Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, nous sommes très heureux de vous présenter ce rapport. Effectivement, nous avons choisi de vous le présenter immédiatement, dès la publication, car le projet de loi de financement de la sécurité sociale est examiné dès le début du mois d'octobre. Ainsi disposerez-vous du temps nécessaire pour prendre connaissance des différents chapitres du rapport.
Ce rapport est établi, comme chaque année, dans le cadre de la mission d'assistance de la Cour au Parlement et au Gouvernement. Il est destiné à accompagner le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2017, qui sera prochainement déposé sur le bureau des assemblées.
J'ai auprès de moi, pour vous présenter le travail de la Cour, Antoine Durrleman, président de la 6e chambre, chargée de la préparation de ce rapport ; Henri Paul, président de chambre et rapporteur général de la Cour ; Jean-Pierre Viola, conseiller maître, rapporteur général de ce rapport ; Delphine Rouilleault, auditrice, rapporteure générale adjointe. Le rapport a donc mobilisé de très nombreux rapporteurs de la Cour.
Plus de soixante-dix ans après sa création, la sécurité sociale est, plus que jamais, un élément essentiel de la solidarité et de la cohésion nationales. Année après année, la Cour souligne à quel point ses déficits récurrents mettent à mal le dispositif dans son ensemble et se reportent sur les générations futures au travers de la dette sociale qui singularise notre pays par rapport à ses voisins.
Dans ce rapport, la Cour ne cherche pas seulement à apprécier la trajectoire des finances sociales. Elle veille aussi à proposer des analyses et des pistes de réformes en vue d'un retour rapide à l'équilibre financier, condition nécessaire pour la pérennité et l'efficacité de la sécurité sociale.
Cette année, nous faisons trois constats principaux. Tout d'abord, la réduction des déficits – nous nous en réjouissons – se poursuit, permettant une première amorce de diminution de la dette sociale ; toutefois, les déficits restent élevés et le retour à l'équilibre doit donc demeurer une priorité. Ensuite, l'assurance maladie doit être réformée en profondeur, à l'image d'autres composantes majeures de la protection sociale ; à cet égard, les réformes des retraites des salariés du secteur privé montrent que réformer une composante majeure de la protection sociale est possible et peut produire des résultats importants. Enfin, indépendamment des réformes structurelles, tous les leviers doivent être mobilisés avec opiniâtreté, en particulier en matière de gestion – il faut, sans retard, des gains d'efficience accrus à l'hôpital et dans les organismes de sécurité sociale.
La réduction des déficits se poursuit, permettant une première diminution de la dette sociale. Toutefois, leur persistance pour la quatorzième année consécutive constitue une anomalie par rapport à la situation chez nos voisins. Ce sont les déficits très élevés de l'assurance maladie et du Fonds de solidarité vieillesse (FSV) qui retardent le retour à l'équilibre de la sécurité sociale. C'est notre premier constat et c'est sans doute le principal message que la Cour souhaite adresser aujourd'hui : l'amélioration de la situation financière de la sécurité sociale est réelle, mais elle reste fragile et ne permet pas de relâcher les efforts de maîtrise des dépenses, tout particulièrement pour l'assurance maladie qui appelle des réformes en profondeur.
Ce constat résulte de quatre faits principaux.
Premièrement, le déficit de la sécurité sociale s'est réduit en 2015, ce qui a permis un début de reflux de la dette sociale. Il continue néanmoins à s'inscrire à un niveau élevé en raison des déficits de l'assurance maladie et du FSV. En 2015, le déficit agrégé des régimes obligatoires de base de sécurité sociale et du FSV s'est élevé à 10,2 milliards d'euros, contre 12,8 milliards d'euros en 2014. En son sein, le déficit du régime général et du FSV a reculé à 10,8 milliards d'euros, alors qu'il s'élevait à 13,2 milliards d'euros en 2014.
