S'agissant tout d'abord des gains de productivité éventuels et des éventuelles suppressions d'emplois, chaque fois que nous rencontrons Christian Eckert ou que nous avons des échanges avec notre directeur général, il nous est affirmé que la mise en place du prélèvement à la source, si elle advient, ne générera pas de suppressions d'emplois. Pour nous, syndicats, cette mise en place devrait conduire à tout le moins à un moratoire sur les suppressions d'emplois dès cette année, voire à des créations d'emplois. Car de notre point de vue, le mécanisme de gestion du prélèvement à la source tel qu'il est prévu aujourd'hui va entraîner une surcharge de travail et la mise en oeuvre de procédures nouvelles.
Deuxième point que vous avez soulevé : la structure et l'organisation du travail. Aujourd'hui, il y a un lien direct entre le redevable et l'administration fiscale, la DGFiP. Il y aura désormais un troisième intervenant : le service qui gèrera l'assiette de l'impôt sera différent de celui qui gèrera le recouvrement, alors que l'ambition qui sous-tendait la création de la DGFiP et la fusion de la direction générale des impôts (DGI) et de la direction générale de la comptabilité publique (DGCP) était bien de faire en sorte que le contribuable ait affaire, sinon à un interlocuteur fiscal unique, du moins à un service unique prenant à la fois en charge l'assiette et le recouvrement. Nous ne sommes pas des archaïques primaires opposés aux progrès de l'informatique ; nous prenons en compte les évolutions qui entrent en jeu dans notre administration ou ailleurs. Mais la mécanique va se compliquer lorsqu'il faudra apparier nos bases de données qui sont notamment issues des télédéclarations : jusqu'ici, quand un agent des finances publiques faisait de la saisie manuelle – travail rébarbatif et sans aucune valeur ajoutée –, il pouvait, s'il en avait le temps, rectifier certaines informations nécessaires au calcul de l'assiette et au recouvrement. Aujourd'hui, le transfert de la saisie des informations au contribuable par le biais de la télédéclaration entraîne une détérioration régulière des bases de données qu'il faut rectifier chaque année pour faire en sorte que leur contenu soit cohérent.
Mais là où cela va devenir grave, c'est au niveau du traitement des demandes des contribuables. Aujourd'hui, malgré notre équipement informatique, les contribuables persistent à venir en masse dans nos services pour avoir une relation directe avec les agents des finances publiques et des explications sur la fiscalité, sur le paiement, etc. On recense à peu près 3,5 millions de contacts annuels, y compris avec des contribuables qui sont des internautes mais qui nous sollicitent pour avoir des explications et des renseignements. Nous pensons que dès l'année prochaine, puis en 2018 et au cours des années suivantes, nous serons énormément sollicités – d'abord, pour obtenir des explications et ensuite, pour l'ajustement des taux d'imposition en cours d'année. C'est pour nous permettre d'absorber cette charge de travail que nous revendiquons à tout le moins un moratoire sur les suppressions d'emplois, voire des créations d'emplois.
Concernant l'organisation géographique des services, il faut savoir que depuis cinq ans de manière très forte, est appliqué, indépendamment de la mise en place à venir du prélèvement à la source, un plan de restructuration et de resserrement du réseau des services de la DGFiP qui pousse à la concentration – c'est là où je rejoins l'analyse de M. Dominique Lefèvre –, à la départementalisation et à la régionalisation, nonobstant l'impact des réformes territoriales. Il est clair que la gestion du prélèvement à la source va être assurée par le biais de plateformes téléphoniques – ce que l'on appelle aujourd'hui chez nous les « centres de contact », centres d'impôts virtuels pour les particuliers. Tout se fera à distance : c'est ainsi que notre administration nous présente l'organisation d'un premier niveau chargé de répondre aux premières questions sur le prélèvement à la source. Il y aura donc bien restructuration du réseau, disparition de nombreux sites de la DGFiP en zones rurales et périurbaines et véritable concentration en centre-ville dans les grandes métropoles urbaines – sur des sujets métier mais aussi sur des sujets de gestion interne des ressources humaines.
Pour en revenir au premier point, la difficulté pour la DGFiP ne réside pas dans la mise en oeuvre du recouvrement : les outils dont nous disposons aujourd'hui permettent de le faire sans problème. Ce que nous avons voulu dire, c'est que la structure de l'impôt sur le revenu finit par coincer et que pour éviter aux contribuables d'être pénalisés par la conjugalité ou le quotient familial, on invente des dispositifs qui sont de véritables usines à gaz. Il sera extrêmement compliqué pour le contribuable de faire évoluer son taux d'imposition en cours d'année pour tenir compte d'un événement familial survenant en 2018, d'autant que la conclusion d'un mariage ou d'un pacs, la séparation de pacsés, le divorce et le décès du conjoint sont les seuls cas où l'évolution du taux est automatique : le contribuable déclare la situation et l'administration calcule l'impact que pourra avoir cette situation sur l'impôt sur le revenu – mais ex ante puisqu'il s'agit toujours de la situation de l'année précédente. Dans les autres situations – naissance, crédit d'impôt, travaux immobiliers donnant lieu à déduction –, on ne peut procéder au calcul de manière contemporaine sur le prélèvement : il faut attendre la déclaration. Et même en cas de naissance d'un enfant à charge, les choses sont très compliquées d'après ce que je lis dans l'avant-projet de loi. Certes, ce texte peut toujours évoluer mais je n'ai pas spécialement envie de solliciter de bonnes idées pour l'améliorer pour que cela nous amène peut-être demain à dire qu'il est très bien conçu. Il y a là une vraie difficulté. Je vous laisse une note présentant deux exemples chiffrés, l'un d'un contribuable partant à la retraite, l'autre d'un contribuable salarié, au regard de l'évolution du taux. Vous y verrez que le retraité va devoir cotiser pendant un an et demi alors que son impôt sur le revenu sera de zéro. Au bout de cette année et demie, on lui remboursera le trop-versé.