Merci, madame la présidente. L'actualité est en effet particulièrement dramatique. Je reviens de l'Assemblée générale des Nations Unies ; le conflit syrien a bien sûr été au coeur des débats. La France avait pris l'initiative de réunir les pays dits affinitaires ; j'ai participé à deux réunions du GISS, à la réunion de haut niveau du Conseil de sécurité et à de nombreuses rencontres bilatérales qui ont permis d'évoquer cette crise.
Vous avez décrit la tragédie syrienne. Les bombardements sur Alep s'intensifient d'heure en heure ; « ville martyre », ce n'est pas une formule : cela se terminera en charnier, ou en colonnes de réfugiés. Les victimes civiles sont déjà extrêmement nombreuses.
Il y a eu l'espoir, très fragile, d'un cessez-le-feu. Des négociations entre les deux co-présidents du GISS étaient en cours depuis des mois ; John Kerry, très engagé, nous a tenus au courant au fur et à mesure. Vous connaissez la suite : une soixantaine de soldats syriens ont été tués et cent cinquante blessés par des bombes américaines. À la suite de ce que les Américains ont qualifié d'erreur malencontreuse, le régime a choisi de reprendre ses attaques contre Alep. Etait-ce un prétexte ? Quant au convoi d'aide humanitaire du Croissant rouge et de l'ONU, il a effectivement été bombardé et il semblerait que les Russes aient participé à cette attaque.
Voilà la réalité. L'accord – qui a fini par nous être présenté par les Etats-Unis – était de toute façon extrêmement fragile. Il n'y a plus de cessez-le-feu ; il est pourtant indispensable.
La France n'a cessé de tout faire pour cela et pour sortir du tête-à-tête russo-américain qui a atteint ses limites. Nous avons en particulier proposé, dès lundi dernier à New York, un mécanisme de surveillance du cessez-le-feu et des conditions de distribution de l'aide humanitaire qui associerait tous les membres du GISS, et pas seulement les Russes et les Américains. Cette idée a fait son chemin et la majorité des membres du GISS se la sont aujourd'hui appropriée. Des réticences demeurent du côté des Russes et des Américains.
À l'invitation de John Kerry, les membres du Quint – États-Unis, Allemagne, Italie, Royaume-Uni et France – se sont, à l'issue de la semaine ministérielle de l'Assemblée générale des Nations Unies, retrouvés à Boston. La discussion a été extrêmement franche, notamment sur la négociation russo-américaine. Les Américains ont cru qu'ils pourraient obtenir un cessez-le-feu en contrepartie d'une action commune pour lutter contre al-Nosra, devenue Fatah al-Cham, et séparer les groupes de l'opposition modérée de cette organisation terroriste. Il n'était pas question, dans cet accord, des conditions dans lesquelles il serait possible de reprendre des négociations politiques à Genève.
La France ne s'est pas opposée à cet accord, intervenu le 9 septembre, qui était la seule proposition sur la table pour aboutir à une cessation des hostilités. Mais, malheureusement, la trêve n'a pas tenu.
Face à la reprise des combats, à Boston, nous avons publié une déclaration très ferme demandant que le Conseil de Sécurité agisse. Nous avons, dans la foulée, avec les Etats-Unis et le Royaume Uni, demandé la convocation d'une réunion d'urgence du Conseil de Sécurité qui s'est tenue le dimanche. Le principe d'une résolution condamnant l'usage des armes chimiques, que la France soutient, a été également retenu. Les Américains, tant qu'ils négociaient avec les Russes, ne souhaitaient manifestement pas mettre en avant cet aspect. C'était là pourtant, je le rappelle, la « ligne rouge » qui ne devait pas être franchie et qui l'a été en 2013 – ce qui avait motivé le projet français de frappes aériennes auquel les Américains et les Britanniques avaient finalement renoncé à s'associer. Cette résolution est nécessaire et aura le mérite de mettre les Russes face à leurs responsabilités, en tant que membre permanent du Conseil de sécurité. Le mécanisme conjoint d'enquête et d'attribution, le JIM (Joint Investigative Mechanism), mandaté par le Conseil de sécurité, poursuit son travail jusqu'au 31 octobre et soumettra un nouveau rapport qui malheureusement confortera le précédent et sera une base solide pour agir.
