Intervention de Didier Migaud

Réunion du 28 septembre 2016 à 10h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Didier Migaud, président du Haut Conseil des finances publiques :

La langue française est riche !

Je vous remercie d'avoir bien voulu m'inviter une nouvelle fois devant votre commission, en tant que président du Haut Conseil des finances publiques, pour vous présenter les principales conclusions de l'avis relatif aux projets de lois de finances et de financement de la sécurité sociale pour 2017.

Je suis accompagné des membres du secrétariat permanent du Haut Conseil : François Monier, rapporteur général ; Vianney Bourquard, rapporteur général adjoint ; Paul Bérard, rapporteur.

C'est la quatrième fois que le Haut Conseil est appelé, en application de l'article 14 de la loi organique du 17 décembre 2012 relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques, à se prononcer sur les prévisions macroéconomiques associées aux textes financiers annuels – projet de loi de finances (PLF) et projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) – et sur la cohérence de ces derniers avec les orientations pluriannuelles de solde structurel.

Avant d'en venir aux observations du Haut Conseil sur les prévisions du Gouvernement, je souhaiterais dire un mot sur la façon dont nous percevons le contexte macroéconomique actuel.

L'environnement international de la France se caractérise aujourd'hui par trois traits principaux.

Le premier de ces traits est la faiblesse particulière du commerce mondial en 2016, conséquence d'un ralentissement de la croissance américaine, de la situation toujours dégradée de plusieurs pays émergents, d'une moindre augmentation des importations chinoises, ainsi que de facteurs structurels durables. Parmi ces facteurs, la tendance des entreprises multinationales à décomposer leur processus de production entre plusieurs tâches effectuées dans des pays différents, qui a fortement contribué à la croissance des échanges internationaux dans les années 2000, marque le pas. La croissance du commerce mondial pourrait être pratiquement nulle cette année.

Le deuxième trait principal est la poursuite d'une croissance modérée en zone euro, tirée par la demande intérieure. D'abord limitée à la consommation, stimulée par la baisse du prix du pétrole, la reprise s'est progressivement étendue à l'investissement. Elle bénéficie du relâchement des efforts budgétaires dans certains pays européens et de la politique monétaire très expansive de la Banque centrale européenne (BCE). La croissance de la zone euro a été de 1,6 % en rythme annuel au premier semestre 2016.

Des interrogations se font jour, et c'est le troisième trait, sur la poursuite de cette dynamique, alimentées par quelques signes d'essoufflement de la croissance dans certains pays européens et par les craintes nées du vote du 23 juin dernier en faveur du « Brexit ».

L'activité en zone euro risque d'être affectée par la baisse de la livre et le probable ralentissement britannique. Les incertitudes liées aux modalités de sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne et au climat politique dans plusieurs pays européens pourraient affecter la confiance des agents économiques, avec des répercussions possibles sur la consommation et l'investissement. Les enquêtes de conjoncture disponibles jusqu'en septembre restent toutefois bien orientées.

Le Haut Conseil a examiné le scénario macroéconomique retenu par le Gouvernement pour 2016 et 2017, et plus particulièrement les hypothèses les plus importantes pour la prévision des finances publiques, à savoir la croissance, l'inflation, l'emploi et la masse salariale.

Les hypothèses de croissance retenues pour 2016 et 2017, soit 1,5 % pour chacune des deux années, sont identiques à celles du programme de stabilité d'avril 2016.

Pour l'année 2016, le Haut Conseil considère que la prévision de croissance de 1,5 % est un peu élevée au regard des informations connues à ce jour. Il note qu'elle est supérieure à la plupart des prévisions publiées récemment.

En effet, l'acquis de croissance est de 1,1 % à la fin du premier semestre, qui a connu un profil très heurté avec une augmentation de 0,7 % au premier trimestre suivie d'une légère baisse au deuxième trimestre. La réalisation d'une moyenne annuelle de 1,5 % en 2016 suppose une forte augmentation du produit intérieur brut (PIB) aux troisième et quatrième trimestres. Les indicateurs disponibles sur le début de l'été laissent penser que ce rythme de croissance pourrait être difficile à atteindre au troisième trimestre, même si les enquêtes de conjoncture sont assez bien orientées en septembre.

Pour l'année 2017, le Gouvernement a maintenu sa prévision d'avril du programme de stabilité, à savoir 1,5 %, alors que la plupart des organisations internationales et des instituts de conjoncture ont abaissé les leurs en septembre : Consensus Forecasts à 1,2 %, l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) à 1,3 %.

Le Haut Conseil estime que l'hypothèse de croissance de 1,5 % est optimiste, compte tenu des facteurs baissiers qui se sont matérialisés ces derniers mois : atonie persistante du commerce mondial, incertitudes liées au « Brexit » et au climat politique dans l'Union européenne et dans le monde, conséquences des attentats – notamment sur l'activité touristique… Le scénario cumule un certain nombre d'hypothèses favorables, s'agissant notamment des prévisions de consommation et d'investissement.

