Le projet de loi relatif à la liaison ferroviaire entre Paris et l'aéroport Roissy-Charles de Gaulle est un texte court, de deux articles, mais qui porte sur un sujet difficile et important. Difficile, car ce projet d'infrastructure, élaboré au début des années 2000 pour répondre au développement du hub international de Roissy, aura eu du mal à voir le jour. Important, car contrairement à d'autres aéroports internationaux, souvent directement en concurrence avec la place de Paris, l'aéroport de Roissy ne bénéficie pas d'une desserte dédiée depuis le centre-ville, ce qui oblige les passagers aériens à emprunter la route via les autoroutes A1 et A3 ou les transports collectifs via le RER B. Or ces voies d'accès sont aujourd'hui en état de saturation aux heures de pointe.
Les deux autoroutes sont déjà, depuis de nombreuses années, parmi les axes les plus chargés d'Île-de-France, et engendrent de fortes pollutions ; le trafic généré par l'aéroport représente un tiers de la circulation journalière moyenne sur ces autoroutes. Quant au RER B, deuxième ligne ferroviaire du réseau avec un flux quotidien de près de 900 000 voyageurs, il est d'ores et déjà fortement saturé par les trajets domicile-travail. Il constitue une réponse au besoin de transport des voyageurs du quotidien et non de celui des usagers aériens, encombrés de bagages volumineux. Cette ligne est donc peu attractive pour les touristes internationaux et les hommes d'affaires ; seulement 12 % d'entre eux l'empruntent.
La plateforme aéroportuaire est donc handicapée par ses accès. Cette médiocre situation ne peut que se détériorer dans les années à venir, du fait de l'augmentation attendue des flux touristiques, mais aussi du développement de l'urbanisme commercial et du logement dans ce quadrant nord-est de la métropole parisienne. Si aucune mesure d'envergure n'est prise, les accès à la capitale présentent donc, dans ce secteur, un risque réel d'asphyxie.
Si les enjeux économiques sont majeurs, les défis environnementaux ne le sont pas moins. CDG Express favorisera le report modal. La part modale de la route hors transports collectifs réguliers devrait passer de 56 % actuellement à 39 % avec ce projet – mes chiffres diffèrent légèrement de ceux de M. le secrétaire d'État. On pourrait ainsi éviter le rejet de 6 500 tonnes de CO2 chaque année en moyenne. Autre avantage, et non des moindres : la désaturation de la ligne B à laquelle contribuera également la ligne 17 prévue dans le Grand Paris Express. Cette nouvelle liaison ferroviaire de trente-deux kilomètres, sans arrêt entre Roissy et la gare de l'Est, sera spécifiquement adaptée aux besoins des passagers aériens. Le trajet est étudié pour une durée de vingt minutes, avec un train au départ toutes les quinze minutes, de cinq heures à minuit, toute l'année.
Sur la longueur totale des trente-deux kilomètres, il est prévu que CDG Express circule sur vingt-quatre kilomètres de voies existantes – aujourd'hui principalement utilisées par la ligne K du Transilien et par le TER Paris-Laon ; les huit kilomètres restants, de Mitry-Mory jusqu'à l'aéroport, seront des voies nouvelles, longeant le tracé de la LGV. La construction d'un ouvrage au niveau de la porte de La Chapelle est enfin prévue, afin de relier le faisceau nord des voies à la sortie de la gare de l'Est.
Si, depuis les années 2000, le tracé de ce projet n'a pas varié, il n'en va pas de même du montage, qui a été profondément modifié après l'échec des négociations pour la concession globale, infrastructure et exploitation, au groupe Vinci. À l'issue de discussions menées avec Aéroports de Paris et SNCF Réseau sur une nouvelle mouture juridique et économique, le Gouvernement a décidé de relancer officiellement le projet en octobre 2014, en séparant, cette fois, la mission de gestionnaire d'infrastructure de celle d'opérateur de transport. Il a également décidé d'imposer un calendrier : il s'agit de pouvoir mettre CDG Express en service en décembre 2023, afin de l'inscrire pleinement dans la temporalité de la candidature de la France pour l'accueil des Jeux Olympiques de 2024, puis de l'Exposition universelle l'année suivante.
Le projet de loi qui nous est présenté aujourd'hui comprend deux articles.