Trois évolutions positives doivent être soulignées. D'une part, le déficit a continué à se réduire au même rythme, modéré, qu'en 2014, alors que les prévisions tablaient sur une simple stabilisation. Pour la deuxième année consécutive, la Cour relève un écart important entre prévisions et réalisations. S'il en est de même en 2016, cela témoignera plus, malheureusement, du manque de fiabilité que de la prudence des prévisions ; on peut craindre qu'il en soit ainsi, mais les chiffres seront connus à la fin de la semaine. D'autre part, la baisse du déficit a cette année davantage reposé sur un ralentissement de la hausse des dépenses, qui ont progressé moins vite que le produit intérieur brut (PIB) en valeur. Les mesures d'augmentation des recettes, comme la hausse des cotisations d'assurance vieillesse, ont néanmoins apporté une contribution importante à la diminution du déficit. Enfin, compte tenu des excédents de la caisse d'amortissement de la dette sociale (CADES), la réduction du déficit a fait refluer, pour la première fois depuis 2001, la dette sociale à hauteur de 2,1 milliards d'euros.
Des éléments moins favorables viennent toutefois tempérer ces constats. La sécurité sociale n'a pas encore retrouvé en 2015 – ce sera différent en 2016 – le niveau de déficit antérieur à la crise, qui était lui-même très élevé. Par ailleurs, environ 40 % du déficit, soit environ 4 milliards d'euros, résulte de causes structurelles, indépendantes de la conjoncture. Le déficit se concentre de plus en plus sur la branche maladie et le fonds de solidarité vieillesse.
Le déficit de la branche maladie se réduit, en particulier grâce à une mesure de recette exceptionnelle d'anticipation des versements des contributions et cotisations sociales de la caisse des congés payés du bâtiment et des travaux publics, d'un montant de 1,1 milliard d'euros. Ce déficit représente près de 85 % de celui du régime général hors FSV, et 54 % de ce même déficit si l'on intègre le FSV. Cela confirme l'urgence de réformes visant à maîtriser plus efficacement les dépenses de santé prises en charge par l'assurance maladie.
Le déficit du FSV a, quant à lui, constamment augmenté depuis 2013, pour atteindre 3,9 milliards d'euros en 2015. Certes, la conjoncture joue négativement puisque ce fonds compense l'absence de cotisations des chômeurs à la branche vieillesse. Cependant, sa structure de financement est fragile, plus encore depuis cette année. Ses ressources sont désormais presque entièrement assises sur les revenus du capital, très sensibles à la conjoncture.
Deuxièmement, le déficit devrait continuer à baisser en 2016 et les années suivantes, mais l'année du retour à l'équilibre reste à ce stade incertaine.
Avant de détailler ce point, je veux revenir sur l'estimation, présentée en juin dernier par la Commission des comptes de la sécurité sociale, d'une baisse prévisible de 1,7 milliard d'euros du déficit en 2016. La Cour l'a dit : elle ne partage pas cette estimation, qui intègre, de manière très discutable, un « produit exceptionnel de CSG » de 700 millions d'euros, alors que cette écriture comptable ne correspond à aucune recette supplémentaire. En fait, on a pris un treizième mois de CSG pour l'année 2016 mais, à ma connaissance, rien n'a changé, une année dure toujours douze mois. Nous ne comprenons donc pas l'intégration de ce produit exceptionnel. Son intégration, probable, aux prochaines prévisions de cette commission, rendues publiques dans quelques jours, puis aux comptes de l'assurance maladie, est de nature à fausser sensiblement l'appréciation de la réalité du redressement de cette dernière, réel mais moins important qu'en intégrant ces 700 millions d'euros.
En tout état de cause, une croissance plus soutenue que prévu de la masse salariale et l'impact de l'erreur de prévision du déficit de 2015 pourraient permettre, en définitive, une réduction du déficit d'ampleur analogue à celle des années précédentes, peut-être légèrement supérieures, mais il faudra soustraire ces 700 millions d'euros pour en avoir une vue exacte.
Après onze années consécutives de déficit, la branche vieillesse devrait revenir à l'équilibre en 2016 et serait même en léger excédent. La Cour souhaite cependant insister sur un point important : pour apprécier correctement la situation financière de la branche vieillesse, il est indispensable de prendre en compte le FSV, dont la quasi-totalité des concours financiers lui sont affectés. Tant que le FSV demeure en déficit, ce qui sera à nouveau le cas en 2016, tout retour à l'équilibre de la branche vieillesse est en faux-semblant.
L'assurance maladie devrait conserver en 2016 un déficit élevé, qui se réduirait certes par rapport à 2015, mais dans une proportion nettement moindre qu'il pourrait apparaître, une fois retiré le « produit exceptionnel » de CSG déjà évoqué.
