Monsieur Premat, je partage votre analyse sur les « Américains accidentels ». Cela va être très difficile. D'abord je n'ai pas senti de grand enthousiasme au Quai d'Orsay pour s'occuper de ces malheureux Français, une démarche qui risque de compromettre l'excellence de nos relations avec Washington. Ensuite c'est très difficile car il faudrait obtenir un amendement à une convention déjà signée, c'est-à-dire un protocole, qui permette aux Américains concernés de renoncer à leur nationalité américaine sans passer par le fisc, les procédures diverses etc. Je n'ai pas senti une appétence particulière pour une telle solution à Washington, raison de plus pour la pousser sur le plan diplomatique et en faire un cas d'école. J'ai demandé au Quai d'Orsay de recenser les Français concernés, ce qui nous aiderait dans la négociation, et je ne sais pas où cela en est. Si vous avez l'occasion, madame la présidente, de relancer la direction des Amériques, ce serait utile. En tous les cas il faut une action politique claire.
Madame Rabault, j'ai exactement la même réaction que vous. Le cas de la Deutsche Bank peut être un problème systémique : vu le niveau d'exposition de la banque, il y a de quoi faire tomber tout le système financier européen. J'étais au gouvernement au moment de la crise financière et je me souviens : à quelques millimètres près, tout le système s'effondrait, européen et mondial. Les États-Unis ont fait tomber Lehman Brothers et on a vu ce que cela a donné. Si, en raison de décisions de justice, prises comme ça aux États-Unis, on fait tomber la Deutsche Bank et tout le système européen, on rentre dans des choses cataclysmiques. Vous avez raison, à l'origine de la crise financière de 2008, ce n'est pas le système européen mais la spéculation sur les subprimes, les obligations pourries et les prêts un peu faciles par la finance américaine. Cela a ensuite été exporté en Europe et quand ils ont fini de massacrer les banques européennes – certaines ont dû être rachetées, rappelez-vous –, sans parler de l'industrie américaine et tout ce qui a dû être remis à flot à coup de milliards, ils s'en sont pris aux dettes souveraines et ont commencé à attaquer la Grèce. La crise grecque a coûté, avec les plans de financement successifs, des centaines de milliards aux contribuables français et allemands. On est face à une administration américaine qui fait la sourde oreille. M. Obama a dit à François Hollande au sujet de la BNP, d'un ton offusqué, qu'ici on était dans un État de droit, comme si ce n'était pas le cas en France. Si le président Obama prétend que la justice américaine est indépendante et qu'on peut mettre tout le système financier par terre, alors il faut une réponse forte. Il faut leur dire qu'après tout, cela a commencé aux États-Unis, que nous allons nous aussi jouer aux chasseurs de primes et engager une action, au niveau européen, international ou même français puisqu'il y a des bureaux de banques américaines en France. Nous verrons ce que cela donne. Si nous ne réagissons pas ainsi, en prétendant qu'il y a une séparation des pouvoirs, le système financier européen pourrait s'effondrer.
Sur l'euro, je suis pessimiste car malheureusement, comme vous le verrez dans le rapport, la place de l'euro se réduit dans le commerce international et je ne sais pas comment on pourrait inverser la tendance sauf avec beaucoup de volonté politique ce que je souhaite. C'est lié à la question de l'Iran : les banques moyennes peuvent-elles modifier le comportement des grandes banques ? Non. Les banques moyennes qui sont sollicitées par les Iraniens sont précisément celles qui ne sont pas exposées aux États-Unis. Mais les grandes et très grandes banques, y compris françaises, pourraient prêter des euros mais ne vont pas le faire car elles sont sur le territoire américain ou sont cotées aux États-Unis. Elles ne vont pas prendre le risque de se mettre en défaut avec la loi américaine.
Car le point essentiel sur lequel je veux revenir est le fait que l'accélération de ces procédures, de cette machine, est liée au vide politique à Washington. Il n'y a plus de cap. Il y a une administration d'un côté et un Congrès de l'autre et il n'y a plus de consensus bipartisan. Se sont engouffrés dans ce vide la bureaucratie et tous les chasseurs de primes, la SEC, le FED etc., qui se battent entre eux et se partagent les primes entre eux. Le système du « plaider coupable » permettra de dire aux États-Unis qu'on a un système efficace et de leur demander de nous laisser juger les entreprises. Mais les Américains nous répondent qu'ils les jugeront aussi et que s'il y a les deux procédures, on partagera les dépouilles à l'arrivée, ce qui est d'ailleurs contraire à la convention OCDE.
Pour toutes ces raisons, le message à adresser au ministre est de prendre une initiative politique forte mais aussi d'engager une action juridique car il n'est pas du tout sûr que ce comportement soit conforme aux règles de l'OMC. Je pense qu'on peut gagner cette action, il faut menacer de l'utiliser en tout cas et être beaucoup plus agressif, car nous avons joué jusqu'à présent en défense et en l'absence de pilote à Washington, les choses se sont emballées au point de menacer le système financier européen et la stabilité de toute la politique au Moyen-Orient. Quand Erdoğan dit aux Saoudiens qu'il va attaquer en responsabilité les Américains pour les attentats qu'il subit en Turquie, il n'a pas tort : un bombardement américain ou un soutien aux peshmergas kurdes produit des attentats. On peut arriver à des absurdités majeures. C'est pourquoi tous ceux qui s'occupent de sécurité nationale sont catastrophés à Washington.
J'en termine sur le « JASTA ». J'ai écrit au Président de la République pour qu'il rappelle que la France est attachée au droit international et affirme que si les Américains persistent dans cette voie nous ferons la même chose. Il faut donner aux Américains seulement quelques semaines, avant les élections américaines, pour obtenir au minimum une clause d'exclusion de tous les alliés des États-Unis qui se battent avec eux contre le terrorisme. Nous allons vers un désastre juridique avec cette loi et nous risquons un désastre financier avec la Deutsche Bank. Ce système est devenu fou et un grand pays comme la France doit dire aux États-Unis que ça suffit. À partir de là, on s'assoit et on trouve des solutions.