La prévision d'inflation du Gouvernement pour 2016 – 0,1 % – est inchangée par rapport à celle du programme de stabilité d'avril 2016. Elle est cohérente avec les indices de prix connus jusqu'à l'été : le glissement annuel des prix, qui oscille autour de 0 % depuis plus d'un an, est de 0,2 % en juillet.

Pour 2017, la prévision est de 0,8 %, soit une légère baisse par rapport au programme de stabilité (– 1,0 %). Les produits pétroliers cesseraient de contribuer négativement à l'inflation, sous l'hypothèse d'une stabilisation du prix du baril de Brent à 40 euros. La hausse des prix redeviendrait alors proche de son rythme sous-jacent.

Cette prévision d'inflation est inférieure à la plupart des autres prévisions disponibles, notamment à celle retenue pour la zone euro par la BCE en septembre : 1,2 %.

L'hypothèse d'inflation pour 2017 paraît ainsi prudente et moins exposée au risque de surestimation que celles qui avaient été retenues pour les années précédentes.

Parmi les autres variables importantes pour les finances publiques, les hypothèses d'emploi et de masse salariale semblent un peu élevées pour 2017, en lien avec la prévision de croissance.

Le Gouvernement prévoit pour 2016 et 2017 une augmentation soutenue de l'emploi, recouvrant notamment une accélération progressive de l'emploi salarié des branches marchandes : 120 000 créations en 2016, 160 000 en 2017. Ce dynamisme de l'emploi refléterait l'évolution de l'activité, mais aussi l'effet des mesures de baisse du coût du travail – crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE), baisses de cotisations, prime à l'embauche – qui continueraient d'enrichir en emplois la croissance.

Pour l'année 2016, compte tenu des évolutions connues jusqu'au deuxième trimestre, les prévisions d'emploi et de masse salariale semblent donc réalistes.

Pour 2017, les prévisions sont cohérentes avec l'hypothèse de croissance du PIB. Elles sont supérieures à celles publiées récemment par l'Union nationale pour l'emploi dans l'industrie et le commerce (UNEDIC), qui retient l'hypothèse d'une croissance plus faible.

J'en viens à la cohérence des projets de lois de finances et de financement de la sécurité sociale avec les orientations pluriannuelles de solde structurel.

Il s'agit d'abord d'examiner la cohérence des prévisions de solde structurel présentées dans l'article liminaire du PLF avec la trajectoire. Il convient ensuite de vérifier si elles sont cohérentes avec les évolutions prévisibles des recettes et des dépenses, compte tenu des mesures annoncées.

Aux termes de l'article 14 de la loi organique du 17 décembre 2012, la cohérence du scénario de finances publiques s'apprécie au regard de la trajectoire de solde structurel de la dernière loi de programmation des finances publiques (LPFP), qui est celle du 29 décembre 2014. Effectuer cette comparaison – et donc comparer ce qui est comparable – suppose de retenir les mêmes hypothèses de croissance potentielle que dans la loi de programmation. Ces hypothèses, on le rappelle, ont ensuite été révisées à la hausse – de 1,3 % à 1,5 % pour chacune des deux années – dans le programme de stabilité d'avril 2015 et dans tous les textes ultérieurs.

Recalculées avec les hypothèses de croissance potentielle de la LPFP 2014-2019, les estimations du déficit structurel sont un peu plus élevées que celles présentées dans le PLF. Il est estimé à – 1,7 point de PIB en 2016 et à – 1,3 point en 2017. Les objectifs figurant dans la LPFP étaient respectivement de – 1,8 point et – 1,3 point. Les chiffres sont presque exactement ceux de la loi de programmation, qui se trouve donc respectée.

Les prévisions de déficit structurel pour 2016 et 2017 sont en revanche plus élevées – de 0,3 point de PIB chaque année – que les objectifs fixés dans le programme de stabilité d'avril 2016. Mais, comme le Haut Conseil l'a noté en mai dernier dans son avis relatif au projet de loi de règlement pour 2015, cet écart s'explique pour l'essentiel par les révisions à la hausse du PIB dans les comptes nationaux sur les années 2013 à 2015, qui ont eu pour effet de réduire les estimations de l'écart de production et de dégrader rétrospectivement celles du solde structurel.

Cette sensibilité des données de solde structurel à des révisions du PIB avait conduit le Haut Conseil, en mai, à préconiser que « soient également pris en compte d'autres indicateurs plus représentatifs de l'orientation de la politique budgétaire, comme l'effort structurel ». Plusieurs membres de votre commission avaient également plaidé en ce sens.