Malgré la poursuite de la réduction des déficits en 2016, l'année du retour à l'équilibre ne peut être à ce stade anticipée avec certitude, du fait des nombreux aléas qui entourent les prévisions. La réalisation du scénario d'évolution des dépenses d'assurance maladie présente des incertitudes liées à des tensions croissantes sur l'exécution de l'objectif national des dépenses d'assurance maladie (ONDAM) et au caractère parfois peu documenté des économies qui le sous-tendent.
Troisièmement, malgré un taux de progression de l'ONDAM à la baisse, la maîtrise des dépenses d'assurance maladie reste encore trop imparfaitement assurée.
En 2015, l'ONDAM a été respecté – il faut s'en réjouir – pour la sixième année consécutive, non sans tensions. La progression des dépenses s'est ralentie par rapport à 2014, étant passée de 4 % à 2 %, mais il a fallu compléter les mesures, prises en cours d'année, de réduction des dotations aux établissements sanitaires et médico-sociaux, encore une fois par un ajustement comptable inédit. Ces difficultés sont notamment la conséquence de l'évolution très insuffisamment maîtrisée des dépenses de soins de ville. Les honoraires médicaux et paramédicaux, les indemnités journalières et les dépenses relatives aux dispositifs médicaux augmentent rapidement, souvent au-delà de prévisions manquant elles-mêmes de sincérité.
Les taux d'augmentation de l'ONDAM de 1,75 % fixés dans le cadre du programme de stabilité pour 2016 et 2017 sont moins élevés en apparence qu'en 2015 (2 %) mais ils ne correspondent pas pour autant à un objectif de maîtrise accrue des dépenses. En neutralisant les effets d'une modification de présentation comptable, ces taux correspondent en réalité à une progression de l'ONDAM de 1,9 % en 2016 et de 2 % en 2017, sans effort supplémentaire donc par rapport à 2015. Dans ces conditions, l'ONDAM 2016 devrait être tenu mais l'objectif 2017 s'annonce particulièrement difficile à respecter, notamment du fait des augmentations de salaires accordées dans la fonction publique hospitalière comme dans les autres fonctions publiques, d'un montant de l'ordre de 700 à 800 millions d'euros en 2017, et des revalorisations tarifaires portées par la nouvelle convention médicale signée au mois d'août dernier, d'un montant de l'ordre de 400 millions d'euros en 2017.
Toutes choses égales par ailleurs, la réalisation effective de l'objectif de progression de l'ONDAM de 1,75 % en 2017 nécessiterait de limiter à 1,1 % la hausse des autres dépenses. De nouvelles économies, de l'ordre de 2 milliards d'euros, seraient nécessaires en plus des économies de 10 milliards d'euros déjà programmées sur la période 2015-2017, dont le contenu précis reste encore souvent à documenter. Dans ce contexte, relâcher l'ONDAM, comme la tentation pourrait se faire jour, apparaîtrait comme une solution de facilité non exempte de risques.
Quatrièmement, une augmentation plus élevée de l'ONDAM en 2017 aurait deux inconvénients majeurs. D'une part, elle pourrait être comprise comme le signal d'un relâchement plus durable de l'évolution des dépenses. D'autre part, elle ralentirait le nécessaire retour à l'équilibre financier de la sécurité sociale et le remboursement de la dette sociale. Cela dit, il est vraisemblable que l'ONDAM soit réajusté – il est effectivement question d'un ajustement à 2,2 %.
