Merci pour ces mots d'encouragement.
Ce rapport a été adopté, à l'unanimité, par la commission des affaires européennes au mois de juillet dernier. C'est une pierre que je souhaitais apporter à l'édifice incontournable de la coordination des politiques économiques et sociales européennes. Jusqu'à présent, la construction européenne s'est faite en libérant les entraves à la circulation des capitaux et des personnes, mais elle est demeurée incapable de mettre en oeuvre deux convergences indispensables à son bon fonctionnement : la convergence fiscale et la convergence sociale.
Alors que le marché commun puis le marché unique ont accentué l'intégration économique, et que la monnaie commune a accentué l'intégration monétaire et budgétaire, l'Union est demeurée incapable d'intégrer d'autres politiques, pourtant étroitement liées à celles-ci, en termes de fiscalité ou de salaires, créant ainsi des déséquilibres importants au niveau économique et les conditions d'une concurrence sociale délétère entre les États membres. Aujourd'hui, l'Union ne marche pas sur ses deux pieds. La situation sociale s'est dégradée et les populismes menacent la construction européenne.
L'enjeu est d'arriver à créer les conditions d'une union européenne plus homogène socialement et économiquement. À cet effet, nous avons plusieurs outils à notre disposition : l'assurance chômage européenne, sujet sur lequel notre collègue Jean-Patrick Gille a présenté une proposition en janvier dernier devant cette commission, et le salaire minimum européen.
La forte disparité des salaires et des niveaux de vie au sein de l'Union européenne ne permet pas, du jour au lendemain, de mettre en place un salaire minimum unique, que ce soit à l'échelle de l'Union ou de la zone euro. À l'heure actuelle, l'Union européenne se caractérise par une diversité importante des salaires minima, de 184 euros par mois en Bulgarie à 1 923 euros au Luxembourg, soit un rapport de un à dix. En tenant compte de la parité des pouvoirs d'achat, les écarts sont plus faibles, mais restent tout de même de un à quatre.
La divergence est réelle aussi en ce qui concerne les modes de fixation du salaire minimum, qu'ils soient légaux ou conventionnels. Six États de l'Union européenne, aujourd'hui, n'ont pas de salaire minimum légal : la Finlande, l'Autriche, l'Italie, Chypre, la Suède et le Danemark. Même chose pour les mécanismes de revalorisation, qui obéissent à des règles diverses d'un pays à l'autre, liées à l'inflation dans certains pays, plus à la productivité dans d'autres.
Pour autant, doit-on s'interdire toute ambition en la matière ? Bien au contraire, je pense que nous devons pousser ce projet de salaire minimum à l'échelle européenne. C'est une volonté qui a été exprimée par le Président de la République en 2013 devant le Parlement européen, ainsi que par d'autres personnalités telles que le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, ou Martin Schulz, président du Parlement européen.
Malgré les divergences, la mise en place d'un mécanisme de salaire minimum ayant à la fois pour effet et pour objectif de réaliser cette convergence est une ambition de court ou moyen terme envisageable, je dirais même incontournable.
Un mécanisme de salaire européen en Europe, comme exposé en détail dans le rapport, aurait une double vertu économique et sociale.
D'un point de vue économique, d'abord, il est urgent de remédier aux divergences salariales, qui sont devenues source de concurrence à l'intérieur de l'Union européenne et en menacent la stabilité. Les débats actuels sur le détachement des travailleurs l'illustrent parfaitement. En l'absence de salaire minimum européen, les dispositions sur le détachement ont parfois été détournées pour mettre en place un véritable dumping social dont les salariés, qu'ils vivent dans les pays les plus avancées économiquement ou qu'ils soient détachés, sont les premières victimes, les uns en perdant leur emploi, les autres en travaillant à bas revenu dans des conditions de précarité parfois extrêmes. Un salaire minimum européen permettrait d'atténuer les possibilités de dumping social au sein de l'Union européenne et d'éviter ainsi une concurrence non coopérative sur les salaires.
La mise en place d'un salaire minimum à l'échelle européenne pourrait aussi constituer un point de départ pour une meilleure coordination globale des politiques salariales en Europe et contribuer ainsi à une meilleure coordination des politiques économiques au sein de la zone euro.
Le problème de la concurrence sur les salaires est particulièrement aigu au sein de la zone euro. La monnaie ne pouvant plus être utilisée comme variable d'ajustement de la compétitivité, ce sont souvent, hélas ! les salaires ou la fiscalité qui jouent ce rôle, comme nous l'avons vu ces dernières années, avec une politique de modération salariale pratiquée par l'Allemagne, qui a eu des conséquences néfastes sur la productivité de ses voisins, et en premier lieu sur la nôtre.
