L'objectif de ce rapport n'est pas d'ajouter une incantation supplémentaire à celles que l'on entend depuis très longtemps sur l'Europe sociale, mais de présenter une proposition à la fois ambitieuse et réaliste. Cette proposition ne résout pas tout du jour au lendemain ; c'est un processus.
Comme je l'ai indiqué dans ma présentation, l'Union européenne, c'est vrai, n'a pas de compétence en tant que telle, mais il existe des précédents. Quand la Troïka se rend en Grèce et dit qu'il faut baisser les salaires dans ce pays, je considère que c'est un précédent. Rien n'empêche la Commission de demander, dans le cadre du semestre européen, que tel ou tel pays augmente son salaire minimum. On ne peut pas, certes, demander une directive sur le salaire minimum européen mais la Commission peut faire des recommandations dans le cadre du semestre européen. C'est une question de volonté politique ; le cadre existe et nous pouvons l'utiliser.
L'urgence est due aux très importants déséquilibres économiques qui existent aujourd'hui. Nous avons une monnaie commune, une politique budgétaire qui commence à être coordonnée, mais il n'existe absolument aucune coordination aux niveaux fiscal et salarial et les pays jouent là-dessus : chacun a sa niche fiscale ou salariale. La politique de bas salaires conduite en Allemagne ces dix dernières années a eu un impact très important sur notre productivité. Une coordination au niveau fiscal – la réflexion est en cours au sujet de l'impôt sur les sociétés – et salarial, avec le rapprochement des salaires, est donc urgente pour résoudre ces déséquilibres macroéconomiques.
Mme Le Callennec oppose qu'il vaut mieux revenir sur la directive sur les travailleurs détachés, mais les deux sujets sont éminemment complémentaires et doivent être traités ensemble. Cette directive présente deux problèmes : l'un est lié au contrôle dans notre pays, ce à quoi s'est attelée la loi travail, l'autre au fait qu'un pays voisin, l'Allemagne, n'avait pas de salaire minimum et employait des travailleurs détachés, ce qui a causé des problèmes à certains pans de nos économies. Les conséquences ont notamment été dramatiques pour les abattoirs en France et d'autres secteurs. D'où l'importance, en plus d'un contrôle sur les travailleurs détachés, de salaires le plus convergents possible dans les pays de l'Union européenne, afin d'éviter ce dumping.
M. Claireaux a eu raison de citer les pays nordiques. Une de nos difficultés a été d'inclure tous les pays dans la réflexion, pas seulement ceux qui ont un salaire minimum légal. La Suède et la Finlande ont des salaires minimums très élevés mais qui sont le fruit de la négociation collective, et il faut leur laisser cette liberté : on ne va pas dicter quoi que ce soit à des pays qui ont des niveaux de salaire élevés. La proposition permet justement de concilier les différents moyens de fixer le salaire minimum.
La proposition est ambitieuse mais aussi réaliste. On ne peut commencer avec tout le monde. Même si l'objectif à terme est que l'ensemble de l'espace économique européen, y compris la Suisse, soit impliqué, je propose de commencer par la zone euro, où existe la coordination économique la plus forte.
L'objectif est, d'une part, la convergence des salaires minima et, d'autre part, l'augmentation vers 60 % du salaire médian. Il n'y a donc aucun risque que le salaire minimum baisse dans certains pays, par exemple en France. La différence est d'un à quatre en termes de pouvoir d'achat ; il y a du chemin à parcourir mais nous ne sommes pas si éloignés. Il est important de retenir le salaire médian, celui qui compte autant de personnes au-dessus qu'en-dessous, car, quand les salaires sont très bas dans un pays, le salaire moyen est inférieur au salaire médian, et fixer un pourcentage du salaire moyen pourrait donc avoir un effet négatif sur les salaires, dans la mesure où cela inciterait à des bas salaires pour que le salaire minimum soit plus bas. La France a un salaire moyen plus élevé que le salaire médian mais ce n'est pas le cas dans les pays qui ont plus de bas salaires.
Le socle de droits sociaux proposé par M. Juncker n'a toujours pas vu le jour, justement parce que la question du salaire minimum est en débat. Il n'y a pas d'unanimité au niveau européen ; c'est pourquoi il est important d'envoyer tous les signaux que nous pouvons afin d'influer sur le rapport de force. Le présent rapport en est un parmi d'autres. Nous ne pouvons imaginer un socle de droits sociaux sans parler de salaire minimum européen.
Comme beaucoup d'entre vous l'ont dit, l'objectif doit être d'aller plus avant vers une Europe sociale et politique, une Europe dans laquelle les citoyens se reconnaissent. Pour cela, il faut que l'Europe aille au-delà de l'union monétaire et économique et porte des objectifs sociaux, comme y invite cette proposition. Il y a réellement urgence à le faire.