La dette sociale accumulée depuis les années 1990 a commencé à baisser en 2015 pour la première fois depuis 2001. Elle devrait continuer à se réduire en 2016 et au cours des années suivantes. Cela ne veut pas dire que le problème de la dette sociale appartient au passé. D'abord, elle reste très importante. À la fin de l'année 2015, elle atteignait encore 156,4 milliards d'euros. Des ressources massives – 16,5 milliards d'euros en 2015 – doivent être consacrées au paiement de ses intérêts et au remboursement de son principal. Éteindre totalement cette dette d'ici à 2024, qui est le terme aujourd'hui prévu pour la mission de la CADES, est donc essentiel. En outre, seul l'amortissement de la dette sociale transférée à la CADES est aujourd'hui organisé. La part de la dette financée par la voie d'emprunts de court terme émis par l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS) est soumise au risque d'une remontée des taux d'intérêt – même si celle-ci n'intervient pas obligatoirement aujourd'hui. Cette dette à court terme augmentera d'autant plus que les déficits des exercices 2016 et suivants resteront eux-mêmes importants. Dans le même temps, la CADES ne peut plus recevoir de nouveaux déficits sans que lui soient affectées des ressources supplémentaires. En fonction du niveau des déficits futurs, la part de la dette dont le remboursement n'est pas organisé pourrait atteindre jusqu'à 30 milliards d'euros à la fin de l'année 2019.
La Cour souligne dès lors deux priorités : limiter l'augmentation de la dette sociale qui n'a pas encore été transférée à la CADES, en prenant des mesures d'économie fortes sur les dépenses d'assurance maladie, des marges de manoeuvre existantes, qui permettent d'agir sans remettre en cause la qualité des soins ni l'accès à ceux-ci ; organiser le transfert à la CADES de la dette sociale financée par l'ACOSS, en lui affectant les ressources nécessaires à l'amortissement de cette dette d'ici à 2024. Les excédents disponibles du fonds de réserve des retraites pourraient en particulier être mobilisés par priorité.
J'en viens au deuxième message de la Cour : l'assurance maladie doit être réformée en profondeur, à l'image d'une autre composante majeure de la protection sociale dont les réformes successives ont produit des résultats importants, les retraites. Elle doit être réformée en profondeur, pour retrouver l'équilibre et mieux remplir sa mission d'accès aux soins, affaiblie sur le long terme pour une partie des assurés.
Un reproche nous est souvent fait. Lorsque la Cour dit qu'il faut revenir à l'équilibre, ce n'est pas pour des raisons purement comptables – ce n'est d'ailleurs pas la préoccupation première de la Cour. C'est tout simplement parce que le déficit de la Sécurité sociale peut constituer une anomalie, à partir du moment où les dépenses en cause sont des dépenses courantes, qu'il n'y a aucune raison de faire reposer sur les générations suivantes. La deuxième chose, c'est que fragiliser la Sécurité sociale, c'est remettre en cause l'accès aux soins, dès lors que cela entraîne un désengagement de la Sécurité sociale sur un certain nombre de dépenses de santé, avec une part plus importante prise par les complémentaires – on sait parfaitement que l'accès aux complémentaires n'est pas le même pour tout le monde. Cela peut donc remettre en cause l'égalité d'accès aux soins. Il est donc nécessaire que les comptes sociaux soient équilibrés. C'est dans l'intérêt même de la Sécurité sociale et des assurés sociaux que la Cour prône l'équilibre des comptes.
La situation actuelle présente un paradoxe. D'un côté, la part globale de financement des dépenses de santé par l'assurance maladie est en passe de retrouver son niveau d'il y a quinze ans, en progressant sensiblement au cours de la période récente – c'est d'ailleurs l'objet d'une importante communication de Mme la ministre. De l'autre, la Cour observe une érosion tendancielle des niveaux individuels de prise en charge en fonction des pathologies, des actes et biens de santé, et des professionnels de santé qui en sont à l'origine.
Deux phénomènes expliquent ce paradoxe. D'une part, les dépenses liées aux affections de longue durée (ALD), couvertes à 100 %, ticket modérateur compris, tendent à évincer les autres dépenses. Alors que le coût des traitements augmente, le nombre de patients en ALD a pratiquement doublé en 20 ans, sous l'effet de l'allongement de l'espérance de vie et de la diffusion croissante de certaines pathologies. D'autre part, l'accès aux soins des assurés sociaux aux faibles revenus est affecté par les pratiques de dépassements d'honoraires ou des tarifs pris en charge par l'assurance maladie.
