Intervention de Jean-Yves Le Déaut

Réunion du 28 juin 2016 à 18h30
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Yves Le Déaut, député, président de l'OPECST :

L'audition du 28 avril 2016 sur les apports des avancées technologiques aux sciences de la vie s'articule avec celle consacrée, trois mois auparavant, aux synergies entre sciences humaines et sciences technologiques. Il s'agissait, au cours de ces deux auditions, de mettre en évidence les convergences entre sciences et technologies, l'importance croissante de ces interactions dans la recherche ainsi que les conditions dans lesquelles celles-ci pourraient être encouragées et facilitées.

Cette audition a été organisée en liaison avec la direction de la recherche fondamentale du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) qui regroupe des chercheurs des domaines de la physique, des sciences des matériaux, de la chimie, de la biologie et de la santé. Il était logique que son directeur, M. Vincent Berger attire l'attention de l'Office parlementaire sur l'importance croissante des interactions entre nouvelles technologies et sciences de la vie. Par ailleurs, cette suggestion s'inscrivait naturellement dans le cadre de nos travaux, l'OPECST ayant déjà abordé à plusieurs reprises des sujets approchants : par exemple, en janvier 2011, les sauts technologiques en médecine ou, en mai 2014, le numérique au service de la santé. Les interactions entre technologies et sciences de la vie ont également été prises en compte par plusieurs études de l'Office consacrées à divers aspects des biotechnologies et de la santé.

Le CEA a aussi assuré la coordination au sein de l'Alliance nationale pour les sciences de la vie et de la santé (AVIESAN). L'Office parlementaire a été conduit à écarter un certain nombre de propositions d'interventions, par exemple sur la modification ciblée du génome avec CRISPR-Cas9 déjà traitée lors de l'audition du 7 avril 2016, afin d'éviter toute redondance avec les études en cours au sein de notre Office, notamment celle menée par les députés Alain Claeys et Jean-Sébastien Vialatte sur les enjeux et perspectives de l'épigénétique dans le domaine de la santé, et celle que la sénatrice Catherine Procaccia et moi-même avons engagée voici quelques mois sur les enjeux économiques, environnementaux, sanitaires et éthiques des biotechnologies, à la lumière des nouvelles pistes de recherche.

Contrairement au cas des sciences technologiques et des sciences humaines et sociales, les interactions entre technologies et sciences de la vie s'exercent, à ce jour, pour l'essentiel dans une seule direction, si bien qu'il semblait difficile de reprendre, pour l'intitulé de cette audition, la notion de « synergie », laquelle implique l'action coordonnée de plusieurs disciplines en vue de la réalisation d'un objectif commun. Néanmoins, à l'occasion de cette audition, M. Vincent Berger a indiqué que la biologie devenait elle-même un instrument d'ingénierie, plusieurs développements en cours permettant d'entrevoir des applications technologiques des sciences de la vie, par exemple la fabrication de contacts électriques à partir de filaments d'actine – une protéine qui joue un rôle important pour l'architecture et les mouvements cellulaires – en utilisant des méthodes de croissance particulières.

L'audition du 28 avril a d'abord permis d'illustrer le rôle majeur des innovations technologiques dans les développements récents survenus en sciences de la vie, aussi bien en ce qui concerne les applications que la compréhension du vivant. Ainsi, M. Jean-François Deleuze, directeur du Centre national de génotypage, a présenté les applications du séquençage à haut débit en médecine de précision, alors que M. Marc Eloit, responsable de l'unité de biologie des infections de l'Institut Pasteur, a montré l'intérêt de celui-ci pour l'identification de nouveaux pathogènes. En matière de compréhension du vivant, M. Denis Le Bihan, directeur de NeuroSpin, a indiqué que l'exploration du cerveau était devenue un effort vraiment interdisciplinaire, qui réunit désormais physiciens, chimistes, médecins, neuroscientifiques et spécialistes des technologies de l'information

Par conséquent, comme l'a souligné M. Vincent Berger, directeur de la recherche fondamentale du CEA, il semblerait que nous nous trouvions à un moment épistémologique tout à fait remarquable. Alors que, depuis le début du XXe siècle, les avancées de la science ont été accompagnées par une séparation croissante entre disciplines et une spécialisation de plus en plus étroite au sein de chacune d'entre elles, l'interaction entre les sciences et les technologies apparaît de plus en plus souvent comme une condition nécessaire à la poursuite du progrès scientifique.

Cette interpénétration ne peut évidemment se décréter. Mais il est possible de l'encourager et de la faciliter. J'ai déjà mentionné plusieurs pistes, mises en évidence à l'occasion de l'audition de janvier 2016.

