Nous avons à examiner, en procédure accélérée, un projet de loi gouvernemental visant à ratifier l’ordonnance du 18 février 2016 relative à la réalisation d’une infrastructure ferroviaire entre Paris et l’aéroport Paris-Charles-de-Gaulle et à compléter le code des transports, permettant à l’État de désigner l’exploitant du service de transport de personnes.
Ce projet vise à créer une liaison ferroviaire commerciale directe et dédiée entre l’aéroport Charles-de-Gaulle et la gare de l’Est à Paris. L’objectif de cette réalisation serait, nous dit-on, de faciliter les trajets des utilisateurs de l’aéroport et de désengorger les autoroutes Al et A3 ainsi que la ligne B du RER.
Dans votre exposé des motifs, vous précisez la date de mise en service, 2023, et le fait que la ratification de l’ordonnance en question permettra d’attribuer à une société détenue majoritairement par SNCF Réseau et Aéroports de Paris une concession de travaux ayant pour objet la conception, le financement, la réalisation ou l’aménagement, l’exploitation ainsi que la maintenance, comprenant l’entretien et le renouvellement, de cette infrastructure ferroviaire.
Permettez-moi de me faire ici l’écho des inquiétudes que suscite un tel projet parmi les habitants, les salariés et les élus des communes de mon département. En effet, plusieurs associations d’usagers empruntant les lignes B et K du RER et le TER Picardie se mobilisent depuis cette annonce, considérant que loin d’améliorer les conditions de transport des usagers de ces lignes, la création de cette voie express risque au contraire de les mettre en danger.
Cette liaison devrait en effet emprunter les voies du réseau ferré national qu’utilisent déjà la ligne K et les trafics fret. Or, il s’agit des voies de report du RER B en cas de situation perturbée – ce qui, nous le savons, se produit fréquemment. Un rapport du STIF évoque une perte éventuelle de 1,5 milliard d’euros liée à une dégradation de la ponctualité pour la seule ligne B !
J’ai déjà évoqué dans cet hémicycle les difficultés vécues par les centaines de milliers de voyageurs quotidiens de ces lignes, des hommes et des femmes qui empruntent ce moyen de transport pour se rendre chaque jour sur leur lieu de travail. Et si des améliorations ont pu être apportées à leurs conditions de transport grâce à de nombreuses actions des associations, des syndicats, des élus, nous sommes encore loin de satisfaire les besoins criants qui existent en la matière et faire en sorte que le trajet domicile-travail ne soit pas synonyme de galère.
Les pistes d’amélioration sont connues. Le doublement du tunnel entre Châtelet et gare du Nord permettrait aux RER B et D d’absorber deux fois plus de trafic. La réalisation de travaux d’infrastructures, au sud de la ligne B, autoriserait la circulation de rames à deux étages. Tous les orateurs que j’ai entendus s’exprimer depuis le début du débat reconnaissent qu’il faut réaliser en urgence les travaux nécessaires sur la ligne B. Mais les changements sont bien longs à venir et souvent, on nous oppose le problème des moyens financiers.
Si j’émets des doutes sur les bienfaits de la voie express pour les usagers actuels des RER et TER, permettez-moi également de m’interroger sur sa viabilité et son utilité, et tout d’abord à cause du coût du trajet. Le prix de 24 euros par billet aller pour les utilisateurs, ce service n’étant pas accessible aux tarifications du STIF et notamment au passe Navigo, sera décourageant pour les familles de voyageurs – or le voyage aérien se démocratise – et pour les salariés de l’aéroport.
On peut aussi s’interroger sur la validité de ce projet au regard de ceux, d’une grande cohérence, retenus par la Société du Grand Paris sur le réseau du Grand Paris Express. Cette ligne doublerait en effet la ligne 17 du Grand Paris Express, qui sera, elle aussi, opérationnelle en 2023 et proposera une liaison directe entre l’aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle et celui du Bourget, en pleine expansion, avant de rejoindre Saint-Denis-Pleyel, plate-forme multimodale permettant de communiquer avec les lignes 16 et 14. La ligne 17, elle, sera accessible à la tarification du STIF. Je rappelle en outre que la ligne 14 traverse Paris en son centre : ce n’est pas la gare de l’Est !
Par ailleurs, le dossier d’enquête publique reste très évasif sur l’impact du projet sur l’environnement : en juin, l’Autorité environnementale l’a jugé très incomplet.
Enfin, on évoque un coût de 1,4 milliard, probablement sous-estimé, et une viabilité supposant un trafic de 6 millions de passagers par an, chiffre qui n’est pas assuré aujourd’hui. On connaît la situation de SNCF Réseau, fragilisée par un fort endettement de 4 milliards. Comment pourra-t-elle faire face, si la viabilité n’est pas avérée ? Faudra-t-il que l’État, qui détient des parts dans ADP et SNCF Réseau, mette lui aussi la main à la poche ?
Le compte rendu du Conseil des ministres du 6 juillet souligne que la réalisation d’une ligne dédiée constituerait un élément important de la candidature de la France à l’organisation des Jeux olympiques et des Jeux paralympiques de 2024, ainsi que de l’Exposition universelle de 2025. Vous connaissez mon engagement pour les Jeux de Paris en 2024. Pour aboutir, notre candidature, très performante au plan des infrastructures et des conditions d’accueil des athlètes, des journalistes, des officiels et bien sûr du public, a besoin d’un large soutien populaire.
Pour avoir participé à de nombreux débats sur ce sujet, j’ai constaté que le soutien de nos compatriotes est motivé aussi, au-delà de l’envie de partager un grand moment sportif, par l’héritage laissé par la tenue des Jeux aux populations des territoires concernés. Or, motiver Charles-de-Gaulle Express par les JO, c’est admettre que leur héritage ne bénéficiera pas aux habitants des communes qui vivront ces Jeux.
J’ajoute que, pour accéder aux sites des Jeux olympiques, la ligne 17 est beaucoup plus performante que le projet Charles-de-Gaulle Express. Le village des médias sera près de la station du Bourget. Le grand stade, le village olympique, le bassin olympique pourront être desservis par Saint-Denis-Pleyel. En somme, l’argument des Jeux olympiques plaide plutôt pour la réalisation de la ligne 17 avant 2023 que pour celle de Charles-de-Gaulle Express.
Aussi, monsieur le secrétaire d’État, j’attends des réponses aux nombreuses questions que se posent usagers, salariés et élus. Ces réponses décideront de l’attitude des députés du Front de gauche, qui ne voteront pas le projet en l’état.