Cette situation concerne notamment les consultations médicales, l'optique et les soins bucco-dentaires. Ces derniers concentrent la moitié des renoncements aux soins pour des motifs financiers. Un patient sur cinq renonce aux soins bucco-dentaires ! Certes, les assurances privées complémentaires permettent de réduire le risque de restes à charge élevés et le non-recours aux soins. Elles occupent une place très importante en France, contrairement à ce que l'on constate chez la plupart de nos voisins. Elles présentent cependant plusieurs limites : elles ne font pas disparaître les risques de restes à charge élevés ; elles représentent un coût important pour les assurés et les employeurs, notamment du fait de frais de gestion élevés dupliquant ceux de l'assurance maladie, et pour la collectivité, à travers les aides fiscales et sociales accordées aux complémentaires d'entreprise ; elles sont inégalitaires, défavorisant les assurés individuels, notamment les personnes âgées et les chômeurs.
La Cour avance plusieurs pistes pour mieux maîtriser les dépenses, renforcer la solidarité entre les assurés et améliorer l'accès aux soins sur l'ensemble du territoire. Des réformes opérées à rôles inchangés de l'assurance maladie et des assurances complémentaires pourraient ne pas suffire à assurer l'accès de tous aux soins dans des conditions financièrement soutenables. C'est pourquoi la Cour a examiné trois scénarios de réforme portant sur l'articulation même des missions de l'assurance maladie et des assurances complémentaires.
Un premier scénario consisterait à mener à terme la généralisation des couvertures complémentaires santé, mais en resserrant fortement l'éventail des tarifs et des garanties de façon à réduire les inégalités financières dans l'accès aux soins.
Dans un deuxième scénario de moyen terme, les financements et les responsabilités de l'assurance maladie et des assurances complémentaires pourraient être « décroisés ». Les assurances complémentaires couvriraient dès le premier euro certaines dépenses que l'assurance maladie prend aujourd'hui en charge avec de faibles niveaux de remboursement. Cela permettrait de renforcer le rôle de régulation propre à chaque financeur vis-à-vis des professionnels de santé concernés. Cela permettrait aussi à l'assurance maladie de mieux couvrir certains domaines essentiels. Ainsi, le ticket modérateur pourrait être supprimé pour les actes hospitaliers et les soins dentaires conservateurs qui préviennent le recours ultérieur à des prothèses – parmi les soins bucco-dentaires, ce sont les soins de prothèse et les soins d'orthodontie qui coûtent très cher. Si des mesures fortes et contraignantes de régulation des actes et des tarifs n'étaient pas adoptées dans le cadre de la prochaine convention avec les chirurgiens-dentistes, dont la négociation vient de s'engager, un tel scénario pourrait être envisagé afin d'enrayer la dérive du coût des soins prothétiques.
Dans un troisième scénario, de long terme, ce sont les modalités mêmes de prise en charge des dépenses de santé par l'assurance maladie qui pourraient être réformées. Un plafonnement des restes à charge pourrait être introduit, comme dans de nombreux pays européens, selon plusieurs critères possibles, par exemple en fonction de la présence ou non d'une pathologie chronique ou en fonction du revenu, comme en Allemagne.
L'assurance maladie appelle ainsi des réformes structurelles, au-delà des mesures ponctuelles qui se succèdent année après année pour permettre de tenir l'ONDAM. La priorité a, de fait, été donnée aux réformes successives des retraites, l'assurance maladie constituant en quelque sorte, jusqu'à présent, une préoccupation de second rang. À l'heure où les réformes des retraites produisent des résultats désormais visibles, le moment peut apparaître propice pour redoubler d'efforts sur ce champ.
Même si de nouveaux ajustements pourraient être nécessaires à l'avenir, les réformes des retraites montrent qu'il est possible de réformer une composante majeure de la protection sociale avec des résultats. Les retraites de base et complémentaires des salariés du secteur privé constituent la principale composante du système de retraites. Elles ont été réformées plusieurs fois depuis la fin des années 1980. Tous les leviers d'action ont été mis à contribution. Ces réformes ont considérablement amélioré les perspectives financières des retraites par répartition. À chaque réforme, leur pérennité est de mieux en mieux assurée. C'est d'autant plus le cas que leurs effets ne sont pas épuisés, mais s'amplifient au fur et à mesure des nouvelles générations de retraités. Bien sûr, les réformes ont conduit les actuels et futurs retraités, ainsi que leurs employeurs, à consentir des efforts importants. Toutefois, elles n'ont pas interrompu le progrès social permis par la hausse des rémunérations et l'allongement de la durée de vie. Ainsi, le montant moyen des pensions continue à augmenter, même s'il le fait moins rapidement qu'auparavant. L'âge de départ est appelé à augmenter de près de trois années entre les retraités actuels, nés en 1950, et futurs, nés en 1980, mais, compte tenu de l'augmentation de l'espérance de vie, le rapport entre la durée de vie à la retraite et la durée totale de la vie sera, pour les futurs retraités, au moins égal à celui des retraités nés en 1935.
