Intervention de Henri Poupart-Lafarge

Réunion du 27 septembre 2016 à 13h45
Commission des affaires économiques

Henri Poupart-Lafarge, président-directeur général d'Alstom :

Lors de mon audition ici même en 2013, j'avais indiqué que, faute de commandes en 2015 à Belfort, ce site connaîtrait de graves problèmes. Cela fait plusieurs années que nous le disons, et vous-mêmes être nombreux à avoir averti les pouvoirs publics sur ces problèmes de charge. Donc oui, l'annonce est brutale pour les personnes concernées, mais je ne dirai pas qu'elle a provoqué la surprise générale.

Le conseil d'administration d'Alstom s'est bien évidemment penché à de nombreuses reprises sur la question de la stratégie industrielle de la France. Je n'entrerai pas dans le détail afin de savoir quelles personnes au conseil avaient été prévenues deux, trois ou quatre jours avant… Non seulement, ce n'est pas le coeur du sujet, mais – je le redis – la primeur d'une telle annonce revient d'abord et avant tout aux organisations syndicales.

Je suis un peu choqué par les accusations de machiavélisme et de chantage. En tant qu'élus locaux, vous avez des contacts quotidiens avec vos administrés dans vos circonscriptions. Eh bien, nous aussi, les patrons d'usine, avons des contacts quotidiens avec nos collaborateurs. D'ailleurs, ceux d'entre vous dont le territoire comporte un site Alstom en connaissent très bien le dirigeant. Qui peut penser une seconde que le patron de l'usine puisse imaginer un plan diabolique aboutissant à placer la moitié des salariés du site – site symbolique où ont travaillé leurs parents et grands-parents – dans une situation difficile, voire pour certains de désespoir ? Qui peut imaginer que nous soyons d'un cynisme absolu au point de faire du chantage auprès de l'État ? Alstom ne fonctionne pas ainsi. Le patron du site qui a dû faire l'annonce aux employés n'était pas animé d'arrière-pensées. Sans doute s'est-il exprimé de manière brutale avec vous à propos des évolutions envisagées, mais lui-même est le premier touché : il n'ignore pas les difficultés et le fait que tout le monde ne soit pas mobile, et il devra maintenir pendant dix-huit mois la motivation des gens et les aider à garder espoir. Il n'y a pas donc, d'un côté, du cynisme et, de l'autre, de l'humanité ; les choses sont plus compliquées que cela.

J'entends ce que vous dites : ce n'est pas la faute des autres si nous avons des difficultés. Bien évidemment, nous devons nous adapter ; nous avons essayé de le faire, peut-être avons-nous échoué à certains moments. En tout cas, nous avons beaucoup investi dans nos métiers. Non pas seulement en investissements physiques comme au Creusot où nous avons acheté des robots de soudure et où nous allons ramener les bancs de test actuellement basés en Suisse. Mais aussi en investissements immatériels, en termes de développement de nouveaux produits – plus de 50 millions d'euros ont été investis dans la Prima 2 –, ce genre d'investissements étant beaucoup plus efficace que ceux consistant à acheter de nouvelles machines ou de nouveaux ponts roulants.

Sans mésestimer l'impact de nos annonces sur les employés de Belfort, je pense qu'il ne faut pas en tirer des généralités. Alstom exporte 40% de sa production. Nous sommes le deuxième client de la Compagnie française d'assurance pour le commerce extérieur (COFACE). Nous avons 9 000 employés en France – nous nous plaçons juste après Airbus. Dans l'industrie du grand export, Alstom est donc le deuxième grand exportateur français. Il m'est donc difficile d'entendre parler de « dépeçage ». Nous avons connu des succès, mais aussi des échecs. Pour autant, on ne peut pas dire qu'Alstom est un groupe qui va mal. Oui, il y a une difficulté à Belfort ; la traiter demande du courage de la part des employés.

Les problématiques sont différentes pour le site de Valenciennes : il est sur un marché urbain et ses perspectives sont meilleures.

Je n'aime pas le terme de « négociations » : nous ne sommes pas en train de négocier avec l'État. L'État a souhaité étudier avec nous des solutions pour rendre le site de Belfort pérenne. Nous n'avons pas créé toute cette douleur chez les salariés de Belfort pour ensuite les mener en bateau ! Aujourd'hui, j'ignore la nature du plan qui sera annoncé par le Gouvernement et par nous-mêmes, dans les semaines à venir. Par contre, je peux vous dire que je mènerai avec les organisations syndicales, avec vous-mêmes, une analyse froide du plan qui sera proposé. Nous ne mentirons pas aux salariés : nous aurons un discours de vérité. Nos relations avec les organisations syndicales sont excellentes et nous échangerons avec elles sur les types d'investissements. L'exercice n'est pas facile ; s'il l'avait été, nous aurions déjà mis en oeuvre la solution.

