Intervention de Henri Jibrayel

Réunion du 5 octobre 2016 à 9h30
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaHenri Jibrayel :

Merci, Madame la présidente, d'avoir accepté, en 2015, la création de ce groupe de travail informel sur la situation des reclassés de La Poste, objet d'un vif débat depuis 1993. Je remercie également M. André Chassaigne, toujours présent aux réunions de ce groupe, mais aussi Mmes Marie-Hélène Fabre, Catherine Troallic et tous les collègues qui ont participé aux différentes rencontres avec le groupe La Poste et la plateforme inter-syndicale. Cette communication est pour moi l'occasion d'exprimer une véritable déception, qui est à la fois celle des reclassés, qui constatent que rien n'a changé depuis deux ans, et du groupe de travail, qui n'est pas parvenu à convaincre le groupe La Poste de prendre le sujet au sérieux.

J'articulerai cette communication en trois temps. Je brosserai tout d'abord un historique de la question des reclassés. Puis je rappellerai les pistes constructives sur lesquelles j'avais insisté lors de ma précédente communication. Enfin, je dirai quelle est aujourd'hui la situation, à l'heure où le groupe de travail conclut ses travaux.

Faisons donc, tout d'abord, l'historique de la question. Les reclassés sont les fonctionnaires de La Poste et de France Télécom qui ont refusé les nouveaux statuts dits « Quilès » entre 1993 et 1994. Si les « reclassifiés » ont bénéficié d'une carrière normale, les « reclassés » n'ont pas été prévenus que leur carrière serait bloquée pendant des années, sans les mêmes perspectives de promotion interne. Aujourd'hui, plus de 3 000 reclassés sont encore en activité – je ne compte pas ceux, à la retraite, qui n'ont jamais pu obtenir réparation de leur préjudice pendant leur carrière. Après l'intervention des syndicats de La Poste, et une décision du Conseil d'État, la promotion des reclassés a été relancée tardivement, par le décret du 14 décembre 2009.

Demeurent toutefois le problème des nombreuses années pendant lesquelles les reclassés ont vu leur carrière bloquée, sans compensation, et celui de l'évolution de carrière à venir, celle des reclassés étant systématiquement moins favorable que celle des reclassifiés, tant en matière de promotion aux grades supérieurs qu'en matière de rémunération à des postes pourtant identiques.

Je cite un agent reclassé que nous avons pu rencontrer : « J'étais préposé (uniquement de la distribution, niveau I.2), j'ai été promu CDTX (conducteur de travaux) qui est de niveau II.2 II.3 mais donc les fonctions décrites dans le poste correspondent à des fonctions d'encadrement (niveau III.1) pour les reclassifiés, mieux rémunérées, et donnant une meilleure perspective de carrière future. » Cet exemple, parmi tant d'autres, l'illustre : l'injustice que subissent les reclassés n'est pas un sujet du passé, elle perdure. On nomme un préposé au grade de conducteur de travaux, sans lui confier le rôle d'encadrement ni lui accorder la rémunération qui devraient être les siens. En ne lui accordant qu'un titre purement symbolique, on commet une injustice en même temps qu'une forme de discrimination par rapport à un reclassifié qui, lui, obtiendra le grade dans la fonction et le salaire correspondant.

J'en viens aux pistes proposées par le groupe de travail et aux suites qui leur ont été données.

À la fin de l'année 2015, au moment de ma dernière communication devant notre commission, le groupe de travail était parvenu à la conclusion qu'il fallait trouver une solution de compromis, qui ne se substitue pas au dialogue social du groupe. Après avoir rencontré les représentants tant de la plateforme inter-syndicale que de la direction des ressources humaines du groupe La Poste, la bonne méthode était en effet de privilégier, sans interventionnisme, une solution interne au groupe, par la voie de négociations spécifiquement consacrées à la question des reclassés. Nous estimions effectivement qu'il ne nous incombait pas d'interférer dans les affaires du groupe La Poste pour essayer de faire avancer les choses. Le ministre de l'époque, M. Emmanuel Macron, considérait lui aussi que la question devait être l'objet d'une négociation interne, sans interférence ni ingérence ; c'était tout à fait normal. Nous avons donc laissé la direction des ressources humaines de La Poste négocier avec les centrales syndicales représentatives.

Mais, tant sur la méthode que sur le fond, La Poste a déçu les attentes des reclassés, comme celles du groupe de travail.

En ce qui concerne la méthode, c'est une fin de non-recevoir que La Poste nous a opposée. Se sont tenues non des négociations consacrées spécifiquement à la question des reclassés mais des négociations globales, sur tous les problèmes. La Poste prétendait que la question des reclassés était un objet de la négociation, mais à aucun moment elle n'a pris ce problème à bras-le-corps. Elle l'a laissé pourrir, tout en nous répétant que des négociations étaient en cours. En fait, seul un petit paragraphe, pas plus, de l'accord négocié concernait les reclassés. Le sujet a été noyé dans des négociations portant sur des sujets plus généraux, comme la revalorisation des grilles indiciaires et les contrats de génération, pour donner l'illusion, une fois le texte signé, que les syndicats avaient obtenu satisfaction. Ce n'est pourtant pas le cas.

