Intervention de Gilles Savary

Séance en hémicycle du 27 septembre 2016 à 15h00
Liaison ferroviaire entre paris et l'aéroport paris-charles-de-gaulle — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGilles Savary :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, en matière de transports publics, notre pays est un peu paradoxal. Alors que, de l’ingénierie à l’exploitation, il est un leader mondial avec les succès que l’on sait sur les marchés extérieurs, alors que ses atouts sont immenses dans un environnement mondialisé, aussi bien sur le plan économique qu’en termes de mobilité, il présente aussi de sérieux retards qui ne tiennent qu’à lui. Ainsi, il ne s’est ouvert que très récemment à l’intermodalité par rapport à de nombreux pays d’Europe et du monde.

C’est le cas pour le fret ferroviaire qui pâtit d’une très faible desserte des ports, mais c’est vrai aussi du fret passager avec une très mauvaise desserte des aéroports, en particuliers les grands aéroports de la région parisienne. Ces derniers font le prestige de la France mais ils ne sont pas reliés directement à la capitale, qui est la première destination touristique mondiale, contrairement à ceux de nombreuses autres grandes villes du monde – Hong Kong, Rome, Athènes, Vienne, Londres, sont directement reliées à leurs aéroports, ce qui facilite l’accès au centre-ville.

Notre pays a longtemps mené des politiques modales cloisonnées, jamais véritablement intégrées, qu’elles soient ferroviaires, maritimes, aériennes ou maritimes, mais nous savons aujourd’hui, après une prévention longtemps entretenue, que l’intermodalité a un effet multiplicateur de trafics pour tous et qu’il ne restreint les déplacements de personne. Plus nous sommes organisés de façon intermodale, plus le trafic est facilité.

Ce projet de loi emblématique est très important. Il est l’un des premiers grands projets intermodaux de notre pays et vise à relier les aéroports de la région parisienne, qui sont parmi les tout premiers d’Europe, en particulier celui de Paris-Charles-de-Gaulle, deuxième d’Europe, après celui de Londres-Heathrow, au centre de Paris en une vingtaine de minutes.

L’objectif est non seulement d’améliorer le confort des usagers de l’avion, des Parisiens qui partent vers des destinations lointaines, mais aussi de respecter nos engagements en faveur du climat. Ceux qui empruntent régulièrement l’A1 et l’A3 me comprendront.

Ce projet n’est pas nouveau, et ce qu’enseignent les vicissitudes et les débats qui l’ont accompagné, c’est que le temps qui passe ajoute des obstacles aux obstacles, au sein d’une zone urbaine dense, qui en renchérit les coûts et en complexifie les conditions d’insertion.

Évalué à 600 millions d’euros aux conditions économiques de janvier 2006, son coût total est estimé à 1,4 milliard d’euros aujourd’hui. Le temps qui passe n’est pas simplement du temps perdu ; c’est aussi de l’argent perdu. Il s’agit de libérer une infrastructure ferroviaire dédiée de 32 kilomètres, dont l’aménagement de 24 kilomètres de ligne existante et 8 kilomètres de lignes nouvelles dont la création de deux sections pour raccorder la gare du Nord à la gare de l’Est ainsi que la construction de deux nouvelles voies entre Mitry-Mory et Roissy-CDG2.

Il est tout à fait légitime que ce projet ait suscité des interrogations et des débats, en regard de la dégradation croissante des conditions de transport infligées à de très nombreux usagers quotidiens, captifs d’un RER B qui a longtemps incarné à lui seul l’abandon injustifiable du réseau ferré d’Île-de-France par l’État depuis de trop nombreuses années.

Mais, précisément, il s’agit non pas d’une liaison de service public, mais d’une liaison commerciale, indissociable du service offert par l’aéroport Paris-Charles-de-Gaulle, deuxième plus grand aéroport d’Europe.

Elle sera mieux adaptée que le RER au transport de familles avec bagages, tout en libérant celui-ci de ces publics, au profit des usagers quotidiens.

Surtout, Charles-de-Gaulle Express ne bénéficiera pas de financements publics, et ne compromettra pas la modernisation du RER B qui constitue désormais une priorité conjointe de l’État et du STIF avec la perspective d’ores et déjà arrêtée de 500 millions de travaux, visant à garantir aux Franciliens du nord-est de l’agglomération, la qualité de service irréprochable qu’ils sont en droit d’exiger.

Charles de Gaulle Express, qui ne sera pas un train de banlieue, c’est-à-dire un train de cabotage de gare en gare, vise trois objectifs. Le premier, qui explique que nous ne pouvons nous opposer à ce projet, est d’être prêts pour les Jeux Olympiques de 2024. Le second est d’en faire un levier supplémentaire de développement touristique de la capitale.

Enfin, le troisième vise à répondre aux ambitions écologiques de la France et à son engagement exemplaire dans la COP 21 de réduire l’émission de gaz à effets de serre, en encourageant les Franciliens à abandonner l’automobile pour se rendre à l’aéroport.

Ne confondons pas les échéances, et tenons-nous en à ce que ce projet de loi nous demande : permettre juridiquement la création de la société de projet. C’est l’objet de son article 1er qui autorise la ratification de l’ordonnance du 18 février 2016.

L’ordonnance prévoit la création d’une société de projet ad hoc, dont les deux principaux actionnaires seront SNCF Réseau et Aéroports de Paris, dans l’attente que des tiers s’y associent.

