parallèlement, Daech recule également du côté syrien, notamment à Manbij. J'avais eu l'occasion, très en amont, de souligner l'importance de ce lieu, entre la Syrie et la Turquie, pour le contrôle des flux. Si Manbij tombe et que l'ensemble de la zone est libéré, un contrôle beaucoup plus strict sera possible sur ce qui peut être un espace de porosité majeur ; en zone kurde, il est beaucoup plus difficile de passer, nonobstant les caractéristiques géophysiques du territoire. Manbij est un noeud essentiel. Le rapport de force y est certes moins avantageux pour les forces démocratiques syriennes, composées de Kurdes et de leurs alliés arabes, qu'il ne l'est pour les Irakiens à Falloujah, mais, l'étau se resserre sur les combattants de Daech, encerclés vers le centre-ville. Selon les informations les plus sûres que nous ayons aujourd'hui, 1 500 combattants de Daech auraient déjà été tués dans cette offensive, et les forces concernées sont à 500 ou 600 mètres du centre. Tout nous laisse à penser que Manbij va tomber.

Si, sur le plan militaire, la situation évolue plus positivement que ce que nous prévoyions, il n'en est pas de même au niveau politique où les avancées sont beaucoup plus limitées. La fragilité politique du gouvernement de M. al-Abadi nous inquiète, et la situation sécuritaire reste dégradée à Bagdad : les attentats sont quotidiens, et ce sont des attentats majeurs – nous l'avons vu la semaine dernière. Le gouvernement irakien est soumis à de nombreuses pressions, qu'il s'agisse des manifestations d'ampleur des partisans chiites de Moqtada al-Sadr, des pressions iraniennes ou même des dissensions au sein des partis kurdes. Nous pensons néanmoins, comme l'ensemble de la communauté internationale, qu'il faut soutenir les réformes entreprises et l'action du Premier ministre al-Abadi. Seule l'instauration d'un État stable et inclusif dans lequel les minorités – sunnite, kurde, chrétienne, yézidie ou autres – trouveront leur place pourra empêcher, sur le long terme, la résurgence de Daech dans la région.

La situation politique est encore plus compliquée en Syrie. Les conditions d'une reprise du dialogue à Genève sont encore loin d'être réunies, même si nous pouvons voir un petit signe dans la reprise d'un dialogue, y compris sur les aspects technico-militaires, entre la Russie et les États-Unis. Cela pourrait permettre d'amorcer un processus visant à frapper plus fort les groupes terroristes et à autoriser des mesures humanitaires significatives.

Venons-en maintenant aux actions décidées par les membres de la coalition. Nous avons arrêté le principe d'un plan de bataille pour passer à une étape décisive de la lutte contre Daech au Levant. L'essentiel de la réunion de Washington a donc porté sur la mobilisation de moyens supplémentaires pour accélérer la chute de Daech et sur l'accompagnement de cette action.

L'accélération du mouvement repose sur quatre éléments : un élément militaire, sur lequel je m'arrêterai plus longuement, mais aussi un élément humanitaire, un élément politique et un élément de reconstruction. Le plan d'action sur la dernière phase de l'opération reprend ces quatre parties. Il faut que l'action menée comporte une dimension humanitaire, singulièrement à Mossoul. Plus de la moitié des deux millions d'habitants ont quitté la ville, mais il en reste encore un million. Les combats entraîneront inévitablement des déplacements et affecteront les ressources déjà très faibles de la population. Il a donc été décidé de mettre en oeuvre un plan humanitaire d'accompagnement de l'action militaire. Sur le plan politique, la question centrale est celle des forces à mobiliser pour libérer la ville : il faut en particulier éviter que des milices chiites n'entrent dans cette ville principalement sunnite pour s'y livrer à des exactions et veiller à ce que les populations minoritaires soient respectées. Il faut savoir que dans cette grande ville, une partie de la population est kurde, une autre chrétienne, une autre yézidie ; la majorité est sunnite, mais il y a aussi une petite minorité chiite. L'ensemble de ces données doit être pris en compte pour qu'un plan humanitaire accompagne l'action entreprise mais aussi pour que les forces amenées à libérer la ville et celles amenées, ensuite, à la gérer soient acceptées par la population. Je pense que nous avons obtenu toutes les garanties sur le fait qu'il n'y aurait pas de milice chiite – la police locale sera chargée de la sécurité – et sur le respect des minorités, notamment chrétienne et kurde. La partie reconstruction enfin pourra être l'occasion de mobiliser les partenaires les moins engagés sur le plan militaire ; c'est le message qui a été délivré à la réunion de vendredi, en présence des ministres des Affaires étrangères.