Sur le fond, en effet, la position de La Poste n'a pas varié d'un centimètre en faveur des reclassés. Le groupe s'en tient à la réouverture du droit d'option pour accéder aux grades des reclassifiés, sans aucune forme de réparation du préjudice subi ni garantie que le blocage de la carrière des intéressés sera compensé par une promotion. La Poste considère que les agents qui n'ont pas accepté de prendre le reclassement en 1993 et 1994 pouvaient, dès 2009, exercer un droit d'option pour rejoindre les reclassifiés, mais la plateforme inter-syndicale demandait, dès l'exercice du droit d'option, une petite promotion dans un grade supérieur et un rattrapage financier – la revendication d'un rattrapage financier a été abandonnée, non le principe d'une promotion dès que le droit d'option était exercé. La Poste a refusé et n'a jamais voulu négocier la possibilité d'un droit d'option avec une promotion immédiate, ou même en fin de carrière. Ces agents, tous grades confondus, ont pourtant subi un préjudice à la fois financier et en termes de promotion à des grades supérieurs. Nonobstant l'évocation de négociations par La Poste, la seule avancée accordée aux reclassés est donc le droit d'option. De mon point de vue, ce n'est absolument pas favorable aux agents, qui, s'ils entrent dans la reclassification refusée depuis vingt ans, ne bénéficient d'aucune promotion ni d'aucun rattrapage de salaire.

M. Philippe Wahl, président-directeur général de La Poste, s'était pourtant engagé devant la commission des affaires économiques. Il avait annoncé des avancements d'échelon en fin de carrière et n'avait pas fermé la porte à des incitations financières. Le groupe de travail, s'en tenant à son rôle de médiateur, attendait donc, pour le début de l'année 2016, une solution interne, fruit des négociations au sein du groupe. Rien n'est arrivé !

Dans la foulée, le groupe de travail a reçu deux fois, aux mois de février et de juin, la plateforme inter-syndicale, laquelle réunit la CGT, FO, la CFTC et Sud, à l'exclusion de la CFDT. La directrice des ressources humaines du groupe La Poste, Mme Sylvie François, a également été auditionnée, le 28 juin.

Les efforts du groupe de travail auraient pu faire avancer les choses mais la position, radicale, du groupe La Poste est la suivante : les reclassés sont un non-sujet – voyez un peu l'humiliation ! Les positions prises par le président-directeur général de La Poste devant les députés membres de la commission des affaires économiques étaient en fait des postures ; c'est vraiment décevant. Le sentiment, légitime, des reclassés est qu'aujourd'hui encore ils sont punis d'avoir choisi de conserver leur statut et que le groupe La Poste entretient cette injustice plutôt que d'essayer de la réparer. C'est là une véritable ségrégation, tout simplement insupportable. M. Philippe Wahl avait pourtant promis que la situation des intéressés – au nombre d'environ 3 000 – serait examinée au cas par cas et que des solutions seraient trouvées. En outre, je rappelle que le ministre de l'économie avait annoncé que Bercy accompagnerait le groupe à l'aide de mesures réglementaires si une solution de compromis était trouvée. Tel n'est pas le cas, et l'injustice, la ségrégation, le désarroi perdurent.

Beaucoup d'entre vous, chers collègues, m'ont écrit ou téléphoné. Vous recevez dans vos permanences tous ces agents qui plaçaient beaucoup d'espoir en notre groupe de travail. Voilà pourquoi j'ai dit que cette communication était l'occasion pour moi d'exprimer une vive déception – pour moi-même, en tant que président de ce groupe de travail, mais surtout pour les agents concernés, qui n'ont pas obtenu gain de cause. La Poste s'est moquée de nous, et elle maltraite ces agents ; ce n'est pas son rôle.

Madame la présidente, en tant que représentants de la Nation, nous ne sommes pas démunis face à cette situation. Nous devons de nouveau auditionner M. Philippe Wahl, sur la question spécifique des reclassés, pour qu'il rende des comptes sur la politique menée par son groupe. Et, si les promesses de La Poste ne peuvent être tenues, nous devrons trouver une solution politique. En effet, lorsque les partenaires sociaux sont ignorés, lorsque même le droit de négocier leur est dénié, c'est à nous d'intervenir.

Madame la présidente, mes chers collègues, dans ce dossier, nous n'avons pas avancé, nous avons fait du surplace. Depuis plusieurs années, La Poste tourne le dos à la véritable négociation. Elle estime qu'en 1993 et 1994 les agents ont pris leur décision en leur âme et conscience et que réparer les préjudices qu'ils ont subis serait commettre une injustice à l'égard de ceux qui ont, à l'époque, accepté la reclassification. Je considère que c'est faux. À l'époque, on a menti à ces agents. On ne leur avait pas dit que leur situation serait gelée pendant des décennies. La Poste porte donc une responsabilité. Invitons le président de La Poste à venir s'expliquer devant la Représentation nationale et dire ce qu'il compte faire ou non pour régler cette question récurrente, et réparer ce qui est à la fois un préjudice et une injustice.

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