Par ailleurs, l’article 2 du projet de loi a pour objet de modifier l’article L. 2111-3-1 du code des transports pour permettre une mise en concurrence du futur exploitant de cette ligne ferroviaire, de façon synchrone avec la date limite d’ouverture du trafic national passagers que Bruxelles a fixée à 2023.

Il n’y a donc pas d’obstacle pour le groupe socialiste, si ce n’était de vouloir à toute force atermoyer et perdre encore du temps et de l’argent, à ce qu’il vote cette loi !

Un autre débat sera celui des conditions de financement du projet. Il apparaît notamment qu’en arrêtant le prix du titre de transport à 24 euros, soit pour une personne seule, un tarif inférieur au forfait taxi – entre 50 et 55 euros selon que l’on parte de la rive droite ou de la rive gauche – mais toujours supérieur pour une famille, le plan de financement envisagé nécessite une recette complémentaire, dont on nous dit qu’elle pourrait consister en une taxe d’un euro sur le prix du billet d’avion pour les seuls passagers aériens en partance ou à destination de Paris, c’est-à-dire à l’exclusion des passagers en correspondance.

Nous sommes un certain nombre ici à considérer que l’extrême fragilité financière des compagnies aériennes, et en particulier d’Air France, mérite une certaine circonspection à l’égard de cette nouvelle perspective de taxation. Elle s’ajouterait pour Air France à la taxe « Chirac » visant à financer la lutte contre le virus du Sida, que notre compagnie nationale est la seule au monde à acquitter, et qu’il ne saurait être question de supprimer.

Je dois vous avouer, monsieur le secrétaire d’État, que, dans les rangs mêmes du groupe socialiste, d’aucuns considèrent qu’il n’y a pas de fatalité à ce que les compagnies aériennes soient les seules à supporter cette contribution.

Il nous semble que ce reste à financer devrait être réparti plus équitablement entre les compagnies et Aéroports de Paris. Il ne faut pas nous faire croire que ce sont les Parisiens qui vont faire leurs courses matin et soir dans les galeries commerciales de l’aéroport ! S’il n’y avait pas de compagnie aérienne pour amener des clients, ADP ne pourrait disposer d’une double caisse et des profits commerciaux que l’on connaît, à hauteur de 900 millions d’euros de chiffre d’affaires par an ! Une contribution serait la moindre des choses. À défaut de la faire peser sur les commerces, on pourrait la faire supporter par les parkings d’aéroport, au titre d’une politique bien comprise d’incitation au transfert modal visant à dissuader de prendre sa voiture.

Car rien ne nous garantit, monsieur le secrétaire d’État, qu’une telle taxe ne soit pas irrésistiblement inflationniste à la faveur soit d’une sous-estimation du trafic, soit plus prosaïquement d’un dépassement du coût d’objectifs des travaux ! En tout cas, d’illustres précédents nous en préviennent ! Il ne fait nul doute que ce débat sera vif, ici au Parlement, le moment venu.

Afin de permettre à SNCF Réseau d’investir sa part dans CDG Express, le Gouvernement, par voie d’amendement, nous propose que ce projet déroge à la « règle d’or » introduite par la loi de réforme ferroviaire censée limiter l’endettement de SNCF Réseau, et dont le décret d’application est par ailleurs impatiemment attendu.

On peut certes comprendre que l’on ne compromette pas un projet d’une telle importance, sous prétexte que SNCF Réseau porte une dette considérable et sans équivalent en Europe – de l’ordre de 50 milliards si l’on ajoute les deux EPIC.

Mais je me permets, très personnellement, en ma qualité de rapporteur de la loi du 4 août 2014 portant réforme ferroviaire, et sans prétendre engager le groupe socialiste, de vous rappeler que cette règle d’or a été introduite dans la loi afin de stabiliser la dette de SNCF Réseau à échéance de 2025, qui est l’objectif majeur assigné à cette réforme ferroviaire.

Il est tout de même préoccupant pour la représentation nationale qu’une disposition phare, dont nul ne conteste l’utilité et dont elle est à l’origine, tombe au premier grand projet venu.

Et je ne vous cacherai pas ma crainte que cette méthode dérogatoire, qui consisterait alors à « balkaniser » une nouvelle envolée de la dette ferroviaire en sollicitant systématiquement des dérogations à la règle d’or, projet après projet, devienne l’habitude. Alors, je vous le dis, notre système ferroviaire, déjà très mal en point, se trouverait confronté à des injonctions contradictoires de nature à compromettre la relance du rail, attendue par la réforme ferroviaire.

Comment ne pas voir que s’il en était ainsi, il deviendrait très difficile d’exiger du corps social de la SNCF, dont on connaît les résistances à la réforme et à la productivité, de produire des efforts anéantis par ailleurs par l’État ?

Je souhaite qu’il s’agisse là d’une exception « exceptionnelle », que l’on n’en fasse pas une nouvelle règle de financement des grandes infrastructures qui conduirait à la fuite en avant de la dette. D’habitude, on la mettait sous le tapis de SNCF Réseau, là on pourrait la mettre sous le tapis de différentes sociétés de projets.

Vous avez toute notre confiance, monsieur le secrétaire d’État, et nos encouragements pour que la liaison ferrée Charles-de-Gaulle Express ne prenne pas de retard.

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