Je suis très heureuse de vous retrouver pour engager le travail sur ce projet de loi. Cette discussion est un rendez-vous important pour nos territoires, qui attendent de nouveaux progrès et de nouvelles avancées. Il y a soixante-dix ans, Aimé Césaire, Léopold Bissol, Gaston Monnerville et Raymond Vergès s'unissaient dans un combat politique pour la reconnaissance des outre-mer et la consolidation des piliers de la République dans ces territoires : la loi de départementalisation de la Guadeloupe, de la Martinique, de La Réunion et de la Guyane a permis de franchir des étapes essentielles sur le chemin de l'égalité, des droits sociaux notamment. C'est en quelque sorte la marche de l'histoire que nous devons sans cesse nous rappeler. Robert Badinter expliquait le nécessaire travail de mémoire, un travail qui permet de « revenir aux sources, dresser le bilan, ouvrir des voies nouvelles ». Voilà ce à quoi nous devons nous atteler maintenant : ouvrir des voies nouvelles.
En 2016, les progrès accomplis sont importants – nous en sommes tous conscients –, mais les écarts de niveau de vie demeurent persistants : je pense au chômage, au taux de pauvreté, aux inégalités de revenu, au taux d'illettrisme, mais aussi à la mortalité infantile, domaine dans lequel nous sommes dans la situation qui était celle de l'Hexagone il y a vingt ans. Cette réalité constitue une insulte aux principes républicains et enferme nos concitoyens des départements et collectivités d'outre-mer dans des conditions de vie particulièrement pénibles. Il nous faut donc poursuivre et parachever la dynamique de développement et l'accompagner de politiques volontaristes. Il nous faut permettre aux Ultramarins de bénéficier des mêmes opportunités que les Métropolitains, qu'il s'agisse des conditions de vie, de l'accès aux droits, de l'éducation ou du développement personnel et professionnel. C'est cela, l'égalité républicaine.
Le Gouvernement a ainsi souhaité qu'un projet de loi soit présenté au Parlement, pour faire du principe d'égalité une réalité pour les près de trois millions de compatriotes résidant dans les DOM, les COM et la Nouvelle-Calédonie. C'est pourquoi le Président de la République et le Premier ministre ont confié à Victorin Lurel le soin de rédiger un rapport visant à préparer ce rendez-vous législatif. Ce dernier est l'aboutissement d'un long et exemplaire processus de concertation et de consultation : universitaires, socio-professionnels – notamment via le Conseil économique, social et environnemental (CESE) – et, bien entendu, parlementaires ont été mobilisés dans des délais très contraints. Je souhaite ici rendre hommage au travail des députés et sénateurs, tous territoires et tendances politiques confondus : votre voix compte, et votre rôle sera essentiel, tout au long de notre discussion. Cette mobilisation démontre notre capacité à construire un projet pour une France qui se pense au-delà des frontières hexagonales.
Le texte qui vous est soumis ne constitue que la première étape d'une stratégie globale en faveur de l'égalité réelle outre-mer. Il détaille les principes, les outils, la méthodologie et plusieurs mesures économiques et sociales y contribuant. Je souhaite maintenant vous en présenter les différents volets.
Le titre Ier définit les principes et l'objectif à atteindre pour l'égalité réelle. Il est nécessaire d'affirmer un horizon commun pour la conduite des politiques publiques dans les outre-mer. Cet horizon, c'est celui de l'égalité réelle. Il permet de poser le cadre d'une stratégie destinée à engager un nouvel élan.
L'histoire républicaine des outre-mer doit continuer de s'écrire, et cette nouvelle page sera celle de l'égalité réelle. Ma conviction profonde est que nous sommes arrivés au bout d'un modèle qui a consisté, exclusivement, à réduire les écarts immenses entre l'Hexagone et les outre-mer, sans toujours y parvenir, notamment en termes d'opportunités de développement ou de droits sociaux.
Selon moi, il faut définir une nouvelle approche stratégique, qui doit s'inscrire pleinement dans le projet républicain. Les outre-mer disposent chacun de singularités constituant autant d'atouts pour l'attractivité de ces territoires. Nous entrons aujourd'hui dans une nouvelle étape de notre histoire, celle de la mise en place d'un modèle économique et social dynamique, puissant, solidaire, tourné vers l'environnement régional de chaque territoire, qui permette aux Ultramarins de libérer pleinement leur potentiel et aux territoires d'être des atouts pour le développement et la réussite française au sein d'aires géoéconomiques en pleine expansion.
C'est dans cette perspective que le projet de loi, dans sa première partie, est consacré à l'ensemble des mesures de programmation pour l'égalité réelle. Il affirme que cette égalité entre les outre-mer et l'Hexagone constitue une priorité de la Nation, et définit les objectifs des politiques publiques qui y concourent. C'est ce qui permettra d'accroître les niveaux de vie, de réduire les inégalités, d'encourager le développement des territoires, bref de faire en sorte que ces territoires et leurs habitants bénéficient des mêmes opportunités que leurs compatriotes de l'Hexagone.