L'article 1er consiste à ratifier l'ordonnance du 18 février 2016, qui permet à l'État de signer de gré à gré un contrat de concession avec une société de projet, filiale de SNCF Réseau et d'Aéroports de Paris, pour la mission de conception, le financement, la réalisation et l'exploitation de l'infrastructure ferroviaire du CDG Express. Il n'est pas exclu que la Caisse des dépôts et consignations figure également parmi les actionnaires de la société. La direction générale des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM) a indiqué que cette société pourrait être effectivement constituée dès la fin de l'année 2016. Il n'y a donc pas de mise en concurrence pour l'attribution de cette concession. C'était là l'une des conditions nécessaires pour ne pas retomber dans les difficultés de procédure du premier projet.
L'article 2, quant à lui, porte sur le choix de l'exploitant du service de transport. Il vise à permettre, compte tenu des spécificités du projet, sa désignation par voie d'appel d'offres, selon les mêmes modalités que celles retenues pour les exploitants du Grand Paris Express. Cette procédure de mise en concurrence devrait être lancée dès 2017. La rédaction de cet article laisse une grande latitude à l'État dans le choix du type de mise en concurrence qui sera utilisé pour désigner l'exploitant, ce qui a été validé par le Conseil d'État. L'article dispose simplement que le processus devra respecter les principes généraux de liberté d'accès à la commande publique, d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures. Il est ainsi acquis que d'autres entreprises que SNCF Mobilités pourront faire acte de candidature et se voir éventuellement attribuer l'exploitation du service.
Si le choix de la procédure de désignation ne pose aucun problème juridique, il convient, en revanche, d'être vigilant sur l'éventualité d'une rupture d'égalité de traitement des candidats, en raison du régime juridique des gares ferroviaires. En effet, au cours des auditions, la vice-présidente de l'Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (ARAFER) s'est inquiétée de l'avantage comparatif indu que pourrait donner de facto à SNCF Mobilités, si elle se porte candidate, le fait que sa branche Gares & Connexions détienne la gestion de la gare de l'Est et d'au moins une partie de la future gare CDG Express de l'aéroport.
Il semble donc important que le Gouvernement, qui doit se prononcer prochainement sur la gestion des gares de voyageurs, puisse analyser et résoudre cette question juridique avant l'engagement de la procédure de mise en concurrence sur le CDG Express. Néanmoins, sur l'ensemble de ce montage juridique, infrastructure et exploitation, votre rapporteur a interrogé le professeur Stéphane Braconnier, spécialiste du droit des marchés publics, qui a souligné que, même si le droit positif de l'Union européenne invite plutôt à proposer un schéma inverse, le montage choisi n'est pas pour autant incompatible avec la politique européenne de la concurrence. Il n'est d'ailleurs pas inédit. La DGITM et les autres porteurs du projet ont ajouté que ce schéma avait recueilli l'assentiment des trois directions concernées de la Commission européenne, au motif que l'équilibre global était conforme aux exigences de transparence et de libre concurrence.
Dans ce nouveau montage du projet, en plus de l'apport en fonds propres des partenaires, le financement de l'investissement sera réalisé grâce à la dette contractée auprès de prêteurs privés et publics. L'équilibre du plan de financement global a nécessité d'introduire une taxe perçue sur les passagers de l'aéroport de Roissy, à l'exclusion des correspondances.
La mise en place de cette taxe n'est pas examinée dans le cadre de ce projet de loi, mais devrait l'être en loi de finances rectificative à la fin de l'année pour un montant, a priori, de 1 euro par billet.
Le bouclage de ce plan de financement est d'autant plus nécessaire que l'estimation du coût du projet est passée de 780 millions d'euros à 1,4 milliard, aux conditions économiques de janvier 2014. Cet écart s'explique non seulement par l'inflation, mais surtout par la prise en compte de l'évolution de la réglementation, d'une enveloppe de 125 millions d'euros dédiée à des aménagements sur le RER B pour que le CDG Express ne pénalise pas son fonctionnement, de divers autres aménagements nécessaires ainsi que des provisions pour couvrir d'éventuels surcoûts.
Le Conseil d'État a considéré que l'ensemble de ces modifications imposait l'organisation d'une nouvelle enquête publique, afin de confirmer l'utilité de ce projet. Celle-ci s'est tenue en juin et juillet 2016, et le rapport du commissaire enquêteur devrait paraître dans les jours à venir.
Le Gouvernement n'a pas jugé nécessaire de procéder à une nouvelle étude d'impact. Si l'Autorité environnementale a estimé que l'environnement avait évolué et appelé à cette nouvelle étude, le Conseil d'État a toutefois donné raison au Gouvernement au motif que le tracé du projet n'avait pas, lui, évolué par rapport à la version initiale.