Mais il est clair que cette interpénétration relève avant tout de l'initiative des organismes de recherche eux-mêmes. M. Philippe Chomaz pour le CEA et M. Jean-Christophe Olivo-Marin pour l'Institut Pasteur, ont d'ailleurs présenté les stratégies mises en oeuvre dans ce domaine au sein de leurs organismes respectifs. Le CEA a ainsi regroupé au sein d'une seule direction les activités de recherche en sciences du vivant et en sciences de la matière, jusque-là disjointes ; il a aussi choisi de donner à ses chercheurs et ingénieurs un statut indifférencié. Quant à l'Institut Pasteur, il a notamment créé une nouvelle direction de la technologie et un nouvel espace spécifiquement consacré à la recherche et développement en technologie ; deux décisions marquant la reconnaissance du rôle essentiel des technologies dans la recherche. Ces exemples peuvent inspirer d'autres organismes, sachant que l'accès à des technologies performantes constitue un facteur d'attractivité important pour les chercheurs.

Comme à l'occasion de l'audition sur les synergies entre sciences humaines et sciences technologiques, la formation supérieure scientifique et technique a été mise en avant comme l'un des leviers majeurs – sinon le levier majeur – pour promouvoir cette nouvelle approche des sciences. L'université est le lieu privilégié pour organiser ces possibilités d'échanges, forcément plus difficiles à concrétiser au sein de structures d'enseignement plus spécialisées ou de taille plus réduite. Ce constat vient appuyer les orientations que j'avais présentées en janvier 2013, à la suite de l'audition : « Refonder l'université, dynamiser la recherche : des Assises au débat parlementaire », notamment quant au repositionnement de l'université au coeur du système d'enseignement supérieur et de recherche et à l'éclectisme du parcours des étudiants. Incidemment, un manque en compétences en science des données, ou data science, a été signalé par M. Philippe Guedon, directeur de l'ingénierie et du développement du pôle MEDICEN, et confirmé par plusieurs autres intervenants.

Du côté des freins, plusieurs difficultés d'ordre réglementaire ont été relevées à l'occasion de cette audition, par exemple dans le domaine des essais cliniques. M. Hervé Seznec, responsable de l'équipe iRiBio du CNRS, a ainsi indiqué qu'il devait prendre en compte les contraintes liées au nucléaire, aux OGM et aux nanotechnologies. Un peu comme dans le cas des robots, la diversité des applications et des technologies mises en oeuvre conduit à une variété de situations nouvelles qui relèvent d'ajustements au cas par cas de la législation ou de la réglementation en place. Mais une dimension apparaît commune à pratiquement toutes les applications des technologies aux sciences du vivant : il s'agit du numérique et des données. Les questions de protection et de propriété des données apparaissent donc transverses ; l'extension des applications des technologies se traduisant souvent par l'acquisition de nouvelles informations à caractère sensible qui ont, en elles-mêmes, une valeur commerciale.

Comme cela a souvent été le cas lors de nos auditions abordant des sujets touchant à l'innovation, plusieurs intervenants ont confirmé l'excellence de la recherche française, tout en regrettant aussitôt que l'industrialisation pose difficulté et que, dans le cas où elle est réussie, les acteurs de celle-ci puissent se trouver rapidement absorbés par les mastodontes du secteur. Ainsi, M. Denis Le Bihan a-t-il déploré que, malgré les atouts dont elle dispose pour être au meilleur niveau de ce que l'on peut faire dans ce domaine, la France se trouve privée d'acteur industriel en matière d'imagerie médicale. Il faut donc, plus que jamais, nous préoccuper de cette question de l'organisation de notre système entre la recherche et l'industrialisation.

Un dernier point concerne les aspects d'éthique et, plus largement, de liens entre science et société. Ainsi que l'a souligné M. Frédéric Worms, directeur-adjoint Lettres de l'École normale supérieure et membre du Comité consultatif national d'éthique (CCNE), leur prise en compte suppose de normer les applications, notamment mais pas seulement thérapeutiques, des techniques dans les sciences de la vie, en prenant en compte les critères de respect des libertés, de rapports humains et de justice sociale, les technologies pouvant s'avérer coûteuses. A l'inverse, il convient également de mesurer le risque de prolifération résultant de la baisse de prix de certaines technologies.

Enfin, l'extension de l'usage des technologies au sein des sciences de la vie, impose une obligation d'interdisciplinarité élargie aux sciences humaines et sociales, à toutes les disciplines des humanités ainsi qu'à la politique et au droit. Ce point renforce le rôle central que doivent jouer les universités pour assurer aux étudiants l'accès à un large choix de disciplines.

Tous ces éléments confirment à la fois la pertinence et la complémentarité de l'organisation de ces deux auditions sur la question des convergences entre sciences et technologies ainsi que l'importance du rôle de l'OPECST, en tant que pont entre les mondes scientifique et politique.

– Présentation des conclusions relatives à l'audition publique du 7 avril 2016 sur les « Maladies à transmission vectorielle », par M. François Commeinhes, sénateur

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion