Je vous remercie, monsieur le président, d'avoir saisi pour avis notre commission. Quelques chiffres me permettront de montrer combien la montagne s'inscrit dans les problématiques républicaines de développement durable, certes, mais aussi d'aménagement du territoire, aussi bien sur le sol métropolitain qu'outre-mer. Je veux saisir l'occasion de l'examen de ce texte par le Parlement pour expliquer à toutes celles et ceux qui vont suivre nos débats que la montagne est un territoire où il y a une vie sociale, économique et environnementale en permanence, et pas seulement l'hiver ou l'été quand ils y viennent en vacances.
Les Vosges, le Jura, les Alpes du Nord, les Alpes du Sud, les Pyrénées, le Massif central et les massifs des territoires et départements d'outre-mer comptent 6 200 communes, réparties dans quarante-huit départements. Près de 5 millions de nos concitoyens y vivent en permanence, auxquels il faut ajouter 6,7 millions de lits touristiques – il y a donc plus de lits touristiques que d'habitants permanents – qui génèrent 68 millions de nuitées. Notre domaine skiable est le premier en Europe et dans le monde, avec 52 millions de journées skieurs. Telle est la première caractéristique de nos montagnes.
De mon point de vue, la montagne et le littoral ont des destins liés. Ce n'est pas un hasard si chacun a une loi dédiée, car ce sont deux territoires de notre République qui ont subi les plus grands bouleversements au cours du siècle dernier. Heureux ou malheureux, ces derniers sont liés à l'action de l'homme, au climat ou à la topographie naturelle, des particularités qui peuvent paraître un don du ciel sur une carte postale mais sont à l'origine de disparités parfois extrêmement importantes. Dans un même département de montagne, l'altitude la plus basse peut être le niveau de la mer et la plus haute atteindre le point culminant de l'Europe, à 4 810 mètres ; à quelques kilomètres de distance, peuvent y être enregistrées à la fois la plus forte croissance démographique de France et la plus forte baisse.
Cette grande diversité de situations, qui est la caractéristique permanente des territoires de montagne, peut expliquer quelquefois les réactions, les mentalités, les caractères des montagnards. Joue aussi le fait que le duché de Savoie, le comté de Nice puis les 700 kilomètres carrés ajoutés en 1947 par le traité de Paris sont les derniers territoires qui ont finalisé le dessin de la République française telle qu'elle est aujourd'hui – abstraction faite de l'histoire particulière de l'Alsace et de la Lorraine, liée aux grands conflits de 1870, de 1914-1918 et de 1939-1945. De là, sans doute, la culture très ancrée de nos vallées pyrénéennes ou alpines.
Au siècle dernier, la montagne était, aux dires de certains, une terre de misère où il ne faisait pas bon vivre, dépourvue d'infrastructures de transport, exposée à des rivières non maîtrisées et à un climat ô combien plus rude qu'aujourd'hui. Mais elle a trouvé dans l'eau une source d'innovation, la capacité de transformer les contraintes en atouts grâce à sa force motrice, d'abord pour faire tourner les moulins agricoles puis les machines industrielles. La naissance de la houille blanche, au début du siècle dernier, a constitué la première grande aventure énergétique et industrielle. La montagne prenait déjà toute sa part dans le développement durable puisque l'énergie de l'eau est, par définition, la plus propre.
De l'hiver et de la neige, qui n'étaient qu'une terrible contrainte, les hommes et les femmes de la montagne ont aussi su faire un atout extraordinaire, en exploitant l'or blanc. Réputés pour leur caractère bien trempé, ils sont surtout dotés d'un fort esprit d'entreprise et d'une grande capacité de travail et d'innovation, mélange qui a donné naissance, depuis le début du siècle dernier, à des aventures exceptionnelles. Disons-le, la montagne a très largement contribué à la grandeur de la France dans le monde et à l'expansion économique durant les Trente Glorieuses.
Belle, la montagne peut parfois être cruelle. Le quotidien, en montagne, c'est le danger ; qu'on les provoque ou pas, des drames peuvent survenir, souvent liés à des catastrophes naturelles. L'histoire de notre pays en a été fortement marquée, et c'est un sujet que les élus et les acteurs de la montagne prennent très au sérieux. Des drames sont souvent nées de belles aventures, comme la création du secours en montagne à la suite de la mort, gelés par le froid, des jeunes Jean Vincendon et François Henry en 1957. Je remercie d'ailleurs le Gouvernement : puisque le secours en montagne n'est pas abordé dans le présent texte, c'est qu'il est maintenu en l'état.
Rappelons aussi que, si l'alpinisme est pratiqué aujourd'hui à des fins sportives ou ludiques, la première ascension du Mont-Blanc, le 8 août 1786 par le Dr Balmat, avait un objet exclusivement scientifique, notamment climatologique. C'est ainsi que les plus anciens enregistrements en matière climatique sont ceux de Paris et des secteurs de montagne.
Une autre de nos contributions à la grandeur de la France a été l'organisation des premiers Jeux olympiques d'hiver à Chamonix, en 1924, puis de ceux de Grenoble et d'Albertville. Nous sommes fiers également de nos stations de ski et de leurs acteurs reconnus : nos moniteurs de ski – les fameux pulls rouges –, nos guides de station, nos accompagnateurs de montagne. Le plan Pompidou avait lancé l'aménagement des stations de la troisième génération ; avec le présent projet de loi, nous sommes probablement en train de poser les bases du quatrième livre de l'avenir de nos stations de ski.
Les régions de montagne sont, avec les territoires d'outre-mer, la deuxième zone de richesse de biodiversité de la République. Elles comptent aussi les départements les plus industriels de France, la forte présence de l'industrie étant liée à l'origine de la force motrice et à l'hydroélectricité. D'où une première remarque s'agissant du projet de loi, qui manque peut-être d'un volet industriel. Les zones de montagne sont également les premières en nombre de travailleurs frontaliers. Or le fait frontalier, qui s'est fortement développé depuis 1985, est aussi absent de cette loi. Quant à notre agriculture, elle s'est tournée vers les signes de qualité pour créer de la plus-value malgré son handicap naturel. Nous reconnaissons toutefois avoir absolument besoin des aides européennes et nationales pour compenser ce handicap de montagne.
L'exploitation de l'eau minérale est symbolique de l'équilibre que les hommes et les femmes de nos montagnes ont toujours su trouver entre la protection et l'exploitation de leurs richesses. Les grands noms des eaux minérales sont presque tous en zone de montagne. Le plus célèbre, les eaux minérales d'Évian, avec 6 millions de bouteilles produites par jour, est un formidable exemple de ce savoir-faire.
À mon tour, je remercie Bernadette Laclais, Annie Genevard et notre rapporteure pour avis, Joël Giraud pour le CNM et Laurent Wauquiez, le président de l'Association nationale des élus de montagne (ANEM), qui ont travaillé depuis maintenant une année à l'élaboration de ce projet de loi. Pour sa part, le groupe Les Républicains a la volonté de le voir adopté à l'unanimité, comme le premier le fut en 1985. Les conditions ont été posées depuis le début. Nous souhaitons que soit réaffirmé le potentiel social, économique et environnemental de la montagne. Nous espérons que l'esprit qui souffle sur le CNM, les comités de massif et l'ANEM soufflera également sur les commissions et l'hémicycle. Nous voulons que nos spécificités soient reconnues : la montagne, ce n'est pas la ruralité, car toute la ruralité n'est pas montagnarde. Nous venons, les uns et les autres, de montrer combien ces territoires, plus que tout autre dans la République, ont besoin de souplesse, d'adaptation et d'expérimentation.
Nous souhaitons des procédures particulières. Sur ce point, je suis en désaccord avec la rapporteure pour avis. La loi semble combler pour partie la situation des offices du tourisme, mais certains points doivent être éclaircis. Le Gouvernement ne peut pas remettre les UTN dans l'urbanisme au motif qu'il corrigerait, selon les mots du Premier ministre Manuel Valls, une erreur de la loi NOTRe. En déclarant, lors de la réunion du CNM à Chamonix, que, si la loi est mal faite et que les offices du tourisme n'ont pas à être dans les intercommunalités, ce qu'une loi a fait, une autre peut le défaire, il a bien reconnu au nom du Gouvernement qu'il faut revenir sur cette loi s'agissant des offices du tourisme. Mais s'il s'agit de rendre la compétence sur les offices de tourisme en échange de l'intégration des UTN dans les procédures d'urbanisme, cela serait pour moi un motif de désaccord de fond, que je souhaite voir levé d'ici au vote en séance publique.
Nous souhaitons que la notion de surface, chère au président Chanteguet, et celle de densité de population – compte tenu de la forte variabilité de population dans nos stations de ski – soient toujours prises en compte dans l'élaboration des procédures, et que l'on reconnaisse à l'environnement montagne une spécificité qui se retrouve dans les métiers, aussi bien en agriculture que dans l'industrie et les métiers de montagne.
Et puis, pour que la montagne s'ancre dans l'ère moderne, il faut qu'elle puisse bénéficier des mêmes services et technologies que tout le reste du territoire. Comment envisager demain un hôtel, une station de ski, un restaurant, une maison de santé, une école sans le très haut débit ? Voilà l'un des enjeux prioritaires de ce projet de loi.
La loi de 1985 a duré si longtemps parce qu'elle était parfaitement équilibrée entre protection et développement. Elle mérite aujourd'hui une adaptation. J'espère que celle-ci se fera sur la base de la confiance. Plus que jamais, la République doit parier sur l'ensemble de ses territoires, en particulier sur ses territoires de montagne.