Intervention de Monique Orphé

Réunion du 26 septembre 2016 à 16h00
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMonique Orphé, rapporteure pour avis :

Je me réjouis que notre commission soit saisie pour avis du projet de loi de programmation relatif à l'égalité réelle outre-mer car, à mon sens, la convergence entre les outre-mer et l'Hexagone passe avant tout par le développement social. Or, malgré les importants progrès réalisés depuis trente ans dans ce domaine, la situation des territoires ultramarins demeure fragile et accuse un retard économique et social souvent profond par rapport à la France métropolitaine. En 2012, le PIB des outre-mer était encore inférieur à celui de la métropole de 30 % en Guadeloupe et en Martinique, et même de 78 % à Mayotte. Comme je l'ai maintes fois rappelé devant la commission, le taux de chômage oscille entre 20 % et 25 % de la population active ultramarine, et le taux de pauvreté est beaucoup plus élevé qu'en métropole : il s'établirait à 20 % environ en Guadeloupe et en Martinique selon un calcul spécifique à ces territoires, mais il bondirait à 42 % à La Réunion dès lors qu'il est calculé en référence au taux national ! Ces quelques données suffisent à illustrer l'importance que revêt ce projet de loi très attendu en faveur de l'égalité réelle pour les populations des outre-mer.

Je passerai rapidement sur les dispositions du texte dont notre commission n'est pas saisie, tout en rappelant néanmoins que les plans de convergence prévus au titre II constituent des outils indispensables pour concrétiser l'égalité réelle, en particulier l'égalité sociale.

Comme mes collègues ultramarins, je me félicite des mesures prises au titre III, dont nous sommes saisis et qui concerne exclusivement Mayotte. En effet, le processus de départementalisation de Mayotte reste à parachever. D'importants progrès ont été accomplis ces dernières années pour faire entrer Mayotte dans le droit commun, et de nombreuses ordonnances ont été prises, en particulier dans le champ social, pour y rendre applicables les principaux dispositifs de protection sociale – le revenu de solidarité active (RSA) en 2012, par exemple, mais aussi l'assurance chômage et les principales prestations sociales en 2013. Toutefois, des règles particulières s'appliquent encore ; c'est pourquoi le processus doit se poursuivre. De ce point de vue, c'est le document stratégique « Mayotte 2025 » signé par le Premier ministre qui donne le la. Ce sont les engagements pris dans ce document que traduisent les deux articles du projet de loi relatifs à Mayotte, qui permettront de réaliser des progrès importants dans le domaine des prestations familiales et de l'assurance retraite.

Ainsi, l'article 9 vise à accélérer le rythme d'augmentation des allocations familiales pour approcher dès 2021, et non plus 2026, les montants en vigueur au niveau national. Il est également prévu l'extension à Mayotte du complément familial selon les règles applicables dans les autres départements d'outre-mer, y compris le montant majoré : le complément familial sera ainsi ouvert aux familles, sous condition de ressources, dès lors qu'elles ont à charge un enfant entre trois et cinq ans et n'ont pas d'enfant de moins de trois ans. De même, les compléments de l'allocation d'éducation de l'enfant handicapé (AEEH) seront étendus à Mayotte.

L'article 10, quant à lui, institue un dispositif spécifique de garantie des pensions des salariés du secteur privé, pour permettre aux retraités ayant cotisé de manière significative au titre de la retraite de disposer d'une pension supérieure à l'allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA). Il prévoit la mise en oeuvre simultanée des systèmes de retraite complémentaire obligatoire en vigueur en métropole. Enfin, il clarifie les modalités de versement d'une pension aux agents publics de Mayotte. On ne peut que se réjouir de ces mesures essentielles pour assurer progressivement l'égalité des droits en matière sociale entre Mayotte et le reste de la France.

Comme plusieurs de mes collègues ultramarins, je constate toutefois que le titre III ne comporte aucune disposition en faveur des autres territoires d'outre-mer. Je le regrette, et mon rôle de rapporteure pour avis de la commission des affaires sociales consiste précisément à défendre des mesures complémentaires pour renforcer l'ambition du texte. Hélas, dans le champ social, nous nous heurtons aux obstacles constitutionnels qui interdisent aux amendements d'origine parlementaire de se traduire par la création ou l'aggravation d'une charge publique. Dans ces conditions, les amendements que je défendrai ne sauraient couvrir l'ensemble des mesures que j'aurais souhaitées, mais j'ai entamé avec le Gouvernement un dialogue qui, je l'espère, nous permettra d'avancer sur une série de mesures en vue de l'examen du texte en séance publique.