L'égalité est, bien sûr, inscrite dans nos principes républicains mais, à l'instar de la République, elle ne saurait être seulement évoquée ou invoquée, alors qu'aujourd'hui encore elle n'est qu'un vain mot pour certains Français. Il nous faut donc, ensemble, assurer à toutes les citoyennes et à tous les citoyens, quels que soient leurs lieux d'habitation, leur couleur de peau, leur identité culturelle ou cultuelle, les moyens adaptés pour se réaliser et progresser dans notre société. Notre devoir est de faire prévaloir la solidarité nationale.
Dès ma nomination au secrétariat d'État à l'égalité réelle auprès du Premier ministre en février dernier, je l'avais déclaré : l'égalité ne se décrète pas ; elle est un processus, un projet de société qui s'inscrit dans le long terme et concerne des territoires qui connaissent de grandes disparités structurelles, du fait, entre autres, de l'éloignement géographique, de dotations inégales en ressources naturelles ou encore d'une attractivité touristique plus ou moins grande. Avancer sur le chemin de l'égalité réelle, c'est prendre en compte ces différences et les aborder avec des outils adaptés.
C'est ce projet, cette stratégie globale que nous vous proposons d'inscrire dans la loi. Un texte de loi qui définit une ambition, une méthodologie et des outils. Un texte de loi qui irriguera les futures politiques publiques mises en place.
Une fois l'objectif posé, il nous faut définir une méthode d'action. C'est l'objet du titre II, qui crée, à cette fin, un nouvel instrument de planification de la trajectoire de convergence et de réduction des écarts de développement, territoire par territoire : le plan de convergence.
Les plans de convergence permettront de définir une méthode commune à tous les acteurs pour concrétiser l'égalité réelle. Ils seront le fruit d'un travail de coconstruction qui impliquera les citoyens, les associations, les acteurs économiques, les collectivités et les corps constitués. Cette méthode constitue une condition sine qua non pour que les plans répondent effectivement aux besoins locaux et que les différents acteurs se les approprient pleinement.
Les plans de convergence préciseront ainsi les mesures et actions à mettre en oeuvre pour atteindre les objectifs. Ils comprendront notamment un volet relatif au périmètre et à la durée du plan ; un diagnostic économique, social, financier et environnemental ; une stratégie de convergence ; des actions opérationnelles ; des expérimentations ; une programmation financière et un tableau de suivi. Ils s'appuieront sur les outils contractuels déjà existants.
La Commission nationale d'évaluation des politiques de l'État outre-mer (CNEPEOM) assurera le suivi du plan de convergence de chaque collectivité. Cette démarche d'évaluation permettra de mesurer les progrès réalisés, les objectifs atteints, les endroits où il reste encore du travail à faire. Cette évaluation s'appuiera notamment sur un tableau de bord, qui regroupera les principaux indicateurs de la convergence, prenant en compte les spécificités locales.
Cette démarche de contractualisation permettra d'installer une dynamique collective pour mutualiser les moyens et définir une stratégie partenariale, et les plans de convergence, élaborés de manière participative, se présenteront sous la forme d'un document de programmation transverse, contractualisé et d'une durée de dix à vingt ans.
Un horizon défini, une méthodologie efficace sont ainsi proposés dans ce projet de loi, qui contient aussi des mesures visant à renforcer le modèle social des territoires ultramarins et leur développement économique.
Le titre III est consacré à des dispositions sociales en faveur de l'égalité dans le département de Mayotte. La recherche de l'égalité sociale constitue un thème toujours actuel et attendu par nos concitoyens ultramarins. Depuis soixante-dix ans, la gauche a été au rendez-vous du progrès, et a porté des avancées concrètes. Ainsi, sous l'impulsion de Michel Rocard, les allocations familiales ont-elles été alignées, en 1993, sur les montants hexagonaux. Et en 2000, quatre ans après l'alignement du SMIC sous l'égide du gouvernement de Lionel Jospin, la loi d'orientation pour l'outre-mer a aligné le RMI en deux ans.
Deux articles prévoient des mesures relatives à l'égalité sociale à Mayotte, où la départementalisation est intervenue il n'y a que cinq ans. Je précise que le volet social de ce texte aura vocation à être affiné, complété et enrichi durant l'ensemble du processus parlementaire. Des avancées volontaristes et équilibrées pourront ainsi être obtenues de concert.
Le premier objectif de ce titre est d'accélérer la logique de convergence à l'oeuvre, afin de permettre à nos compatriotes mahorais de disposer d'une politique familiale renforcée. C'était l'engagement pris par le Premier ministre Manuel Valls dans le document stratégique « Mayotte 2025 », signé en juin 2015. Nous le réalisons dans ce projet de loi.
