Pour la CGT Finances, le premier problème tient à ce que la réforme est présentée comme répondant à une promesse du Gouvernement alors qu'il ne s'agit pas d'une réforme fiscale mais d'une réforme du recouvrement de l'impôt. Mais le taux de recouvrement étant supérieur à 99 %, est-ce bien la réforme la plus urgente qu'il faille mener ? Une réforme en profondeur de notre système fiscal, destinée à le rendre plus juste et plus efficace, aurait été nécessaire ; ce ne sera évidemment pas le cas.
Nous sommes aussi inquiets à l'idée que ce qui nous est « vendu » comme une mesure de simplification pour les contribuables ne soit source de grandes déceptions. Quand on évoque le prélèvement de l'impôt à la source, les citoyens s'en félicitent, croyant que le paiement de l'impôt s'en trouvera facilité, qu'ils en auront fini avec les déclarations de revenus et avec les avis d'imposition et que leurs relations avec l'administration fiscale prendront définitivement fin. Mais la réalité sera tout autre et, par manque d'explications, on vend une réforme qui provoquera bien des déceptions.
Ajoutons que le prélèvement à la source ne concerne pas tous les contribuables mais avant tout les salariés et les pensionnés. Comme cela a été dit au cours de vos échanges, la réforme ne changera pas grand-chose pour les autres catégories de contribuables – artisans, professions libérales – qui, aujourd'hui déjà, payent des acomptes, l'assiette étant leur revenu de l'année précédente. Le nouveau système ne mettra pas tous les contribuables sur un pied d'égalité puisque l'impôt des salariés sera prélevé avant même que les intéressés aient perçu leur revenu, ce qui ne sera pas obligatoirement le cas pour les bénéficiaires de revenus d'autres natures.
L'élément phare de la réforme est la suppression du décalage d'un an dans la perception de l'impôt. Cela est exact pour l'assiette, mais le décalage perdurera pour le taux d'imposition, que l'on ne pourra connaître qu'une fois l'année écoulée. Comme l'a souligné François-Xavier Ferrucci, le système fiscal français, qui repose sur la « familialisation », la « conjugalisation » et la progressivité de l'impôt sur le revenu, rend impossible la contemporanéité de la perception des revenus et du prélèvement de l'impôt. Mais la mensualisation ayant fait de grands progrès, les contribuables peuvent désormais modifier dès le 1er janvier leurs prélèvements mensuels pour tenir compte des revenus qu'ils ont réellement perçus jusqu'au 31 décembre de l'année précédente.
Un autre point nous semble poser problème. On explique que le nouveau dispositif supprimera l'avance de trésorerie, ce qui sera bénéfique pour les contribuables. Or, dans certains cas, ce sera l'inverse. Ainsi, un primo-actif qui obtient un contrat de six mois sera imposé dès le premier mois par un prélèvement à la source. Dans le système actuel, gagnerait-il 2 000 euros chaque mois de son contrat qu'il ne payerait rien, car au terme des six mois il ne serait pas imposable. Dans le nouveau système, il va le devenir, et il devra payer pendant six mois un impôt qui lui sera remboursé dix-huit mois plus tard ! Est-ce vraiment satisfaisant ?
Il en est de même des crédits d'impôt. On lit dans les dossiers de presse du ministère que les entreprises bénéficieront en quelque sorte d'une avance de trésorerie. C'est exact, mais pour les personnes physiques, l'impôt sur le revenu sera prélevé immédiatement sans qu'elles puissent bénéficier en même temps de la déduction fiscale qu'est le crédit d'impôt : il y faudra un an, après que l'on aura vérifié que le contribuable n'a pas dépassé les plafonds de revenus légalement requis. Cette asymétrie est gênante.
Nous avions émis de nombreuses réserves et remarques sur la confidentialité. Dans ce domaine, de nombreux points ont évolué ; je ne reviens pas sur le taux neutre. Mais, alors que le système est déjà compliqué, la réforme accentue cette complexité et crée une véritable usine à gaz. Imaginez le nombre de va-et-vient qu'elle occasionnera entre le contribuable, l'entreprise et les services fiscaux… L'individualisation ne réglera pas tous les problèmes.
Nous avions soulevé la question de l'égalité entre les femmes et les hommes. Pour les femmes, dont les revenus sont souvent inférieurs à ceux des hommes, la « conjugalisation » de l'impôt aura pour effet une augmentation du prélèvement sur le salaire, et par voie de conséquence, une diminution du revenu disponible.
On nous rétorque que l'individualisation règle tous les problèmes. Mais j'attire votre attention sur le fait que celle-ci doit être demandée par le contribuable. Gardons-nous d'une vision trop idyllique de la réalité d'un couple…
J'insiste également sur les relations nouvelles entre l'administration fiscale et l'employeur qu'instaure le prélèvement à la source. Aujourd'hui, pour le contribuable, il existe une seule source d'erreurs : l'administration fiscale ; demain, il y en aura deux, puisque les erreurs pourront provenir également de l'employeur. Cela risque de poser un certain nombre de questions.
On assiste à un renversement de la charge de la preuve. Jusqu'à présent, le contribuable déclarait ses impôts, recevait son avis d'imposition dont il vérifiait l'adéquation avec sa déclaration, puis payait. Demain, il devra d'abord payer, ensuite déclarer avant de recevoir l'avis, à charge pour lui à ce moment-là de démontrer qu'une erreur a été commise un an auparavant.
Enfin, on peut s'interroger sur l'intervention d'un tiers pour collecter un impôt dont le taux de recouvrement atteint 99 %. Nous connaissons les difficultés de recouvrement de la TVA : en sollicitant le concours d'entreprises en difficulté, le taux de recouvrement de l'impôt sur le revenu va inéluctablement baisser.
La mise en oeuvre de cette réforme va poser de gros problèmes aux services fiscaux qui ont déjà subi 30 000 suppressions de postes en dix ans. D'autres gains de productivité ne sont pas envisageables.
Les services fiscaux devront prendre en charge le reste à recouvrer des entreprises et l'information des contribuables ainsi que gérer l'ajustement en temps réel des taux d'imposition ; à cet égard, le délai de trois mois qui a été avancé entre la demande de rectification du taux d'un contribuable et l'application sur son salaire me paraît totalement irréaliste.