La plus grande partie des membres de la coalition ont décidé de renforcer leurs moyens d'action et leur présence en Irak, que ce soient les Britanniques avec le doublement de leurs effectifs, les Norvégiens avec une action contre les mines ou nos partenaires danois, néerlandais et italiens. En la matière, les déclarations sont généralement suivies d'effets et notre présence sur le terrain sera significativement renforcée pour cette phase essentielle.

Pour sa part, la France a pris quatre décisions.

Premièrement, notre porte-avions sera déployé de la fin du mois de septembre à la fin du mois d'octobre. Il permettra de doubler notre capacité de frappe aérienne, déjà très significative, et de disposer de capacités supplémentaires dans le domaine du renseignement.

Deuxièmement, à la demande du gouvernement irakien, le Président de la République a décidé d'autoriser un appui et un soutien accru aux forces irakiennes qui progresseront vers Mossoul, avec la mise en place d'un groupement tactique d'artillerie, basé sur la base aérienne de Qayyarah. Cela offrira un appui à la progression des forces irakiennes à soixante ou quatre-vingts kilomètres de Mossoul et contribuera à la manoeuvre d'encerclement de Mossoul. La présence de ce groupement tactique d'artillerie permettra aussi d'assurer la sécurité de la base. Il est bien évident pour tout le monde – mais redisons-le plutôt dix fois qu'une – que la reprise du territoire irakien et des villes comme Mossoul ne peut être l'affaire que des forces irakiennes – forces kurdes incluses. En aucun cas, nous ne participerons aux initiatives d'action directe sur Mossoul. Ce dispositif complétera un autre dispositif de pièces d'artillerie, déjà engagé en Irak. Il s'agira, pour notre part, d'ajouter quatre pièces d'artillerie à celles déjà engagées en Irak, toujours pour appuyer l'initiative des forces armées irakiennes et kurdes qui auront la responsabilité de reprendre la ville de Mossoul.

Troisièmement, nous allons remplacer l'ensemble des Mirage 2000 par des Rafale. Ainsi, le nombre de chasseurs sur le théâtre baissera de quatorze à douze, mais la capacité de frappe sera renforcée, puisque les capacités d'emport des Rafales sont nettement supérieures à celles des Mirage 2000. Rappelons que nous avons effectué 770 frappes depuis le début de notre présence sur la zone, c'est-à-dire depuis le mois de septembre 2014, y compris avec des missiles de croisière de type SCALP-EG (Système de croisière conventionnel autonome à longue portée - Emploi général).

Quatrièmement, nous renforcerons nos capacités de renseignement afin que l'information des forces qui seront amenées à reprendre le territoire de Mossoul soit améliorée.

Il est toujours un peu difficile de préciser un calendrier, mais ce plan reprend exactement le dispositif qui m'avait été présenté, lorsque je me suis rendu, au mois d'avril dernier, à Bagdad et à Erbil. Simplement, il a mûri et comporte de nouveaux volets, et, avec les chutes de Qayyarah et de Falloujah, les choses sont allées plus vite qu'on ne l'imaginait. Ce dispositif peut donc se mettre en place relativement rapidement, mais je ne suis pas en mesure de vous donner une date précise : qui dit manoeuvre d'encerclement dit positionnement des différents acteurs sur un certain nombre de sites avant d'attaquer la ville de Mossoul proprement dite.

En Syrie, la stratégie consiste à isoler Raqqa par le nord, en privant Daech de la zone de Manbij, et donc de son accès à la frontière, mais aussi, par le sud, à partir de la frontière irakienne, à Abu Kamal. L'objectif est bien sûr de reprendre la ville, et les deux actions doivent être articulées, mais je ne peux, à cet instant, vous dire qu'elles seront concomitantes. En l'absence de forces significatives suffisamment disponibles à ce stade, la situation est moins simple en Syrie qu'en Irak. Falloujah a été prise par une force de 50 000 hommes ; les Kurdes et les Arabes qui attaquent Manbij sont moins de 5 000… Et il faudrait un effectif d'environ 10 000 personnes pour reprendre Raqqa, l'idée étant de renforcer des forces arabes de ce secteur en complément des forces kurdes, mais nous n'y sommes pas encore. Tout nous laisse cependant à penser que nous pourrons atteindre cet objectif au cours des prochaines semaines, d'autant la victoire pourrait intervenir rapidement à Manbij.

