Merci beaucoup pour toutes ces réflexions et questions et cet apport à notre rapport. Je vais répondre aux questions notamment posées par vous, madame la présidente. Concernant l'Iran, je suis persuadée que Pierre Lellouche voudra en dire plus mais il n'est pas possible de régler la problématique iranienne en laissant les entreprises ou les banques européennes se débrouiller avec l'administration américaine avec des licences au cas par cas. On ne peut pas le faire car elles n'ont aucun intérêt à le faire et que les réponses données par l'administration américaine sont beaucoup trop floues. C'est donc une démarche diplomatique qui doit être assumée : il faut que les États-Unis règlent leur problème interne concernant l'Iran. Pour ceux qui auraient été en Iran, au cas où cela vous aurait échappé, depuis le début de l'année vous ne pouvez plus bénéficier de la procédure ESTA et il faut demander un visa américain. C'est une nouveauté. Nous pensons qu'on ne pourra résoudre le problème qu'à un niveau diplomatique, c'est-à-dire en demandant aux États-Unis de clarifier leur position et pas en renvoyant chaque entreprise se débrouiller bilatéralement.
Concernant la nouvelle procédure de « plaider coupable », j'entends toutes vos remarques – et je les comprends – et tous les risques. Nous avons auditionné la personne la plus intéressante à mes yeux, à savoir la responsable du pôle financier en charge de tous les dossiers de lutte contre la corruption qui ont donné lieu aux fameuses sanctions aux États-Unis. Il faut savoir que pour toutes les entreprises sanctionnées aux États-Unis pour corruption, des procédures avaient été ouvertes en France. Il y avait une seule personne qui gérait ça : une seule juge qui avait quarante dossiers, qui sont chacun de la taille de celui d'Alstom, et face à elle arrivaient des avocats avec vingt dossiers ! Elle n'a jamais pu apporter la moindre preuve. Elle nous l'a dit comme ça !
C'est pour cela que j'entends parfaitement votre remarque selon laquelle on ne peut changer la logique des droits sans risque considérable de remise en cause générale. Mais la conviction que nous nous sommes forgée au fur et à mesure c'est que sur la partie économique de ce droit qui met en jeu des multinationales extraordinairement puissantes, si nous ne faisons pas jouer les mêmes mécaniques que les Américains, nous n'y arriverons pas. Pire, nous laisserons les États-Unis être les seuls à « racketter » ces entreprises.
Vous avez raison, il y a aura des conséquences pour un certain nombre de PME, et c'est la raison pour laquelle la procédure mise en place dans le cadre du projet de loi « Sapin II » prévoit une possible intervention d'un juge d'instruction et homologation par un juge. On est donc vraiment dans une situation où à ce stade la première tentative que nous faisons s'inscrit au maximum dans un cadre de droit français et pas anglo-saxon. Vous avez néanmoins parfaitement raison sur le fait qu'il faudra évaluer les conséquences du dispositif.
Je rebondis sur une réflexion de Valérie Rabault. Pourrait-on attaquer les banques américaines, en l'occurrence notamment Lehman Brothers ? On aurait tout de même un sujet de base juridique puisque les class actions, nouvellement mises en place, ne sont pas possibles sur tous les sujets, mais le sujet n'est pas là : le sujet est de savoir comment on arrive à développer des preuves sur la manière dont tout ceci a été réalisé. Nous ne sommes pas allés jusqu'à l'écrire dans le rapport, mais nous nous sommes forgés la conviction que pour l'optimisation fiscale agressive voire l'évasion fiscale il faudra probablement réfléchir à un « plaider coupable » pour les multinationales. Si l'on prend l'exemple des recours faits par le parquet national financier contre Google France, si le parquet n'a pas les moyens d'obtenir les informations de Google lui-même, il aura beaucoup de difficulté à démontrer que c'est un établissement stable qui est placé à Paris.
Ce n'est pas une recommandation du rapport ; nous n'avons pas été jusque-là. Mais de manière générale, chaque fois qu'il faudra poursuivre des multinationales qui ont violé des droits, qu'il s'agisse de droits du consommateur ou contre la corruption, la question de la construction du dossier à charges sera posée. En tous cas les États-Unis l'ont posée comme ça et les résultats sont simples : 20 milliards transmis à la justice américaine de la part des sociétés françaises.