Les problèmes financiers des retraites des salariés du secteur privé ne peuvent pour autant être considérés comme définitivement réglés. Le Conseil d'orientation des retraites (COR) retient une hypothèse centrale de croissance annuelle de 1,5 % des gains de productivité du travail. Dans ces conditions, l'équilibre financier des retraites serait certes durablement assuré, mais cette projection peut apparaître optimiste – une telle progression de la productivité n'est pas acquise. Avec une hypothèse plus prudente de 1,3 %, les retraites complémentaires seraient encore à l'équilibre, mais plus les retraites de base. Dans un scénario, également plausible malheureusement, de hausse des gains de productivité limitée à 1 %, les retraites complémentaires comme les retraites de base seraient en déficit. Et, dans tous les cas, les déficits s'emballeraient rapidement.
La perspective de nouveaux ajustements ne peut ainsi être écartée a priori. Elle doit au contraire être anticipée en tirant les leçons des trente années de réformes qui viennent de s'écouler. La prise de décision doit être mieux éclairée, à partir d'un nombre plus réduit de scénarios à moyen terme et d'une analyse plus précise de l'effet des mesures envisagées. Alors que les retraites de base et complémentaires ont été réformées de manière cloisonnée, une instance de coordination entre l'État, les partenaires sociaux et les gestionnaires des régimes apparaît indispensable pour appréhender globalement leur situation. Enfin et surtout, un processus d'ajustement progressif et continu des retraites est de loin préférable à des réformes par à-coups, présentées tous les cinq ou dix ans comme les dernières. Cela permettrait d'éviter des réactions tardives, un report excessif des efforts sur les générations les plus jeunes, ou une remontée de la dette sociale. Sans priver les pouvoirs publics et les partenaires sociaux de leurs prérogatives, l'instance de coordination que je viens d'évoquer pourrait avoir pour mission de définir, par anticipation et en fonction de scénarios crédibles, les mesures à appliquer en vue d'assurer l'équilibre financier des retraites de base et complémentaires. La Cour identifie quelques leviers possibles.
Le troisième et dernier constat de la Cour porte sur les gains d'efficience accrus, possibles et nécessaires, à l'hôpital et dans les organismes de sécurité sociale. La démarche de maîtrise des coûts et de retour à l'équilibre des comptes n'est là que pour servir l'objectif essentiel de tout service public : sa qualité, qui doit toujours s'améliorer.
Or la Cour souligne l'existence de marges d'efficience accrue à l'hôpital.
C'est notamment le cas en matière de prescriptions d'actes, de prestations et de biens de santé par des médecins hospitaliers ; nous pouvons évoquer notamment les dépenses d'imagerie et de biologie. Les dépenses réalisées à l'hôpital et en ville au titre des prescriptions hospitalières, d'un montant de 24,7 milliards d'euros en 2014, sont particulièrement dynamiques, ayant progressé de 32 % en euros constants entre 2007 et 2014, et prennent une place croissante dans l'ONDAM. Elles sont pourtant très imparfaitement mesurées, analysées et régulées.
Un nouveau contrat d'amélioration de la qualité et de l'efficience des soins entre les établissements, les agences régionales de santé (ARS) et l'assurance maladie doit remplacer cinq dispositifs contractuels qui s'étaient empilés sans avoir d'effet notable sur le volume des prescriptions. Cependant, pour maîtriser plus efficacement ces dernières, il convient de responsabiliser plus directement le corps médical lui-même, collectivement et plus encore individuellement, qu'il s'agisse des prescriptions réalisées à l'hôpital ou de celles exécutées en ville.
L'informatisation des processus de soins et de gestion a beaucoup progressé. Le caractère stratégique des outils numériques a été bien assimilé par les communautés médicales. Le programme « Hôpital numérique » a mis fin à l'attribution de financements au coup par coup, en affirmant des objectifs de mise à niveau de la sécurité et des services rendus par les systèmes d'information de l'ensemble des hôpitaux.