J'en viens aux amendements que je vous proposerai dans un instant. Tout d'abord, il me semble essentiel d'aboutir à plusieurs avancées d'ici au passage du texte en séance, même si je n'ai pas pu vous en faire la proposition dès aujourd'hui en raison de l'article 40 de la Constitution. Sans doute le dialogue que les rapporteurs entretiennent avec le Gouvernement permettra-t-il d'apporter en séance des réponses solides sur ces sujets. En effet, de profondes inégalités subsistent encore dans les outre-mer en matière de prestations familiales, auxquelles il est indispensable de s'attaquer si l'on veut mettre les outre-mer sur la voie de la convergence et de l'égalité réelle. Les conditions permettant de bénéficier du complément familial mériteraient par exemple d'être rééquilibrées en faveur des départements d'outre-mer. De même, l'assurance vieillesse des parents au foyer (AVPF) n'existe pas dans ces territoires : c'est inacceptable.

En matière de prestations vieillesse, les retraités ultramarins émargent plus souvent au minimum vieillesse que les retraités métropolitains, en raison de la jeunesse relative des retraites mais aussi de la convergence du SMIC, qui ne date que de 1996. De ce point de vue, il me semble indispensable d'envisager un dispositif de revalorisation des petites pensions, soit en revalorisant le minimum contributif, soit en modifiant la procédure de recours sur succession de l'ASPA, très durement ressentie dans les outre-mer.

Le rapport qui vous est soumis présente en détail l'ensemble des recommandations dont j'espère la concrétisation dans le cadre de ce projet de loi. En tout état de cause, je plaide pour que la convergence maximale soit recherchée en matière de prestations sociales car, à terme, c'est une condition sine qua non de l'égalité réelle.

La première série d'amendements que je vous propose concerne les questions de santé publique et d'accès aux soins dans les outre-mer, qui accusent un retard encore important. La prévalence de certaines maladies chroniques et infectieuses, notamment, y est plus forte qu'en métropole. Les enjeux de santé publique que sont la lutte contre l'alcoolisme et contre l'obésité sont encore plus cruciaux : dans les territoires d'outre-mer, le prix de l'alcool demeure faible par rapport à la moyenne des prix alimentaires, et la teneur en sucre de certains aliments était jusqu'à une date récente bien supérieure à la pratique en vigueur en métropole. Mes amendements visent également à souligner la nécessité d'étendre la couverture maladie universelle complémentaire à Mayotte, à interdire la publicité en faveur des boissons alcoolisées aux abords des écoles et à majorer le montant des droits d'accises sur les rhums des départements d'outre-mer afin de favoriser la prévention et la lutte contre l'alcoolisme. Je souhaite aussi que les élèves des classes élémentaires soient formés aux questions nutritionnelles.

Une ordonnance de mise en oeuvre et d'adaptation de la stratégie nationale de santé aux outre-mer et, plus généralement, d'adaptation du droit de la santé doit être bientôt prise ; le Gouvernement doit nous tenir informés de l'état d'avancement de ses travaux en la matière.

S'agissant de l'offre de soins, je propose de favoriser la mise en place de protocoles de coopération entre les professionnels de santé, ainsi que la modernisation et la restructuration de l'offre de soins hospitalière – tant les hôpitaux ultramarins se heurtent à de considérables difficultés financières et souffrent d'un manque d'attractivité médicale. Autre enjeu majeur : le développement de la télémédecine, qui passe notamment par la recherche d'une tarification de ces actes. Enfin, les évacuations sanitaires sont aussi une particularité des territoires ultramarins, et quelques difficultés parfois très douloureuses pour les patients et leurs familles subsistent encore. Il me semble essentiel d'y remédier pour convaincre les populations des outre-mer qu'elles ne sont pas livrées à elles-mêmes.

Dans le champ de l'éducation et de la formation, les amendements que je propose visent essentiellement à lutter contre l'illettrisme, qui demeure très répandu dans les outre-mer où le français n'est souvent pas la langue maternelle. De ce point de vue, le compte personnel de formation a un rôle important à jouer pour les personnes qui sont en recherche d'activité ou déjà en activité. De même, le développement des outre-mer suppose l'émergence de cadres intermédiaires et supérieurs. À cet égard, la création d'écoles de cadres d'outre-mer serait très utile ; je l'appelle de mes voeux.

La troisième série d'amendements que je vous soumettrai concerne l'égalité entre les femmes et les hommes, qui doit être prioritaire : bien des choses restent à faire en la matière. Mes amendements posent des jalons qui pourront sembler modestes, mais qui contribueront à l'évolution des mentalités.

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