Intervention de Jean-Philippe Nilor

Réunion du 26 septembre 2016 à 16h00
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Philippe Nilor :

Permettez-moi de donner brièvement mon point de vue général : ce texte est décevant. Le ton même qu'a employé Mme la rapporteure pour avis dans son intervention montre bien qu'il existe entre l'ambition affichée et les moyens qui sont concrètement mobilisés un écart – puisque c'est précisément de réduction des écarts qu'il est question dans ce projet de loi – que nos débats ne pourront combler.

Nous sommes loin, en effet, d'un changement de paradigme. Le texte repose sur une vision délibérément assimilationniste, clairement formulée dès l'article 1er : « Dans un objectif d'égalité réelle, la réduction des écarts de développement que connaissent les populations d'outre-mer au sein du peuple français constitue une priorité de la Nation ». Soit ; il ne s'agit donc pas de concevoir, encore moins d'appliquer un mode de développement original ou alternatif, mais bien de réduire les « écarts de développement » par rapport à un modèle, celui de la France hexagonale. Or, chacun sait qu'une telle approche intellectuelle a largement fait la preuve de ses limites. Nos difficultés structurelles ne doivent plus s'analyser en termes de retards de développement, mais en termes de blocages de développement. En effet, l'application de ce modèle qui, depuis l'autre rive de l'Atlantique, nous est présenté comme un idéal que nous serions tenus d'imiter, a donné lieu à toutes sortes d'abus. C'est cette même logique qui, en d'autres temps et d'autres lieux, a poussé certains d'entre nous à se blanchir la peau et à se défriser les cheveux pour ressembler à ceux qu'ils ne sont pas.

D'autre part, je regrette que ce texte, en l'état actuel, ne soit qu'une simple déclaration d'intention, et qu'il nous soit présenté très tardivement, en fin de législature. Convenez en effet que la volonté politique d'un Gouvernement se traduit dans l'ordre de programmation des textes législatifs. De plus, aucune disposition ne vise à rendre l'application de ce projet de loi inéluctable. Que se passera-t-il demain en cas de changement de majorité – qu'on le souhaite ou non ? Nous avons été assez ballottés par les uns et les autres au gré des changements de gouvernements et des programmations sans effets pour adopter désormais une position de prudence et de vigilance. Dans la mesure où l'État ne prend aucun engagement financier en faveur de l'application de ce projet de loi, toutes les supputations sont possibles concernant le financement de ces dispositions. Il n'est pas question d'accepter une nouvelle diminution des ressources des collectivités territoriales au mépris du principe de libre administration.

La loi se donne dix à vingt ans pour atteindre l'égalité réelle. Quel objectif présomptueux ! Je suis prêt à me joindre à cette ambition, mais pourquoi une programmation si prudente ? Les études objectives indiquent qu'un réel rattrapage ne saurait être envisagé avant trente ans au moins, voire qu'il serait impossible en raison de la crise démographique que subissent certains territoires comme la Martinique.

De plus, le texte se caractérise par un silence assourdissant au sujet des moyens financiers et des outils fiscaux que l'État pourrait consentir. Le Conseil d'État partage cette observation, mais pour s'en féliciter : les objectifs de ce projet loi, estime-t-il, ne sont que de nature purement qualitative et ne sont assortis d'aucun engagement financier.

Enfin, les plans de convergence – si tant est qu'il soit opportun de vouloir obsessionnellement « converger » vers un modèle qui n'est pas forcément souhaitable pour nous – demeurent, en l'état actuel du texte, sous la responsabilité de l'État central. J'y vois les prémices d'un retour à une forme de centralisation qui est loin de répondre aux aspirations maintes fois réitérées par les parlementaires, ainsi que par les présidentes et présidents des exécutifs des collectivités d'outre-mer, à tenir compte de nos besoins et de notre manière de voir en vue d'élaborer des modèles de développement réel – plutôt que des plans de convergence – voulus et conçus par les acteurs locaux en concertation avec l'État.

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