J'ai fait allusion tout à l'heure aux relations entre la Russie et les États-Unis dans la zone. Leurs discussions pourraient se résumer de la manière suivante : la préoccupation des Russes est Jabhat al-Nosra, qui n'est pas Daech, mais qui combat Daech. Ce n'est pas non plus Al-Qaïda, mais ce sont aussi des terroristes. Aussi les Russes s'inquiètent-ils de la solidité de ce groupe, qui va croissant à mesure que Daech rencontre des difficultés. Un partenariat potentiel pourrait se dessiner, on identifie avec les Russes les limites, le pourtour, la localisation des groupes liés à Jabhat al-Nosra, on en sépare les groupes qui combattent vraiment Daech, et qui récemment ont eux-mêmes été l'objet de l'action combinée des Russes et des forces armées syriennes, et on frappe, éventuellement ensemble, Jabhat al-Nosra ; en contrepartie, les forces syriennes renonceraient à leur aviation pendant l'ensemble de ces opérations. Voilà où nous en sommes à l'heure actuelle. Les chances de succès d'un tel processus sont aléatoires, mais le concept a le mérite d'exister et il pourrait amener à une forme de stabilisation humanitaire et à la reprise de discussions à Genève ; mais, à l'heure où je vous parle, on ne peut pas dire qu'il soit concrétisé. Voilà toutes les informations dont je dispose à propos de l'action contre Daech en Syrie.

Mon sentiment est que la stratégie des Forces armées et de sécurité syriennes (FASS) de Bachar el-Assad n'est pas d'aller attaquer Raqqa. L'appui russe ne suffirait pas, le site est éloigné, il faudrait un soutien aérien à plus long rayon d'action. Nous avions pu l'envisager lorsque ces forces ont repris Palmyre, mais la question ne me paraît plus à l'ordre du jour. Le sujet principal, c'est la discussion dont je viens de vous parler.

Quelques mots, maintenant, sur la Libye, notamment pour répondre au président Raffarin. Nous menons – heureusement – des actions de renseignement. Hélas, trois membres de nos services y ont laissé la vie. Il s'agissait une mission d'identification de cibles, qui a dû être rendue publique du fait de la mort de ces trois sous-officiers, auxquels je rends hommage. Je ne peux pas en dire davantage, mais je suis disponible pour la délégation parlementaire au renseignement, seule habilitée à entendre mes propos sur ce point pour en parler.

Cela m'amène à la question des dommages collatéraux à Manbij, évoqués vendredi dernier par l'Observatoire syrien des droits de l'homme. Il est notamment question de pertes civiles, dont le nombre a varié au fil des déclarations. La coalition est extrêmement vigilante sur le risque de dégâts collatéraux de ses frappes. Il y a plutôt trois contrôles que deux. Un jour où je m'étais rendu à H5, cette base française en Jordanie que certains d'entre vous ont pu visiter, les pilotes me montraient des photographies de files de camions qui attendaient d'être remplis d'essence pour aller la vendre ailleurs et procurer des ressources à Daech. Ils m'interrogeaient : « Comment se fait-il que nous n'ayons pas le droit de les frapper ? » La raison était qu'avec les camionneurs nous risquions de causer des pertes civiles. La vigilance est donc de rigueur. Aujourd'hui, nous envoyons des tracts pour prévenir de nos frappes – mais nous frappons. La vigilance sur les risques collatéraux demeure.

Par ailleurs, nous pouvons toujours décider de ne pas participer si nous estimons que les risques de dommages collatéraux sont trop importants ou insuffisamment évalués. L'Observatoire syrien des droits de l'homme publie régulièrement des informations. Leur fiabilité est parfois aléatoire. Quoi qu'il en soit, le ministre américain a demandé une enquête sur cette affaire, dont les conclusions seront rendues publiques.

En Libye, notre objectif n'a pas changé. Il existe un Gouvernement reconnu par la communauté internationale et dirigé par M. Sarraj ; il importe que ce Gouvernement soit respecté et fédère autour de lui l'ensemble des forces politiques mais également militaires, et que les milices, entre autres celle de Misrata qui a attaqué Syrte par l'ouest il y a peu, et l'armée nationale libyenne du général Haftar, se retrouvent sous une autorité politique et militaire unique autour de M. Sarraj. Toutes les forces qui luttent en Libye contre Daech doivent intégrer cette donnée, car c'est l'intérêt de la Libye et une nécessité pour le gouvernement d'union nationale.