Dans le cadre de la préparation de ce texte, nous avons organisé dix-sept auditions officielles, et j'ai moi-même eu onze autres rencontres avec des interlocuteurs importants.
Il ressort de ces échanges une conjonction remarquable de volonté des responsables favorables au projet, qu'il s'agisse du Gouvernement, de plusieurs représentants des collectivités territoriales franciliennes, de SNCF Réseau ou d'Aéroports de Paris, entre autres, qui relèvent tous l'enjeu que représente Charles-de-Gaulle Express pour l'attractivité de la place de Paris.
Nos différents interlocuteurs, favorables ou non au projet, ont parfois relevé des interrogations qui dépassent le cadre et la lettre du projet de loi. Il n'est pas question ici de discuter le projet en lui-même – le législateur l'a lui-même validé à trois reprises en 2006, en 2010, en 2015 – mais de préciser les modalités juridiques de sa réalisation, et de travailler collectivement à accroître son acceptabilité auprès de la population. Toutefois, s'ils ne sont pas dans notre champ d'examen aujourd'hui, je relèverai trois sujets majeurs de vigilance, que je souhaite indiquer ici à M. le secrétaire d'État.
Premièrement, il s'agit de bien s'assurer que la création du CDG Express sera concomitante avec la modernisation du RER B et ne créera pas de perturbations de son fonctionnement, à l'heure où le Gouvernement et le STIF ont engagé avec succès, en 2013, l'opération RER B + qui a permis d'améliorer les conditions de circulation. Je ne peux que me réjouir qu'une enveloppe de 125 millions soit comprise dans le plan de financement du CDG Express, spécifiquement pour l'amélioration du RER. Toutefois, il est apparu que la démarche d'information et de concertation avec les habitants et les territoires concernant la bonne coexistence de ces services ferroviaires, notamment en cas de situation perturbée, a sans doute été insuffisante. Or, au regard de la situation extrêmement difficile vécue par les passagers quotidiens du RER, ce point doit faire l'objet de toute l'attention des pouvoirs publics.
Deuxièmement, il s'agit, pour le 18e arrondissement de Paris, très impacté par l'arrivée du CDG Express, de saisir l'opportunité de la réalisation de cette infrastructure pour développer un programme global d'aménagement ambitieux et valoriser cette zone urbaine, déjà très dense et encombrée. Je pense notamment à l'aménagement de la Porte de La Chapelle, mais également au projet du parc urbain Chapelle Charbon, ainsi qu'à la zone d'activités Cap 18. La DGITM nous a indiqué que le traitement phonique et visuel des ouvrages à réaliser était étudié attentivement. Même si les propositions semblent à ce stade intéressantes, il apparaît utile de les développer en concertation plus approfondie avec la Ville de Paris, comme c'est déjà le cas, mais aussi avec les acteurs politiques et les riverains de cet arrondissement.
Enfin, la question du financement du projet appelle deux remarques.
La première porte sur l'apport en capital des deux sociétés. Si la contribution d'ADP ne pose pas de difficultés à cette société anonyme cotée et prospère, celle de SNCF Réseau, entreprise publique et endettée, pourrait être plus problématique au regard de la « règle d'or » que le législateur lui a fixée en termes d'investissements. Aussi, monsieur le secrétaire d'État, serait-il nécessaire de nous dire comment vous envisagez le traitement de cette question.
La deuxième remarque porte sur le projet de taxe sur les billets d'avion. Si elle n'est pas traitée dans ce projet de loi, cette taxe s'avère néanmoins indispensable à l'équilibre financier de l'opération. Or elle inquiète les compagnies aériennes que nous avons entendues – Air France particulièrement – qui font face à une concurrence extrêmement forte et qui ont des marges de manoeuvre très faibles. Les compagnies se sont notamment interrogées sur la faisabilité de l'élargissement de l'assiette à d'autres recettes de l'aéroport, notamment les boutiques ou les parkings.
Je terminerai par un message : ce projet qui a si longtemps attendu doit aujourd'hui recevoir notre validation, afin d'être réalisé dans le calendrier contraint qui lui est assigné. C'est la raison pour laquelle la procédure accélérée a été décidée. Pour tenir les délais, il importe que la société de projet soit créée avant la fin de cette année, et que dès les premiers mois de 2017, s'engagent les procédures de choix de l'opérateur de transport, ainsi que les premières opérations de réalisation. Enfin, la taxe sur les billets d'avion présentée en loi de finances rectificative pourrait être mise en place, d'après ce que nous a expliqué la DGAC, le 1er avril 2017, si le Parlement y consent.