Intervention de Bertrand Pancher

Séance en hémicycle du 27 septembre 2016 à 15h00
Liaison ferroviaire entre paris et l'aéroport paris-charles-de-gaulle — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBertrand Pancher :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous sommes aujourd’hui appelés à voter pour ratifier une ordonnance relative au projet de liaison ferroviaire entre Paris et l’aéroport Charles-de-Gaulle. Il s’agit de valider les modalités choisies par le Gouvernement pour la construction puis l’exploitation de cette ligne.

À cet égard, monsieur le secrétaire d’État, je vous mets solennellement en garde s’agissant des modalités de mise en oeuvre de ce projet, qui sont pour nous totalement effrayantes. Nous ne comprenons pas ce qui a pu conduire à aggraver la dette de plus en plus monstrueuse du groupe ferroviaire avec des infrastructures financées, dans leur majorité, par notre société nationale. Pensant que la leçon avait été comprise, nous avons voté à la quasi-unanimité une « règle d’or » qui devait mettre un terme à cette dérive. Or le premier projet arrivant en discussion la transgresse avant même qu’elle ne commence à être mise en oeuvre !

Certes, le législateur s’est déjà prononcé à plusieurs reprises en faveur du projet. Il est évident que nous avons besoin de cette infrastructure. Dans une logique de compétitivité, il faut doter l’aéroport Charles de Gaulle de cette liaison fournissant un service de transport fiable, et il est également nécessaire de désengorger les axes routiers A1 et A3 qui le desservent. Ce point ne soulève aucune controverse.

En outre, d’un point de vue écologique, les avantages sont indéniables. Certains des usagers du RER B pensent qu’il conviendrait de remettre à niveau cette ligne en priorité. Il faut le faire, évidemment, et nous serons comme vous attentifs à l’amélioration d’une qualité de service qui reste, à bien des égards, déplorable. Mais cette ligne seule, avec déjà 900 000 usagers par jour, n’est pas en mesure d’absorber à la fois la fréquentation en hausse des voyageurs du quotidien et celle, prévue également à la hausse, des passagers aériens.

Disons-le clairement : nous ne remettons aucunement en question le bien-fondé du projet, malgré tout des écueils de taille qui d’ores et déjà se font jour.

Sur le fond, permettez-moi une première observation : ce projet s’appuie sur une étude d’impact de 2007 qui, hélas, n’a pas été actualisée faute d’une véritable enquête publique, comme l’a souligné l’Autorité environnementale.

Par ailleurs, si la durabilité du projet est louable et salutaire, force est de constater que sa soutenabilité financière est loin d’être au rendez-vous. Puisque l’on parle d’analyse d’impact, pensez à la ligne Perpignan-Figueras, monsieur le secrétaire d’État. Cet exemple devrait être inscrit en grandes lettres chaque fois que l’on vote un projet d’infrastructures : avec 90 % de fréquentation en moins, ce sont les exploitants qui payent alors que cette belle ligne devait être en équilibre ! Quid, demain, des exploitants du Charles-de-Gaulle Express ?

Nous sommes invités à voter ce projet de loi alors que le Gouvernement vient de remettre au Parlement un rapport aussi insipide qu’affligeant sur la dette de SNCF Réseau – lisez-le, ce n’est pas difficile ! Affligeant par son manque total de propositions. Affligeant parce qu’il acte le fait que le Gouvernement fait totalement fi de son engagement moral pris ici même lors de la réforme ferroviaire, à savoir reprendre tout ou partie de la dette de notre groupe ferroviaire, évaluée à près de 40 milliards d’euros, en contrepartie de réformes structurelles liées au regroupement des activités ferroviaires publiques. En l’absence de ces réformes, on pourrait objecter que cela ne sert à rien, mais tout de même ! Affligeant enfin parce qu’il se permet de minorer les perspectives d’évolution de la dette en fixant un plafond à 50 milliards d’euros là où beaucoup d’observateurs avertis estiment qu’elle dépassera les 70 milliards d’euros au cours des prochaines années. C’est dire, encore une fois, le peu de visibilité et de stratégie auquel se heurte encore et toujours le dossier ferroviaire !

Nous devons aujourd’hui nous prononcer sur cette nouvelle infrastructure alors que son plan de financement n’est pas encore finalisé et demeure totalement aléatoire. Puisqu’on n’a pas indiqué le montant, il s’agit bel et bien d’un chèque en blanc !

À l’heure actuelle, le plan de conception et de construction est estimé à 1,41 milliard d’euros hors taxes aux conditions économiques de janvier 2014, sans prendre en compte le matériel roulant. Ce dernier, ainsi que divers autres investissements nécessaires à la mise en exploitation du service, est estimé à 285 millions d’euros aux conditions économiques de 2024. Il sera, on le sait, à la charge du groupe qui remportera l’appel d’offres prévu à l’article 2 du texte pour l’exploitation du service de transport de personnes.