Enfin, l'introduction d'un salaire minimum serait un facteur de renforcement de la demande intérieure dans certains pays et préviendrait la baisse des salaires réels. Elle permettrait de stabiliser la demande au sein de la zone euro et soutiendrait ainsi son rééquilibrage.
Un tel salaire minimum aurait aussi une valeur sociale importante. La crise économique et financière a entraîné de manière non uniforme la baisse des salaires réels et la dégradation de la situation sociale en Europe. Les écarts ont fortement augmenté en Hongrie ou en Espagne, alors qu'ils se sont réduits au Portugal ou en Allemagne, par exemple.
Parallèlement, la crise a eu un impact fort sur la pauvreté en Europe, qui compte aujourd'hui 3,7 millions de pauvres supplémentaires par rapport à 2008.
Dans ce contexte, un salaire minimum européen serait l'expression d'une Europe plus sociale et l'occasion d'une relance du projet européen par ce prisme, comme l'a été l'euro dans la sphère économique.
Notre proposition s'inspire de nombreuses consultations, aussi bien en France qu'avec nos partenaires européens. Du point de vue politique, les difficultés sont réelles. Il ne faut pas les sous-estimer. Il faudra notamment convaincre un certain nombre de nos partenaires, et de nombreuses discussions, tant politiques que techniques, devront être menées. En tout cas, la mise en place d'un salaire minimum légal en janvier 2015 en Allemagne est un élément encourageant. Les défis peuvent paraître nombreux, mais ils sont loin d'être insurmontables aujourd'hui.
Ce rapport développe une proposition réaliste qui permet d'associer tous les pays qui le souhaitent, y compris ceux qui fixent leurs salaires minima par la négociation collective. Elle pourrait d'ailleurs être initiée à traité constant, ce qui faciliterait une mise en oeuvre rapide.
La proposition se décline en deux temps. Le premier objectif est d'aboutir à un salaire minimum dans chaque pays européen, le second, d'en organiser la convergence.
En ce qui concerne le premier objectif, il s'agit d'abord de trouver un mode de fixation et un niveau susceptibles d'être consensuels dans tous les pays. Les différences de niveaux de vie dans les pays de l'Union européenne sont tels que l'instauration d'un salaire minimum ne pourra pas être uniforme. Il devra prendre la forme d'un salaire minimum plancher, exprimé en pourcentage du salaire médian dans chaque pays, les États membres restant libres d'adopter un niveau de salaire minimum supérieur à ce plancher.
Le mode de fixation pose question. Ce salaire minimum doit-il être légal ou déterminé dans le cadre d'une négociation collective ? Universel ou par branches ? Les systèmes sont très différents en Europe, en fonction de l'histoire sociale et de l'importance des partenaires sociaux, sans pour autant qu'il y ait un lien entre la nature du système et le niveau de salaire minimum. Il est donc essentiel de trouver un mécanisme européen qui puisse prendre en compte ces différentes réalités nationales, sans chercher forcément à les harmoniser.
S'agissant du niveau de ce salaire minimum, tout le monde s'accorde à dire qu'il doit être fixé en pourcentage du salaire médian. Sur le chiffre à retenir – 40, 50, voire 60 % du salaire médian – les avis sont encore divergents. Ils dépendent notamment de l'objectif recherché : si le salaire minimum doit remplir avant tout un objectif économique, notamment en termes de convergence, il ne doit pas être trop élevé au départ et coller au plus près à la productivité ; s'il doit remplir un objectif social, il doit être supérieur au niveau du seuil de pauvreté, soit, selon les études, entre 50 et 60 % du salaire médian. Étant donné notre volonté de répondre à ces deux objectifs, je propose de viser le seuil de pauvreté, tout en trouvant un mécanisme progressif pour ceux qui n'y sont pas encore afin d'éviter de déstabiliser la productivité de ces pays.
La question du mode d'indexation est essentielle. Quelles seraient les règles d'indexation des planchers ? Devraient-elles être communes ? Quelle serait la base de l'indexation ? Là aussi, les règles varient beaucoup d'un pays à l'autre, entre les tenants d'un salaire minimum lié à l'inflation, comme c'est le cas chez nous, et ceux d'un salaire minimum lié à la productivité. Sur cette question épineuse et éminemment politique, un rapprochement des usages est essentiel, sous peine de rendre impossible la nécessaire convergence des salaires minima. Il faudra sans doute aboutir à un « mix », au vu d'éléments relatifs à la fois au pouvoir d'achat des salariés et à la compétitivité des entreprises.
Par ailleurs, je propose de ne pas prendre en compte au niveau européen les exceptions qui existent dans les législations nationales – taux spécial pour les jeunes, différences régionales, différences par branches –, qui doivent rester du ressort national.
Après cette première phase, il conviendrait d'organiser la convergence des normes de salaires minima au sein de l'Union européenne. Établir un salaire minimum dans chaque pays ne suffit pas en soi. Seule une convergence progressive permettra de lutter efficacement contre le dumping social et de mettre en oeuvre la convergence salariale en Europe. Pour organiser cette convergence, je propose une action concertée entre le niveau national et le niveau européen.