Nous travaillons sur les solutions export. Nous avons des discussions avec l'Iran, qui nous a demandé de mettre en place une usine sur son sol. Les Iraniens veulent fabriquer les locomotives dans leur pays et nous ont indiqué qu'il serait possible de réexporter à partir de cette joint venture. Mais si chaque pays implante une usine et envisage de réexporter, il y aura un risque de surcapacité.

Le domaine ferroviaire est complexe. Certains pays ont des règles spécifiques : les États-Unis ont 85 % de fabrication locale ; Alstom n'est pas autorisé à vendre des métros en Chine ; au Japon, des clauses de sécurité opérationnelle nous empêchent de le faire. Ainsi, tous les pays mènent des politiques plus ou moins protectrices. L'Europe est probablement le continent qui en a le moins : le Buy European Act, qui existe comme il existe un Buy American Act, porte sur des proportions plus faibles et n'est jamais mis en vigueur. Légalement, l'Europe est le continent le plus ouvert ; en pratique, il est également le plus ouvert, au regard du résultat des appels d'offres.

Je suis très favorable aux politiques de filière. Il est de la responsabilité d'Alstom, des grands opérateurs français, de tirer la filière française. Cela doit se faire dans le cadre légal : en aucun cas, des ententes ne peuvent venir perturber le jeu des appels d'offres publics. Dans le Nord de la France, la présence de fleurons de l'industrie ferroviaire européenne, comme Railenium et i-Trans, nous permet de cristalliser les initiatives des différents acteurs. Oui, la filière française doit se battre, mais il y a des limites.

Il n'y a pas de discussion avec Thales. Comme cette entreprise l'a indiqué, son activité signalisation ferroviaire n'est pas en vente.

Nous assistons à l'émergence de concurrents asiatiques très puissants, notamment de l'entreprise chinoise CRRC, qui bénéficie sur son territoire d'un monopole. Cette émergence des Japonais, des Chinois, des Coréens, etc., devrait amener une consolidation du marché ferroviaire européen. De ce point de vue, Alstom est bien placé : non seulement le groupe occupe une position de leadership, mais il présente un bilan très solide à la suite de la vente des activités à General Electric : nous ne sommes pas endettés et avons des capacités financières.

Ainsi, la stratégie du groupe Alstom porte ses fruits : il continue de croître et, malgré les défis considérables qu'il a à relever, il s'adapte à la concurrence mondiale.

D'aucuns nous reprochent la spécialisation des sites. Elle s'explique par l'existence de nombreux sites en France : douze au total, quand Bombardier y possède un seul site. Sur nos quatre sites intégrateurs, les prévisions de charge montrent que nous n'avons pas plus d'activité que sur le seul site de Bombardier. Quand on a douze sites, il est difficile de tout faire partout et de gérer les creux de charge.

Notre projet aboutissait à diversifier le site de Reichshoffen : avec la compétence locomotives, il aurait pu bénéficier de cette charge supplémentaire en cas de contrats en Iran ou en Italie. La spécialisation des sites – qui pour moi est plutôt une dispersion, puisque nous avons des sites partout en France – est, je le redis, difficile à gérer. C'est une des raisons pour lesquelles nous parlons d'absence de perspectives à Belfort et de consolidation du site de Reichshoffen en lui donnant des perspectives multiples, au-delà des trains régionaux. Le Coradia Liner V200 a des perspectives, nous espérons pouvoir le vendre pour les TET.

En février dernier, le ministre des transports s'est engagé sur une commande de 30 TET pour juillet. Mon intérêt n'est pas de pousser la SNCF ou la RATP à commander des trains dont elles ne veulent pas : j'ai trop conscience de la difficulté du transport ferroviaire en France pour forcer des commandes de trains qui iraient rouiller dans des placards. Nous devons tous travailler à rendre plus efficace le transport ferroviaire : les commandes doivent répondre aux besoins. Mon intime conviction était que des trains roulant à 200 kilomètres à l'heure étaient la bonne solution pour les trains d'équilibre du territoire, comme l'a noté le rapport de M. Philippe Duron remis au Gouvernement en mai 2015. En effet, le coût des infrastructures est extrêmement important et il est possible de gagner le même temps de parcours grâce à des trains plus efficaces en accélération et en décélération, ou encore grâce à des petits aménagements de signalisation. Je me suis battu pour que cette vitesse soit adoptée : je crois qu'elle sera retenue, et j'espère, pour Reichshoffen, que cela sera confirmé.

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