Intervention de Isabelle Le Callennec

Réunion du 21 septembre 2016 à 17h00
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaIsabelle Le Callennec :

Dans un contexte européen marqué par une sortie de crise difficile dans certains pays et un recours de plus en plus massif au détachement, la question d'un salaire minimum européen refait surface régulièrement dans le débat public. Seuls vingt et un des vingt-huit pays membres de l'Union européenne disposent en 2016 d'un salaire minimum légal valable dans toutes les branches d'activité. En Autriche, à Chypre, au Danemark, en Finlande, en Italie et en Suède, il n'existe pas de SMIC valable pour tous les salariés.

Le salaire minimum le plus élevé est celui du Luxembourg, à 1 923 euros bruts, et le plus faible celui de la Bulgarie, à 215 euros selon mes chiffres, qui diffèrent des 184 euros de votre rapport. Il est de 1 466 euros bruts en France. L'Allemagne est le dernier pays en date à avoir adopté un SMIC. Mis en place le 1er janvier 2015, son montant est fixé à 1 473 euros, mais il existe des exceptions : les chômeurs de longue durée ne peuvent en bénéficier qu'après six mois d'embauche, les stagiaires, les saisonniers n'en bénéficient pas, et certaines branches ne le mettront en place qu'au 1er janvier 2017.

Lors de la campagne des dernières élections européennes, un relatif consensus semblait s'être dégagé sur la nécessité d'instaurer un salaire minimum européen. Le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, alors candidat, avait même plaidé pour un revenu minimum d'insertion et un socle de règles communes en matière de droit du travail et de licenciement. Il était en campagne électorale…

De fait, l'Union européenne reste une zone de pays associés mais quelque peu rivaux, aux réalités socio-économiques diverses, avec un risque toujours présent, et souvent évoqué dans notre commission, de dumping social et de concurrence déloyale. D'où l'intérêt de votre rapport, cher collègue, mais avec ses limites, que vous avez d'ailleurs eu l'honnêteté de pointer vous-même.

J'en vois, pour ma part, au moins trois. La première est que l'Union européenne n'a pas de compétence en la matière. En l'état des traités, une directive « salaire minimum » ne pourrait voir le jour. Pour vous, la volonté politique des acteurs pourrait suffire à dépasser les limites institutionnelles, mais l'expérience nous invite à être prudents et à ne pas leurrer les peuples. Il n'y a qu'à constater les difficultés à faire évoluer la directive « détachement ». Certes, le discours de Jean-Claude Juncker sur l'état de l'Union semble indiquer la volonté d'une Europe plus sociale, mais il reconnaît lui-même que les outils manquent. L'objet de votre rapport est de faire des propositions concrètes à cet égard.

Ensuite, s'il était décidé d'instituer un salaire minimum, se poserait immédiatement la question de son niveau. Vous reconnaissez qu'il ne faut pas que ce salaire minimum nuise à l'accès à l'emploi ni à la compétitivité des entreprises, et vous préconisez un niveau adéquat dans chaque pays. Une note du Trésor de 2014 propose la fixation d'un salaire plancher exprimé en pourcentage du salaire médian de chaque pays, entre 45 et 50 %, puis 55 % à terme. Vous proposez de le fixer à un niveau entre 50 et 60 % du salaire médian, avec un mécanisme progressif pour certains pays.

Nous sommes là au coeur de la difficulté. Le problème n'est pas le principe du salaire minimum, mais son niveau. Si le plancher du salaire minimum européen est fixé à un niveau bas, il ne sera ni un rempart contre le dumping social ni une garantie de sortie de la pauvreté pour les travailleurs concernés. S'il est trop élevé, il risque de scléroser le marché de l'emploi et de pénaliser les pays dont le salaire médian est bas.

Cette question est d'autant plus difficile à traiter en France, où le SMIC s'établit à 60 % du salaire médian et compte parmi les plus élevés d'Europe. Si le salaire minimum européen voyait le jour, son plancher serait très probablement fixé à un niveau plus bas ; une pression à la baisse sur le SMIC français ne serait pas exclue, et ce n'est certainement pas votre objectif – ni le nôtre.

Le réalisme nous impose de concevoir que la volonté politique que vous appelez de vos voeux risque de se faire attendre. C'est pourquoi je nous inciterais, chers collègues, à nous mobiliser plutôt sur une évolution dans les meilleurs délais de la directive « travailleurs détachés ».

Nous avons voté, le 13 juillet dernier, la proposition de résolution européenne sur la modification de la directive, dont le rapporteur était M. Savary. La loi travail a également renforcé notre arsenal législatif. Je cite deux de ses articles. Sur les chantiers du bâtiment ou de génie civil, « le maître d'ouvrage porte à la connaissance des salariés détachés, par voie d'affichage sur les lieux de travail, les informations sur la réglementation qui leur est applicable. […] L'affiche est facilement accessible et traduite dans l'une des langues officielles parlées dans chacun des États d'appartenance des salariés détachés. » Notre groupe souhaitait aller plus loin, avec notre amendement Molière, mais comme il n'y a pas eu de discussion sur la loi nous n'avons pu le défendre. Cette disposition est toutefois déjà un point positif. Ensuite, l'entreprise utilisatrice établie hors du territoire national qui « a recours à des salariés détachés mis à disposition par une entreprise de travail temporaire également établie hors du territoire national, envoie aux services de l'inspection du travail du lieu où débute la prestation une déclaration attestant que l'employeur a connaissance du détachement de son salarié ». Un autre point positif.

La discussion au Parlement européen se poursuit, avec deux co-rapporteures, dont Élisabeth Morin-Chartier, eurodéputée Les Républicains de la grande région Ouest. Les débats devraient s'étaler entre novembre 2016 et avril 2017. C'est au Conseil européen que les échanges seront, à mon avis, les plus âpres, une dizaine de pays, notamment de l'est de l'Europe, n'ayant pas l'intention de céder. Cette révision de la directive est pourtant un préalable au retour de la confiance en nos institutions européennes.

En conclusion, je souligne la qualité de votre rapport et votre volonté manifeste de faire des propositions concrètes. Mais pour combattre la concurrence déloyale et le dumping social, nous devrions, à mon avis, consacrer l'énergie de notre assemblée à soutenir et relayer celles et ceux qui, toutes sensibilités politiques confondues, ont fait de la révision de la directive sur le détachement leur cheval de bataille. Le détachement pose deux types de problème : il y a aujourd'hui des travailleurs détachés qui travaillent de 55 à 60 heures par semaine et sont payés entre 35 et 39 heures, et, dans le bâtiment, par exemple, là où un ouvrier est payé entre 1,6 et deux fois le SMIC en France, le travailleur détaché est payé au SMIC et ses charges sociales sont celles de son pays d'origine. C'est là qu'il y a urgence, alors qu'une éventuelle convergence des salaires minima au sein de l'Union prendra, à mon avis, beaucoup plus de temps.

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