Premièrement, il s'agit d'inscrire le principe du salaire minimum européen dans le socle européen des droits sociaux. Le 8 mars dernier, le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, a présenté une première ébauche du socle européen des droits sociaux. Celui-ci doit définir un certain nombre de principes essentiels afin de garantir le bon fonctionnement et l'équité des marchés du travail et des systèmes sociaux au sein de la zone euro. Il est essentiel d'inscrire le salaire minimum dans ce socle afin de mettre en oeuvre les conditions d'une convergence des salaires minima au sein de la zone euro.
Deuxièmement, il convient de déterminer une instance nationale qui ait comme prérogative de proposer la norme de salaire minimum dans chaque pays en pourcentage du salaire médian. Cette instance ferait des recommandations, sur la base de la législation ou des accords collectifs en vigueur dans le pays.
L'Union européenne a décidé de mettre en place des conseils nationaux de la productivité, qui vont voir le jour dans les mois qui viennent et qui auraient un rôle consultatif, notamment pour considérer la compétitivité dans tous ses aspects – coûts, productivité, compétences, attractivité des territoires, innovation. Ces organes seraient chargés notamment de fournir aux autorités des données et leur expertise sur les mécanismes de fixation des salaires, sans préjudice du rôle des partenaires sociaux et des organes chargés de cette fixation.
Troisièmement, il s'agit d'instituer une conférence annuelle sur les salaires au niveau européen, dans le cadre d'un dialogue macroéconomique. Cette conférence analyserait les recommandations faites par les conseils nationaux de la productivité en mettant en perspective les réalités nationales dans le contexte européen. Elle aurait comme objectif d'organiser au niveau européen la convergence des normes de salaires minima afin d'éviter les déséquilibres macroéconomiques et de lutter contre le dumping social, et ferait des recommandations aux États membres en termes d'ajustement des normes de salaires minima.
Quatrièmement, il faudrait faire du salaire minimum un élément central du semestre européen, qui permet aux pays de l'Union européenne de coordonner leurs politiques, notamment en matière d'emploi. La question du salaire minimum pourrait faire partie des recommandations que la Commission européenne adresse aux États membres après que ceux-ci ont présenté leur programme d'action. Ainsi portée à l'échelle européenne, la convergence des salaires finirait bien par être assurée.
Reste à délimiter un périmètre et un cadre légal pour le salaire minimum européen. Le rapport propose que soient concernés les pays de la zone euro et les autres pays membres de l'Union qui le souhaitent, afin de ne pas être bloqués par ceux qui ne souhaiteraient pas adhérer à ce mécanisme. Pour ce qui est du cadre légal, l'Union européenne n'a pas compétence aujourd'hui pour imposer une convergence des salaires en Europe ou un salaire minimum à l'échelle de l'Union. Aux termes de l'article 153 du Traité, l'Union européenne soutient et complète l'action des États membres dans les domaines sociaux, y compris en adoptant des directives, mais sa compétence ne s'applique pas, de manière explicite, aux rémunérations. En l'état du droit et des traités, les possibilités sont donc limitées et demeurent uniquement incitatives. Pour autant, elles ne sont pas inefficaces. Il existe des précédents importants en la matière.
L'Union européenne, dans le cadre de la Troïka, par exemple, est déjà intervenue en matière de politique salariale auprès d'États membres, la Grèce et le Portugal en l'occurrence, pour demander des coupes ou des gels de salaires. De même, en 2015, la Commission européenne a fait, dans le cadre du semestre européen, des recommandations relatives à des baisses des salaires à onze États membres. Les précédents existant pour la baisse des salaires, il n'y a pas de raison qu'on ne puisse pas en créer pour fixer une norme et un pourcentage de salaire minimum.
En conclusion, nous devons inciter les autorités nationales et européennes à faire du sujet de la convergence des salaires minima un sujet majeur des discussions sur l'Europe sociale. Cela est nécessaire tant du point de vue de la survie de la zone euro que de celle de l'Union européenne qui, aujourd'hui, vit des moments très difficiles. L'Europe sociale, la convergence sociale sont aujourd'hui en panne. Ce serait un moyen de les relancer.
Au moment de son investiture, le président de la Commission européenne a déclaré devant le Parlement européen qu'il fallait que l'Europe ait le triple A social, qui est aussi important que le triple A économique et financier. Cela implique que les marchés du travail et les systèmes de protection sociale puissent fonctionner correctement et être viables dans tous les États membres de la zone euro. La convergence des salaires minima en Europe serait un signal positif et aurait une double vertu, économique et sociale, qui permettrait le rapprochement entre l'Europe et ses peuples.