À cet égard, le Haut Conseil constate que les évolutions prévues de l'ajustement structurel et de l'effort structurel sont proches des objectifs du programme de stabilité et de la loi de programmation. Sur l'ensemble des deux années 2016 et 2017, l'effort structurel figurant dans le PLF est identique à l'objectif figurant dans le programme de stabilité : 0,8 point en deux ans.

Les ajustements et efforts structurels restent toutefois légèrement inférieurs au minimum fixé par les règles européennes, qui requièrent en principe au moins 0,5 point d'ajustement par an.

Les développements qui précèdent comparent les prévisions du PLF 2017 à la loi de programmation et au programme de stabilité, mais cette comparaison arithmétique un peu formelle ne saurait épuiser le sujet et permettre de porter une appréciation sur la cohérence réelle du PLF. Il convient pour ce faire d'examiner la crédibilité des objectifs de solde présentés pour 2016 et 2017, et donc d'identifier les risques qui pèsent sur les évolutions de recettes et de dépenses. Sur la base des informations communiquées – j'insiste sur ce point, car le Haut Conseil ne connaît pas le contenu de la loi de finances et de la loi de financement de la sécurité sociale qui seront adoptées dans quelques semaines –, les éléments d'appréciation suivants peuvent être formulés.

En 2016, l'objectif d'amélioration du solde peut être atteint sous réserve de poursuivre une gestion stricte des dépenses.

S'agissant des recettes, les prévisions actualisées du PLF sont en ligne avec les informations disponibles en cours d'année. Les moins-values constatées sur certains impôts, notamment l'impôt sur les sociétés (IS), sont en partie compensées par l'impact sur les prélèvements sociaux de la révision à la hausse de la masse salariale. Au total, les prélèvements obligatoires augmenteraient en 2016 un peu moins vite que le PIB en valeur, avec une élasticité de 0,9.

S'agissant des dépenses, les objectifs peuvent être tenus, mais au prix de tensions plus fortes en 2016 qu'en 2015 sur les dépenses de l'État et de l'assurance maladie. D'éventuels dépassements de ces dépenses, sous forme de reports de charges, pourraient conduire à dégrader le déficit public des années ultérieures.

Pour 2017, le Haut Conseil souligne plusieurs facteurs de risques qui sont susceptibles de se matérialiser et d'obérer la réduction attendue du déficit, étant entendu que la marche à gravir est beaucoup plus haute que les précédentes : 0,6 point de réduction.

Le Haut Conseil estime que les risques pesant sur les dépenses sont plus importants en 2017 que pour les années précédentes. En particulier, il note le caractère irréaliste des économies prévues sur les dépenses de l'UNEDIC au titre des négociations paritaires à venir : 1,6 milliard d'euros. En effet, ces négociations ne devraient avoir lieu que dans le courant de l'année prochaine, ce qui ne permet pas d'anticiper un effet significatif sur le solde 2017 de l'assurance chômage.

Il existe également de fortes incertitudes sur la réalisation des économies de grande ampleur prévues sur l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (ONDAM). Par rapport au programme de stabilité, l'objectif a été relevé, pour 2017, de 1,75 % à 2,1 %, mais ce relèvement ne couvre pas, selon nous, l'ensemble des dépenses nouvelles décidées au cours des derniers mois : augmentations tarifaires contenues dans la nouvelle convention médicale, hausse du point de la fonction publique, protocole de parcours professionnels, carrières et rémunérations. La tenue de l'objectif suppose donc un montant d'économies – 4,1 milliards d'euros – très élevé, significativement plus élevé en tout cas que les trois années précédentes, dont la réalisation complète est incertaine.

Des incertitudes pèsent également sur l'évolution des dépenses de l'État et des collectivités territoriales, dont la dynamique sera notamment soutenue par les facteurs d'accélération de la masse salariale.

Enfin, les incidences possibles des recapitalisations annoncées des entreprises publiques du secteur énergétique pourraient alourdir le solde public en 2017.

À ces risques s'ajoutent ceux portant sur les prévisions de recettes, du fait des hypothèses économiques favorables retenues dans le PLF.

En conséquence, le Haut Conseil estime improbables les réductions de déficits prévues par le PLF pour 2017 : de – 1,6 % à – 1,1 % du PIB pour le solde structurel, de – 3,3 % à – 2,7% pour le solde nominal. Sur la base des informations dont il dispose, il considère comme incertain le retour du déficit nominal sous le seuil de 3 % du PIB en 2017.

Le Haut Conseil relève par ailleurs que le remplacement des baisses d'impôts – contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S) et IS – par des crédits d'impôt, destiné à financer une partie des dépenses supplémentaires annoncées pour 2017, conduit à reporter sur le solde 2018 l'impact de ces baisses de recettes. Les dépenses supplémentaires étant pérennes, ce choix fragilise la trajectoire de finances publiques à compter de 2018 et le respect de l'objectif de solde structurel à moyen terme.

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