Intervention de Jean Pisani-Ferry

Réunion du 5 octobre 2016 à 9h30
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Jean Pisani-Ferry, commissaire général de France Stratégie :

Un certain nombre des points abordés seront pour nous des domaines de travail pour l'avenir. Je prends les critiques pour ce qu'elles sont. Vous avez souligné sur certains points que nous devions être plus précis et approfondir, ne pas nous contenter d'une vue cavalière mais entrer dans le détail. Nous en sommes bien d'accord.

Je commencerai par répondre à votre dernière question, monsieur le président. Nous avons travaillé sur la fiscalité de manière générale en essayant de prendre du recul et en nous interrogeant sur sa structure, comparée à celle d'autres pays et au regard de nos priorités.

Bien sûr, la fiscalité est toujours affaire de détails mais de temps en temps, il faut prendre un peu de recul. Notre constat est le suivant : la France souffre d'un problème de compétitivité et d'emploi ; la fiscalité pèse plus qu'ailleurs sur l'activité productive et sur le travail. En revanche, elle est plus légère sur la consommation, sur l'immobilier et sur les revenus des actifs peu risqués. Il y a là un paradoxe que nous soulignons. Ensuite, il faut entrer dans le détail, ce que nous n'avons pas fait dans la note à laquelle vous faites référence.

S'agissant de la fiscalité écologique, les signaux prix ne sont pas tout mais ils sont un des éléments qui vont amener les comportements à changer. L'ampleur des changements nécessaires – cela a été souligné par plusieurs d'entre vous – est tout à fait considérable. On sous-estime un peu l'urgence. Si on prend au sérieux l'accord de Paris, c'est dans la décennie que des changements majeurs doivent intervenir. Il faut donner des signaux forts, à la fois par la fiscalité, la réglementation mais aussi par la mobilisation, au nom de la cohérence de l'action publique.

Quant à l'affectation de cette fiscalité, cela se discute. La fiscalité sur le carbone produit des effets distributifs sur le revenu qui doivent être corrigés. Cela concerne des personnes qui du fait de leur lieu de résidence, de leur plus faible capacité d'investissement – le chauffage par exemple – vont être immédiatement impactées sans avoir la possibilité de modifier leur comportement. Dans ces cas-là, il relève de la responsabilité publique de redistribuer une partie du produit de cette fiscalité.

Ensuite, faut-il systématiquement obéir à une logique d'affectation ? Je ne le pense pas. On utilise la fiscalité comme un signal. Mais, ensuite, les dépenses publiques, qui sont en concurrence, doivent être soumises aux arbitrages normaux.

Concernant les grandes forces susceptibles d'expliquer les évolutions, j'ai cité la mondialisation mais aussi le nouveau progrès technique. Les métropoles ne sont pas une conséquence de la mondialisation, elles sont la conséquence d'une économie qui se transforme, qui fait plus appel aux compétences et aux interactions. Il s'agit moins d'un modèle d'innovation verticale au sein des institutions que d'un modèle d'innovation distribuée. Cela a peu à voir avec la mondialisation, davantage avec la forme du progrès technique qui n'est plus celle d'hier.

Quant aux différents territoires, au-delà de la grande coupure entre nord-ouest et sud-est, la ruralité, qui recouvre différents types, vous l'avez dit, n'est pas forcément la plus en difficulté. Ce sont plus les villes moyennes traditionnelles organisées autour d'activités manufacturières qui souffrent parce qu'elles perdent de la substance, des compétences, et de l'attractivité. La question du modèle économique se pose. Toutefois, il ne faut jamais généraliser. Certaines villes moyennes s'en sortent bien grâce à une entreprise ou une spécialisation. De manière générale, on constate plus une crise du modèle de la ville moyenne que de la ruralité elle-même. La ruralité est très diverse – la carte de la page 2 le montre – : certains territoires sont créateurs d'emplois et de prospérité. Loin de nous l'idée que la ruralité serait un modèle du passé ou un modèle condamné. Dire que le modèle métropolitain s'impose ne signifie pas qu'il n'y a pas place pour le développement autour de la ruralité, à condition qu'un certain nombre de facteurs favorables soient réunis.

Vous avez insisté sur les liens avec la transition énergétique, la question démographique, ou le numérique sous toutes ses formes.

