Intervention de Victorin Lurel

Réunion du 26 septembre 2016 à 16h00
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaVictorin Lurel :

Voici une trentaine d'années que je suis engagé dans la vie politique et je n'ai pas perdu mes rêves. Je dis souvent ceci aux électeurs : le jour où vous voudrez récuser la République française, vous le ferez ; le jour où vous serez fatigués de la liberté, de l'égalité, de la fraternité, nul n'enverra des blindés pour vous forcer à demeurer dans le giron de la République.

Avec d'autres, j'ai participé à une plateforme présidentielle en 2012, et soixante engagements ont été pris en faveur des outre-mer. Aujourd'hui, plus de 90 % des promesses ont été tenues et les résultats sont là, quoi qu'on en dise. Nous avions dit et écrit – et le peuple y a souscrit – que nous voulions cette égalité. La recherche du graal égalitaire date de bien avant l'abolition de l'esclavage, mais aussi de 1946, époque à laquelle le grand Césaire évoquait une « assimilation géométrique » – c'est son terme, non le mien – qui n'est aujourd'hui rejetée ni en Martinique, ni en Guadeloupe ni ailleurs. Il n'y a aucune honte à dire qu'il faut tout faire, dans la République française, pour réduire et même résorber les inégalités territoriales, mais aussi les inégalités entre les personnes et les inégalités de revenus, de patrimoine, de reproduction sociale, et que ce n'est pas antinomique avec la recherche de son propre modèle.

Depuis 1982, nous avons – c'est l'honneur de la gauche – donné assez de liberté d'administration et de gestion aux collectivités territoriales – libre à elles, le moment venu, d'aller plus loin si elles le souhaitent. Lorsque l'on s'empare de tous ces pouvoirs, les résultats existent. Certes, le chemin à parcourir est encore long ; au fond, nous n'en verrons jamais la fin, car le développement est un processus qu'il appartient à chaque génération de poursuivre. C'est ce que nous faisons là où nous sommes. Personne ne m'oblige à défriser mes cheveux ni ne m'impose la « lactification » dont parlait Frantz Fanon. Nul système ne me contraint à être un nègre honteux ou un blanc décérébré. Les discours qui le prétendent, et que nous entendons certes au pays, ne font pas le bonheur des gens, même s'ils font peut-être celui de leurs auteurs parce qu'ils sont intellectuels ou qu'ils ont été lus dans des livres qui ne sont pas les nôtres.

Il est vrai que le présent texte est le dernier véhicule de la législature sur les outre-mer. Il faut encore l'améliorer, l'enrichir et tout faire pour que le Gouvernement lève le gage de sorte que les mesures proposées par les parlementaires ne soient pas déclarées irrecevables. Même s'il ne s'agit pas du grand soir, je crois à la politique des petits pas et à la force révolutionnaire de la modération. Ce n'est pas en étant lyrique – je l'ai été et je ne renie rien – que l'on fait avancer la cause. Rien ne sert de vouloir renverser la table ; c'est petit à petit que l'on avance.

Ce texte repose sur un principe philosophique : celui de l'égalité, qui a suscité toutes les révolutions du monde, singulièrement en France. Pour lui donner corps, il a été décidé de le traduire en politique d'égalité des chances – que le social-démocrate que je suis ne récuse aucunement. Il s'agit de donner à chacun les moyens de son expression, de son épanouissement, de réussir son parcours de vie ou de citoyenneté, son parcours professionnel, scolaire ou universitaire – en clair, de donner à chacun les mêmes chances au départ. Pour éviter que les inégalités ne soient trop profondes à l'arrivée, nous proposons l'égalité continue des chances, par la formation et l'éducation continues tout au long de la vie. Nous jugerons alors les écarts en fonction du travail et de l'ardeur de chacun à réussir qui sa vie, qui sa citoyenneté, et nous verrons s'ils sont socialement acceptables et s'ils sont justes. Il n'est pas question pour nous d'édifier une termitière, une société égalitariste ou babouviste ; c'est à chacun que revient le soin de réussir. Rien n'interdit aux élus que nous nous donnons d'élaborer des modèles différents.

Je me réjouis donc de la présentation de ce projet de loi, dont je sais pourtant les insuffisances. Je sais aussi le combat qu'il reste à mener avec le Gouvernement, les ministres, les élus et les collègues ici présents pour aboutir à un texte plus équilibré. Mieux vaut l'enrichir et en envisager le potentiel que le rejeter en bloc. En tout état de cause, il correspond parfaitement à la proposition n° 29 du Président de la République, dont les engagements ont été concrétisés depuis 2012. Celui-ci arrive à son heure, et je me félicite qu'il n'ait pas été oublié. À nous et à nos successeurs de faire leur part du travail.

Ce texte encore en gestation est soumis à l'avis de votre commission, avant que la commission des affaires économiques ne fasse de même et que la commission des lois s'en saisisse au fond. Le texte qui sera présenté en séance plénière sera encore imparfait pour les uns ou les autres, et il appartiendra alors au Gouvernement de nous indiquer d'ici là comment il compte l'améliorer. Je ne désespère pas quant à moi d'aboutir à un bon texte qui soit l'expression d'une bonne politique.

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