Il faut maintenir la pression. Le régime a un but : prendre Alep, avec le soutien des forces russes, sans parler des forces iraniennes, du Hezbollah… Il y a tout de même de nombreux soldats russes sur le terrain. Nous devons, je le dis sans ambiguïté devant vous, parler avec les Russes. Mais nous ne pouvons pas faire semblant de ne pas voir qu'ils soutiennent – avec d'autres, comme les Iraniens – l'objectif militaire du régime de Bachar al-Assad : faire tomber Alep et créer une partition de facto du pays, autour d'une « Syrie utile » comprenant Damas, Homs, Alep et Lattaquié. Avec ce nouveau rapport de forces, les négociations de paix telles que nous les avions imaginées ne pourraient repartir que sur des bases entièrement différentes. C'est la réalité et je l'ai dénoncée au Conseil de sécurité.
Il faut pousser les Russes à créer les conditions qui permettront une reprise des négociations à Genève en vue d'une solution politique ; aujourd'hui, Staffan de Mistura est contraint à l'inaction. Or, nous n'avons pas d'autre objectif que la reprise des négociations, tant il est clair qu'il n'y aura pas de solution militaire à ce conflit. Il y a aujourd'hui plus de 300 000 morts, et plus de dix millions de personnes déplacées. Je me suis rendu au Liban, où j'ai rencontré quelques-uns de ces réfugiés : ce qu'ils voudraient, c'est retourner chez eux. La majorité des réfugiés syriens, il faut le redire, ne sont pas en Europe ! Ils sont surtout à la frontière syrienne : 2,5 millions en Turquie ; un peu moins d'un million en Jordanie ; près de 2 millions au Liban. Je n'ai pas besoin de souligner ici les risques de déstabilisation de ces pays qu'engendre une telle situation.
Quant à la Turquie, elle s'est engagée beaucoup plus nettement dans la lutte contre le terrorisme. Elle est elle-même violemment touchée, y compris par les actes terroristes du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan), que nous condamnons – nous considérons le PKK comme terroriste. Elle est aujourd'hui beaucoup plus nettement engagée contre Daech avec la volonté d'assurer la protection de sa frontière avec la Syrie, ce qui est légitime. Bien sûr, il faut rester attentif. La Turquie veut éviter à tout prix la jonction de deux cantons kurdes, ce qui à ses yeux risquerait de créer les conditions d'un futur Kurdistan syrien. Mais il faut continuer de parler avec la Turquie, et voir comment mieux l'associer. Les Turcs ont assisté, en tout cas, à la réunion du GISS, et le discours qu'ils ont tenu allait plutôt dans la bonne direction.
L'avantage d'un suivi beaucoup plus collectif tel que la France le propose permettrait aussi de créer, au sein du GISS, une confiance qui fait actuellement défaut et de mettre chacun de ses membres face à ses responsabilités.
J'évoquerai très rapidement la situation en Irak. Les opérations en vue de la reprise de Mossoul se rapprochent. La France apporte d'ailleurs un soutien militaire à l'armée irakienne, avec une batterie d'artillerie, comme Jean-Yves Le Drian l'a précisé devant vous. Mais, il faut également dessiner une solution pour l'administration de cette ville, une fois libérée, ce qui renvoie à la dimension politique. L'Irak a besoin d'un gouvernement beaucoup plus inclusif, où les Sunnites et les Kurdes trouvent leur place. Pour Mossoul, il faut donc réfléchir à un tel schéma politique. La France prépare sur ce sujet une réunion à Paris, avec tous les partenaires concernés.
Nous prévoyons également une réunion consacrée à la Libye. Syrte devrait être reprise à Daech, grâce à l'action des forces sous l'autorité du gouvernement d'entente nationale dirigé par Fayez al-Sarraj, que la communauté internationale soutient. Le général Haftar agit contre Daech à Benghazi. Il est aussi intervenu pour prendre le contrôle des champs pétroliers. Il y a là un risque d'engrenage menant à une guerre civile. Il faut donc rappeler que le gouvernement d'entente nationale doit contrôler l'ensemble des ressources de la Libye, mais qu'il doit aussi élargir son assise en négociant avec les représentants de l'est pour trouver un compromis.
S'agissant enfin, très brièvement, du Gabon, notre position est celle de la non-ingérence, en relation étroite avec l'Union européenne qui disposait d'observateurs tout au long du processus électoral, mais aussi avec l'Union africaine. Nous avons encouragé ceux qui contestaient les résultats à utiliser les recours juridiques à leur disposition, ce qu'ils ont fait. Désormais, les résultats sont proclamés. Ils ne sont pas parfaits et nous l'avons dit. Il faut maintenant trouver une solution qui permette de rassembler le Gabon, qui ne doit pas être déstabilisé. Nous encourageons donc l'Union africaine – qui y est prête – à aider le Gabon à trouver les voies de l'apaisement.