Monsieur le secrétaire d’État, vous avez rappelé avec détermination que ce projet ne donnerait lieu à aucune subvention de l’État, conformément à une disposition de la loi du 3 juin 2010 relative au Grand Paris. Dont acte. Cependant, en raison du dispositif retenu par le Gouvernement qui prévoit d’attribuer la construction de l’infrastructure à une société de projet codétenue majoritairement par le groupe Aéroports de Paris et une filiale de SNCF Réseau, c’est un montant pouvant dépasser 900 millions d’euros que cette société de projet va devoir trouver auprès de plusieurs prêteurs – lesquels, du reste, attendent que l’on présente un équilibre avant de prêter. Pour que la société de projet puisse contracter une telle dette, il va falloir qu’elle injecte des fonds propres à hauteur de 30 % du besoin de financement global de 1,4 milliard d’euros, soit entre 200 et 250 millions d’euros respectivement pour Aéroports de Paris et SNCF Réseau.

Cela se traduira par 200 ou 250 millions d’euros de dettes en plus pour la filiale de SNCF Réseau. On n’est plus à cela près, me direz-vous. Mais on fait surtout peser le risque du manque d’équilibre futur de cette opération sur notre opérateur national, et ce risque est évident. Bref, on continue de marcher sur la tête ! Vous bafouez la règle d’or actée par la réforme ferroviaire d’août 2014 avec une tranquillité déconcertante, monsieur le secrétaire d’État. Est-il nécessaire de rappeler le soutien de l’UDI à ce texte qui devait permettre de maîtriser l’endettement du groupe SNCF ? Que n’avons-nous entendu, à l’époque, sur la nécessité d’un accord sur tous les bancs !

En commission, il m’a été répondu que le Parlement avait le pouvoir de défaire ce qu’il avait fait. Soit ! Mais quand nous avons émis l’idée que l’État puisse intervenir directement dans le financement de ce projet d’importance nationale, il nous a été rétorqué que ce n’était pas possible en raison de la loi sur le Grand Paris. Si ce projet met en contradiction deux dispositions législatives adoptées par le Parlement, l’une en 2010, l’autre en 2014, pourquoi ne pas privilégier la disposition la plus sensée et faire prévaloir la loi postérieure sur la antérieure ? Vous avez préféré annoncer que vous auriez recours à un tour de passe-passe juridique, un arrêté signé de votre main devant permettre de ne pas tenir compte de la participation de SCNF Réseau dans la société de projet comme une charge supplémentaire sur la dette consolidée de la SNCF, dette qui s’élève, je le répète, à 40 milliards d’euros, qui dépassera les 50 milliards et qui atteindra 70 milliards si nous continuons comme cela – et il n’y a pas de raison que l’on s’arrête.

En attendant, selon les services de la Direction générale de l’aviation civile, aucune des liaisons ferroviaires analogues au CDG Express dans les autres pays n’atteint l’équilibre financier par les seules recettes de billetterie. Celles-ci sont toujours complétées par des subventions publiques et une contribution versée par l’exploitant de l’aéroport. Sage stratégie, n’est-ce pas ? Pourquoi ne pas faire de même ici ? Eh bien non, le Gouvernement a trouvé la solution : une taxe de 1 euro sur les passagers de l’aéroport qui serait affectée intégralement à la société de projet. On n’est plus à un déficit près ! Comme si Air France, déjà en difficulté, n’avait pas déjà assez à faire face à la concurrence des compagnies low cost…

Pour combler les lacunes de l’État stratège, on fait toujours payer les mêmes, et de préférence nos compagnies nationales déjà dans la tourmente. J’estime que le Gouvernement doit envisager d’autres pistes de financement en vue de garantir le lancement du projet. Le dispositif devait être emblématique, je me rends compte que tel n’est pas le cas !

Dans ces conditions, il serait au minimum souhaitable que l’ARAFER soit saisie du montage financier du projet dès lors que celui-ci sera finalisé. Mais je ne doute pas de la position très claire de l’Autorité sur ce sujet. Elle devra en effet rendre un avis conforme sur la fixation des redevances d’infrastructure liées à l’utilisation de cette partie du réseau ferré national.

J’espère que toutes ces remarques seront entendues, mais je n’y crois plus. Je dirais même que ce projet en appellera d’autres : la prochaine fois, on fera pareil, on invoquera la jurisprudence du Charles-de-Gaulle Express et on ajoutera du déficit au déficit !

J’ai envisagé de voter contre ce texte, mais au groupe UDI, nous tenons à ce projet. Nous nous abstiendrons donc. Mais je vous le dis solennellement, monsieur le secrétaire d’État, nous considérons que ce projet de loi est lamentable.

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