Rappelons que, depuis mai 2012, de nombreuses avancées ont déjà eu lieu grâce au concours actif des services du ministère des affaires sociales et de la santé : alignement de l'allocation de rentrée scolaire, hausse significative du RSA, mise en place des allocations logement, instauration de la prime d'activité.
L'article 9 prévoit d'accélérer le rythme d'augmentation des allocations familiales. Il prévoit également, comme dans les DOM « historiques », la mise en place du complément familial outre-mer. De plus, ce même article procède à l'extension des compléments de l'allocation d'éducation de l'enfant handicapé (AEEH) à Mayotte, et ce aux mêmes conditions que dans l'Hexagone. Ces différentes mesures permettront de renforcer le soutien apporté aux familles, en particulier aux foyers les plus modestes, alors que le PIB par habitant n'atteint pas, dans ce département, 30 % de la moyenne nationale.
Le deuxième objectif est d'accompagner la mise en place d'un système complet d'assurance vieillesse dans ce département. L'article 10 institue notamment un dispositif spécifique de garantie des pensions des salariés du secteur privé, ce « minimum contributif » devant permettre aux retraités ayant cotisé de manière significative au titre de la retraite de disposer d'une pension supérieure à l'allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA), actuellement inférieure à 400 euros par mois. L'article prévoit par ailleurs la mise en oeuvre simultanée des systèmes de retraite complémentaire obligatoire existant dans l'Hexagone et dans les six autres collectivités ultramarines régies par le droit social national. Ce volet est ainsi une étape importante dans le développement humain de nos territoires.
Enfin, le titre IV vise à ouvrir de nouvelles opportunités économiques et à faciliter l'initiative entrepreneuriale. Les outre-mer seront amenés à faire face dans les prochaines années à d'importants défis démographiques, sociaux mais aussi économiques, et je crois profondément que nous devons proposer une nouvelle vision, un nouveau modèle économique pour nos territoires. J'évoquais la fin d'un processus : il nous faut inventer l'avenir. Les douze territoires des outre-mer ne sauraient être à part dans la réussite économique de la France. Ils en sont parties prenantes, et doivent être mieux connus, et reconnus en tant que tels.
Cessons de voir ces territoires comme des périphéries, des lieux d'exotisme, mais considérons tout leur potentiel et leurs atouts, géopolitiques et surtout humains. Prenons l'exemple entrepreneurial : le tissu économique y est composé pour près de 90% par de petites et moyennes entreprises, et le dynamisme de la jeunesse ultramarine est avéré. Les outre-mer sont des terres d'innovation, une innovation qui s'appuie sur des traditions, des savoir-faire, des échanges commerciaux diversifiés. À nous de les renforcer et de les développer.
Plusieurs dispositions sont ainsi prévues dans le titre IV, notamment en matière de formation. À Mayotte, nous proposons de renforcer l'accès des personnes à la formation puis à des emplois de haut niveau dans les administrations publiques et dans le secteur privé. Nous nous inspirons pour cela du dispositif « cadres avenir », qui a très bien fonctionné en Nouvelle-Calédonie.
Pour compléter les dispositifs en faveur de la jeunesse ultramarine dans l'ensemble des territoires, le projet de loi définit un nouveau dispositif de continuité territoriale financé par le fonds de continuité territoriale géré par l'Agence de l'outre-mer pour la mobilité (LADOM). Ainsi, les élèves et étudiants qui effectuent un stage dans le cadre de leur formation professionnelle à l'extérieur de la collectivité de leur établissement pourront bénéficier d'une aide. Il s'agit d'une substantielle avancée en matière de mobilité.
Favoriser les dispositifs de formation est aussi l'objectif poursuivi par l'article 13. Il permet d'étendre la possibilité d'intégrer les travailleurs informels dans une démarche de validation des acquis de l'expérience (VAE) en contrepartie de leur insertion dans un parcours de formalisation progressive de leurs activités.
Enfin, les articles 14 et 15 sont des dispositions techniques permettant d'assurer la modération des prix par les transporteurs maritimes et via la lutte contre la concentration des activités commerciales.
Ce projet de loi constitue un véritable levier économique et social pour les outre-mer. Il a pour ambition de les inscrire dans une démarche d'excellence économique, environnementale et éducative, mais aussi de combler les retards sociaux – plus d'une vingtaine d'années en termes d'indice de développement humain (IDH) –, en luttant davantage contre la pauvreté et les inégalités, notamment en investissant encore plus dans le capital humain. Cette démarche, c'est celle de l'égalité réelle.
Ce projet ambitieux, je souhaite qu'il soit affiné, complété et enrichi durant l'ensemble du processus parlementaire, et notamment en ce qui concerne son volet social. Je serai très attentive à vos propositions et souhaite que nous concrétisions notre ambition.
La loi sur l'égalité réelle outre-mer sera l'un des derniers vecteurs législatifs du quinquennat. Nous devons donc être à la hauteur de ce rendez-vous et participer ainsi au renforcement de l'inclusion républicaine de ces territoires.