Pour la transition écologique, là encore, la ville est une structure assez efficace. Ce qui l'est moins, c'est la structure étalée qui s'est développée au cours des dernières décennies avec beaucoup de transport par véhicule individuel et un habitat assez dispersé ; cette structure va inévitablement souffrir du renchérissement du coût du carbone, plus que la ville elle-même.

Sur l'aspect démographique, je partage le constat de la fin de la démographie défavorable de l'espace rural. On assiste à des phénomènes de redensification, de repeuplement qui peuvent être l'occasion d'un développement nouveau.

Sur le numérique, je ne pense pas qu'on puisse dire des choses univoques. Les infrastructures numériques sont une condition d'attractivité des territoires – vous avez été nombreux à le souligner –, un minimum d'accès est indispensable. Pour les entreprises, l'accès au très haut débit peut être absolument vital pour le maintien ou le développement de l'activité. Peut-on pour autant dire que le numérique abolit la distance ? Non, l'interaction entre les personnes reste souvent irremplaçable.

Pardon pour les éléments techniques à l'excès que j'ai pu vous livrer. La notion d'autocorrélation spatiale que plusieurs d'entre vous ont relevée permet d'apprécier l'impact de la situation d'un territoire sur le territoire voisin ; l'autocorrélation est positive lorsque votre sort est très lié à celui du territoire voisin.

Je tiens à préciser l'esprit de mes propos sur les politiques publiques : les objectifs et les instruments pour les mettre en oeuvre ont été définis – c'est naturel – dans un contexte économique, technologique, international assez différent du contexte actuel. Nous plaidons fortement pour une nécessaire révision des objectifs et de la gamme des instruments que nous leur adjoignons dans ce contexte nouveau.

Ce contexte ne nous est pas spontanément défavorable. Il ne faut pas penser que nous sommes perdants a priori. Les grands effets du développement du commerce international manufacturier, de la mondialisation, et de la désindustrialisation sont pour beaucoup derrière nous. La France possède des atouts importants.

Vous avez souligné les déficiences en termes d'équipement. Mais, en comparaison d'un certain nombre de pays voisins, et à la lecture des classements internationaux, il me semble que les équipements font plutôt partie de nos atouts : qu'il s'agisse du réseau routier, du réseau ferré ou du service postal, la France possède une densité et une qualité qui restent sensiblement supérieures à celles des autres pays.

Vous me reprochez de ne pas avoir évoqué les services publics. J'ai beaucoup parlé d'éducation. Il faut dans un certain nombre de domaines fixer des objectifs qui vont au-delà de l'objectif traditionnel d'égalité de l'offre. Nous venons de publier un rapport sur l'école qui réfléchit sur les finalités que la société lui assigne – en résumé, que lui demande-t-on ? Nous lui demandons beaucoup, nous exigeons une condition d'égalité de concurrence entre tous les élèves, qui n'est bien sûr pas réalisée. Mais tel est l'impératif qui domine. Or, la société peut formuler d'autres objectifs que ce soit en termes économiques, de développement des enfants ou de culture commune. Il faut être clair autant que possible dans les demandes que nous adressons aux services publics. Nous ne pouvons pas tout leur demander.

Pour finir sur la question de l'équilibre politique, je n'ai pas voulu dire que l'équilibre entre la région et la métropole était un idéal. Cet équilibre met en jeu deux pôles, un pôle de dynamisme dont les effets de prospérité peuvent être exploités – il ne faut pas seulement concevoir la métropolisation comme de la captation de ressources, elle est aussi source de prospérité – et un pôle de représentation politique qui doit répondre aux attentes des citoyens où qu'ils se situent. Que cet équilibre ne soit pas parfaitement égalitaire, j'en suis conscient mais n'étant ni démographiquement égalitaire, ni économiquement égalitaire, il serait surprenant qu'il le soit politiquement. Il est important que cette dualité s'exerce – parallèlement à l'intervention de l'État qui est le garant d'un certain nombre d'exigences d'égalité et d'équilibre territorial – afin de faire apparaître la nécessité de l'équilibre. De ce point de vue-là, nous avons tout de même fait quelques pas dans une direction qui permet davantage de construire le modèle de développement que vous avez appelé de vos voeux et qui me semble être un des grands enjeux pour notre pays dans les dix ans qui viennent.

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