Intervention de Jean-Claude Fruteau

Réunion du 20 septembre 2016 à 16h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Claude Fruteau, président de la délégation aux outre-mer :

Monsieur le président, permettez-moi tout d'abord de vous remercier de votre invitation. J'y vois la marque de la reconnaissance d'une nécessité : l'expression autonome et persévérante de la voix des outre-mer dans nos débats parlementaires. La géographie, l'économie, les particularités et les situations juridiques sont telles que, parfois, les problèmes spécifiques des outre-mer sont méconnus, ou mal abordés lors de la préparation de ces débats. Je vous sais certes vigilante, madame la ministre, lorsqu'il s'agit de parer à ces risques. Mais enfin les procédures préalables sont complexes, les arbitrages peuvent être aléatoires ; dès lors, il est bon – et cela peut rendre de grands services au Gouvernement – qu'une instance parlementaire endosse en quelque sorte la tenue du veilleur, pour assurer, partout où cela est nécessaire, la prise en considération de ces problèmes spécifiques.

Ce fut une préoccupation constante de notre délégation dès les premiers mois de la législature. Bien entendu, nous n'en sommes pas restés à cette attitude défensive, car nous avons en commun le souci positif de mettre en valeur l'apport spécifique de nos collectivités au sein de la République. Situer la prise en considération, secteur après secteur, projet après projet, des spécificités des outre-mer dans une perspective globale de promotion et de développement de nos territoires : ainsi pourrait être décrit ce qui sert de fil rouge à l'action de la délégation sous ses diverses formes. Vous ne serez donc pas surpris que je suive ce fil pour aborder le présent projet de loi.

On ne peut qu'être frappé, à première lecture, par son architecture, qui constitue en elle-même un appel à l'engagement : le texte parle d'abord stratégie, avant de fonder juridiquement l'objectif général de convergence, puis de définir une série de mesures sectorielles dont on comprend immédiatement qu'elles ne sont que les premières applications du principe consacré par le projet. L'initiative parlementaire trouvera certainement à s'employer, dans le cadre de la présente discussion et plus tard, en vue d'ajouter à ces premières mesures d'autres dispositions allant dans le sens de l'égalité réelle.

La notion de convergence, détaillée dans le titre II, me paraît établir que le concept d'égalité réelle ne peut renvoyer exclusivement, ni même principalement, à l'idée de rattrapage des écarts économiques et sociaux entre les outre-mer et l'Hexagone – comme si l'on pouvait figer à une date donnée une réalité collective toujours en mouvement. Il faut, bien entendu, procéder à de tels rattrapages lorsqu'ils sont nécessaires, et ils le sont souvent. Mais si, comme l'énonce l'exposé des motifs, l'égalité réelle est « un processus que les politiques publiques doivent contribuer à atteindre », alors elle implique l'ouverture d'un dialogue permanent et concret sur des projets positifs de développement, sans se limiter à une perspective strictement mathématique. Les plans de convergence institués par le projet de loi s'inscrivent d'ailleurs dans une tradition française dont, si je ne me trompe, le dernier avatar fut la loi de juillet 1982 par laquelle Michel Rocard a entendu rénover les instruments de concertation de la planification nationale à la française.

C'est dire que ces plans ne réussiront que si l'État, mais aussi les élus des territoires, ont la volonté politique de faire réellement fonctionner les nouveaux instruments créés par la loi, de s'imposer le respect de leurs dispositions, d'assurer le suivi effectif des politiques qu'ils intègrent. Il y aura convergence entre les situations si les engagements contractés pour parvenir à cet objectif sont concrètement substantiels : la convergence ne se fera pas à l'économie.

Nombreux sont les domaines dans lesquels il y a lieu d'ouvrir la perspective de l'égalité réelle. Certains sont traités dans le projet de loi initial ; les débats qui commencent aujourd'hui permettront assurément d'en faire apparaître d'autres, d'autant que la programmation dont il est ici question ne s'épuise pas dans des initiatives à caractère juridique. J'évoquerai deux de ces domaines, en m'inspirant des travaux de la délégation.

Le premier est constitué des politiques d'adaptation et d'atténuation rendues nécessaires par le changement climatique. Les travaux de la délégation sur le sujet l'ont bien montré : nous sommes tous appelés à adapter nos comportements en fonction des phénomènes liés au changement climatique, mais les outre-mer subissent à cet égard, si j'ose dire, une double peine. En butte à ces phénomènes plus que l'Hexagone du fait de leur situation géographique, ils sont en outre désavantagés s'agissant des moyens nécessaires pour en contenir ou en contrer les effets. L'Assemblée nationale a bien voulu adopter la proposition de résolution, votée à l'unanimité par notre délégation, qui traduisait notre préoccupation à ce sujet. Mais peut-être pourriez-vous, madame la ministre, nous donner des précisions sur les initiatives spécifiques aux outre-mer qui ont été prises après la COP21 et dans lesquelles le schéma de l'égalité réelle trouve parfaitement à s'appliquer.

Le second domaine est l'éducation, particulièrement le problème posé par l'instruction dispensée aux jeunes dont la langue maternelle et usuelle n'est pas le français. Nous avons ainsi été alertés sur la situation délicate des jeunes Amérindiens de Guyane par nos collègues Marie-Anne Chapdelaine et Chantal Berthelot ; un rapport à ce sujet, cosigné par Mme Chapdelaine, a été remis au Premier ministre. Voilà l'exemple le plus clair qui soit du fait que l'égalité réelle ne peut pas être mathématique, mais résulte de l'acceptation raisonnée d'une spécificité culturelle. Quelles dispositions ont été prises pour faire suite au constat et aux préconisations de ce rapport ?

En vous posant ces deux questions, madame la ministre, j'exerce au nom de mes collègues, dans le cadre particulier du présent débat, la fonction de veille dont la délégation aux outre-mer a été investie par la Conférence des présidents au début de cette législature. Alors que nous parvenons presque au terme de celle-ci, je forme le voeu que cette fonction – dont, en m'invitant, vous avez bien voulu, monsieur le président, reconnaître l'importance – soit consolidée, du point de vue symbolique et juridique, par le renforcement du fondement juridique de la délégation. Je déposerai un amendement en ce sens.

Avant de conclure, j'aimerais vous livrer un sentiment que je sais partagé par mes collègues de la délégation aux outre-mer, quelle que soit leur appartenance politique. L'égalité réelle commence par l'égalité dans la considération. Or même celle-ci ne nous est pas garantie. Que de fois, lors de discussions, de réunions préparatoires en vue d'apprécier des propositions d'amendements, nous voyons chez nos interlocuteurs des comportements regrettables ! On ignore nos spécificités ; on les sous-évalue ; on feint de découvrir les implications ultramarines de telle ou telle disposition ; on invoque trop facilement de prétendus objectifs fondamentaux pour minimiser l'importance de nos questions. La condescendance infligée est une forme bien réelle d'inégalité. Il faut espérer que sinon la lettre du droit, du moins l'esprit de la loi nouvelle incitera ceux qui adoptent cette attitude à s'en abstenir désormais, et que le respect nourrira la convergence.

Je souhaite que le débat qui commence ouvre de nouvelles perspectives à nos outre-mer et leur donne davantage de moyens pour contribuer, dans le respect de leurs spécificités et de nos traditions, au rayonnement national.

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