Néanmoins, des progrès importants sont encore à réaliser, qu'il s'agisse du pilotage national des systèmes d'information hospitaliers ou de la capacité des applications à communiquer entre elles. Une mutualisation des fonctions informatiques de différents établissements est aussi attendue des nouveaux groupements hospitaliers de territoire. Au-delà, les systèmes d'information hospitaliers doivent s'ouvrir en direction des autres acteurs du système de soins, notamment les médecins de ville et les professions paramédicales.
La recherche de gains d'efficience accrus concerne aussi les organismes de sécurité sociale.
La certification obligatoire des comptes de la sécurité sociale par la Cour pour le régime général depuis dix ans et des comptes des autres régimes par des commissaires aux comptes depuis huit ans a contribué à deux progrès majeurs : une transparence et une sincérité accrues des comptes ; la modernisation de l'organisation, des processus et des outils de gestion des organismes de sécurité sociale. Les comptes sont aujourd'hui tous certifiés, mais souvent avec des réserves. En particulier, des erreurs trop nombreuses continuent à affecter le versement des prestations sociales au regard des règles de droit applicables, au détriment des organismes, mais aussi souvent des assurés. Ce constat invite à sécuriser encore les processus de gestion.
Par ailleurs, la Cour appelle à une réflexion approfondie sur la gestion des ressources humaines de la sécurité sociale. Des efforts importants ont été accomplis. Ainsi, les effectifs du régime général ont été réduits de 17 700 emplois, soit 10,8 %, entre 2005 et 2015. Cette réduction a permis de stabiliser la masse salariale depuis 2009 en compensant l'incidence d'augmentations salariales parfois insuffisamment rigoureuses.
Cependant, la productivité des organismes de sécurité sociale est affectée par une durée annuelle du travail inférieure de 1 540 heures en moyenne en 2014, inférieure à la durée légale de 1 607 heures, et un absentéisme élevé, de 8,9 % en moyenne. Cela représente au total l'équivalent de 10 000 emplois.
Les importantes disparités territoriales constatées en matière d'absentéisme soulèvent la question de leur prévention et de leur contrôle.
Les caisses de sécurité sociale vont connaître des départs massifs à la retraite – pour le seul régime général, leur nombre sera d'environ 55 000 au cours des dix prochaines années. Toutefois, les gestionnaires apparaissent très largement impréparés à ce défi, qui offre l'occasion de dégager des gains de productivité, d'adapter les compétences aux besoins et de continuer à rationaliser les réseaux des caisses, comme la Cour l'a préconisé l'année dernière.
Définir une stratégie de modernisation des ressources humaines de la sécurité sociale apparaît urgent.
Illustration de ces nécessités de rationalisation et d'évolution, la fonction informatique de la sécurité sociale, malgré son caractère stratégique, est fragmentée sur un triple plan institutionnel, géographique et fonctionnel. Cela ralentit la modernisation de systèmes d'information souvent anciens. Faire gagner en efficience la fonction informatique suppose de rassembler sous une même autorité les agents qui y concourent, de regrouper les activités sur un nombre plus réduit de sites, de consolider les compétences internes afin de réduire le recours à des prestataires externes et de renforcer les mutualisations.
En dernier lieu, moderniser la sécurité sociale nécessite de mener à terme des réformes aujourd'hui au milieu du gué.
Depuis les années 1960, le régime minier de sécurité sociale connaît un déclin démographique irréversible. Comme la Cour l'avait recommandé, il a été fermé à de nouvelles affiliations et la gestion des prestations est depuis l'année dernière confiée en totalité à d'autres opérateurs. Reste aujourd'hui une caisse dont la raison d'être a disparu et qui se contente de piloter un réseau de plus de 260 structures de soins, dont l'important déficit est pour partie sous-évalué. La Cour préconise, bien sûr sans remettre en cause les droits des assurés du régime, garantis par la loi, de fermer la caisse à un terme rapproché. À la suite de réorganisations plus profondes que celles aujourd'hui engagées, les structures de soins, ainsi rendues viables, seraient alors confiées à des opérateurs publics ou privés à but non lucratif. C'est la condition de leur pérennité.