Nous ne fournissons pas d'armes. Que les uns et les autres en fournissent par ailleurs, c'est possible. Mais ne sous-estimez pas la situation des habitants de l'est d'Alep, qui vivent souvent sous terre. J'ai rencontré au Quai d'Orsay une délégation de bénévoles qui oeuvrent sur place au côté des remarquables Casques blancs – que la France voudrait associer au mécanisme de contrôle qu'elle a proposé dans le cadre du GISS – et qui jouent en quelque sorte le rôle d'élus municipaux, s'occupant au quotidien d'éducation, de santé, etc., dans des conditions absolument invraisemblables. Ces gens représentent des Syriens restés chez eux et qui rêvent non d'une Syrie djihadiste, intégriste, mais d'un pays libre, celui dont le Conseil de sécurité a tracé les contours dans sa résolution : une Syrie unitaire, non confessionnelle, qui protège ses minorités et installe des institutions démocratiques. C'est le voeu de nombreux Syriens. On le constate aussi en discutant avec les réfugiés. Les personnes dont je parle nous ont donc expliqué comment ils vivent, ou plutôt survivent, privés d'aide humanitaire depuis plusieurs mois et à l'extrême limite des ressources alimentaires. Je l'ai dit, nous ne laisserons pas faire le Guernica du xxie siècle. C'est une formule. Mais j'ai lu le communiqué du parti communiste français qui dénonce la situation humanitaire à Alep : que dit-il d'autre ? Nous ne sommes pas en désaccord sur tout.
J'entends dire qu'il n'y a pas d'opposition modérée. Mais la logique guerrière alimente la radicalisation, ce qui est dramatique. Acculé, on est prêt à accepter n'importe quoi, n'importe qui. Tel est le risque inhérent à cette situation. Selon toutes les informations dont nous disposons, qui ont fait l'objet de recoupements. Ce n'était pas al-Nosra qui dominait l'est d'Alep il y a quelques mois ; mais à force d'attaques, de destructions, de tueries, les plus armés gagnent du terrain. Voilà qui nous éloigne de notre objectif. C'est pour cela qu'il est temps de se ressaisir. La situation est dramatique du point de vue humanitaire comme du point de vue politique.
Chacun doit prendre ses responsabilités. On sait que les Russes soutiennent Bachar al-Assad. Mais, quand nous en discutons avec eux, ils se montrent conscients du fait que ce n'est pas tenable à long terme et qu'il faut trouver une solution par la voie de la négociation. Ils veulent créer le rapport de forces dont j'ai parlé tout à l'heure, mais il n'est pas dans leur intérêt que l'on s'enfonce dans la spirale de la guerre. Si c'est l'option « Syrie utile » qui l'emporte, la guerre continuera, la guerre terroriste se poursuivra, dans la région mais pas seulement : elle nous touchera plus encore qu'auparavant et elle touchera d'autres pays, dont la Russie elle-même. Il n'est donc pas bon pour les Russes que ce foyer de guerre perdure.
Nous pouvons y réfléchir ensemble, avec eux. C'est la position que j'ai toujours défendue. Elle n'est pas manichéenne. Nous avons besoin des Russes ; ce ne sont pas nos ennemis, ce sont nos partenaires. Mais il est de notre devoir de dénoncer une telle situation – à moins de fermer les yeux, y compris sur les armes chimiques, ce que je ne peux pas accepter.