Je partage nombre des points de vue qui viennent d'être exprimés. Je voudrais seulement revenir ici sur notre politique en Syrie.
Il est bien difficile, je le sais, de faire évoluer une diplomatie. Mais n'est-il pas temps de reconnaître que nous nous sommes fourvoyés, non pas seulement sous M. Fabius mais aussi sous son prédécesseur, qui était exactement sur la même ligne ? Vous avez dit qu'il fallait tout faire pour sortir du tête-à-tête russo-américain, et vous nous racontez avoir demandé à John Kerry ce qu'il a négocié avec les Russes. J'entends le général de Gaulle se retourner dans sa tombe à toute vitesse ! Nous voilà complètement exclus.
Nous avons inventé la Syrie, en 1920. Par deux fois, nous avons rasé Damas. Et maintenant, nous bombardons avec les Américains – lesquels vont changer de président au début de mois de novembre, ce qui entraînera une paralysie de plusieurs mois. Dans l'intervalle, la guerre continue et nous ne progressons pas vers la paix.
Pendant ce temps, nous continuons à tenir un discours en blanc et noir : le boucher doit partir, il y a les gentils et les méchants. Mais enfin, monsieur le ministre, vous savez comme moi qu'il n'y a pas de gentils dans cette histoire ! Des déclarations comme celle de M. Fabius, « ni Daech ni Bachar », ne font pas une politique.
Nous sommes face à des gens qui envoient des tueurs chez nous. La Syrie est un véritable cratère, où tous les pays de la région versent de l'argent et des armes. Nous participons sans peser sur rien. Est-ce raisonnable ? Est-ce la bonne politique ? Je ne vous adresse aucun reproche personnel, monsieur le ministre, car cette ligne – qui est à mon sens un échec depuis le début – a été tenue par des majorités différentes. Aujourd'hui, la guerre continue, y compris chez nous, et nous ne sommes même pas dans l'équation. Est-il raisonnable de suivre la politique complètement erratique des États-Unis ? Vous avez rappelé vous-même dans quelles conditions Obama a, en 2013, laissé tomber la France dans l'affaire des armes chimiques. Est-il raisonnable de continuer de penser que la reprise d'Alep par le pouvoir en place à Damas, pour détestable qu'il soit, est la pire des choses possible, comme si Daech, ou l'opposition islamiste, représentaient une solution ? Quand on connaît l'épouvantable complexité religieuse et ethnique de ce pays, raisonner en blanc ou noir, en fonction de lobbies divers ou de ce que souhaitent entendre les médias, est une erreur.
C'est une erreur dont, je le répète, vous ne portez pas seul la responsabilité ; vous héritez d'une politique qui a échoué. De grâce, essayons de raisonner calmement. Nous sommes à la veille d'une élection en France ; mais je souhaite que cette inflexion ne fasse pas l'objet d'une bataille politique. Vos propos sur le tête-à-tête russo-américain m'ont profondément attristé. C'est une affaire russo-américaine ? Eh bien moi, en vieux gaulliste, je me barre ! L'intérêt de la France n'est pas de participer à une opération dans laquelle elle ne pèse rien – surtout que l'échec est patent : le nombre de réfugiés et de morts ne cesse d'augmenter.