Misrata a attaqué Syrte, mais Daech résiste. Les troupes liées au général Haftar ont attaqué Benghazi, qui tombera vraisemblablement. Les groupes alliés à Daech ou authentifiés Daech s'éparpillent quelque peu vers le sud, ce qui pose d'autres problèmes. Il importe que l'action militaire se poursuive pour sortir Daech de Syrte, qui y dispose d'environ 3 000 combattants.

On peut espérer que l'opération Sophia décidée par l'Union européenne et aujourd'hui en cours de constitution, après avoir été validée par le Conseil de sécurité, et dont la vocation est de faire respecter l'embargo sur les armes, mettra un terme à ce trafic. Nous attendons du président Sarraj qu'il prenne les initiatives nécessaires. S'il a besoin d'aide, qu'il s'adresse à ceux qui peuvent l'aider.

Nous tâchons de faire pression sur ceux qui peuvent avoir de l'influence sur les uns et les autres en vue de rendre possible une véritable chaîne de commandement dans la lutte contre Daech. À cette heure, nous n'y sommes pas encore.

Quelques mots sur les opérations intérieures. Nous avons été conduits, à la demande du Président de la République, à maintenir après les attentats de Nice le niveau maximum de la force Sentinelle, c'est-à-dire à mobiliser 10 000 hommes pendant la période estivale, en équilibrant les efforts entre Paris et la province et en privilégiant davantage les modes d'action dynamiques et visibles, avec une priorité au contrôle des flux – en particulier le soutien au contrôle des frontières –, aux grands rassemblements estivaux et au contrôle des voyageurs. À l'heure où je vous parle, 6 000 militaires sont engagés dans des missions de protection en province, en raison des migrations estivales, et 4 000 à Paris. Les réquisitions effectuées par les préfets couvrent 1 500 sites et une cinquantaine de grandes manifestations estivales.

Ce maintien des effectifs à 10 000 hommes est engagé jusqu'à la fin du mois d'août. Cela représente des contraintes lourdes : nombre de ces militaires ont dû renoncer à leurs permissions ou ont même été rappelés de permission. Ils les prendront, mais plus tard. J'en ai rencontré quelques-uns depuis lors ; le moral tient bon, en raison de l'urgence et de la nécessité de préserver l'intégrité de notre territoire. Mais ils méritent de la considération, car tout s'est passé sans que personne ne rechigne, Mais ce dispositif ne peut aller au-delà de la fin du mois d'août parce que cela nous ferait entrer dans un cycle différent et cela risquerait de pénaliser notre préparation opérationnelle globale.

Les choses ont changé depuis les attentats de 2015. Nos forces armées, dans le cadre de l'opération Sentinelle, sont de plus en plus orientées vers des actions mobiles qui correspondent à leurs savoir-faire, notamment dans le contrôle des flux et le contrôle de certaines zones sensibles. À toute chose malheur est bon : c'est là une évolution tout à fait positive, et qui doit se poursuivre.

Nous avons décidé de leur accorder des encouragements financiers supplémentaires, en particulier de doubler la prime d'alerte opérationnelle. Nos soldats ne le savent pas encore, mais ils l'apprendront dans les jours qui viennent. Ils méritent cette compensation en raison de l'ampleur de la contrainte qui leur est imposée.

Un rapport pertinent a été rédigé par les sénateurs Gisèle Jourda et Jean-Marie Bockel sur les réserves. Mon objectif, que j'ai déjà évoqué à plusieurs reprises devant vous, est de passer de 28 000 à 40 000 réservistes en 2019. Nous en sommes à 30 000. Actuellement, 700 réservistes sont engagés sur le territoire national chaque jour. Vous me direz que c'est plus facile en période estivale ; c'est vrai, mais ils sont tout de même là. Ce mouvement de renforcement de la réserve recueille un fort assentiment national. La demande est forte. L'intégration se fait progressivement au sein des régiments concernés. C'est un travail de longue haleine, mais la procédure est très opportune. Les conclusions du rapport me paraissent souhaitables. Mais nous ne recrutons pas des réservistes uniquement pour servir dans l'opération Sentinelle : ce sont des soldats pleins et entiers, qui peuvent partir aussi en opérations extérieures, Barkhane ou autre, ce qui nécessite une formation en conséquence. Ce n'est pas le même concept que la réserve opérationnelle de la gendarmerie, dont les missions n'ont pas le même périmètre. Il nous faudra donc veiller à la bonne articulation de la réserve des armées et de la réserve opérationnelle de la gendarmerie. Le travail des députés Marianne Dubois et Joachim Pueyo m'aide également à mettre ce mouvement en oeuvre. Tout se passe dans un bon état d'esprit et je souhaite que cela continue ainsi.

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