Je répondrai par bloc aux différentes questions.
Je commencerai par la question des 3 % et du « sabre de bois » dont disposerait la Commission pour sanctionner son non-respect. Le Haut Conseil des finances publiques a rendu son avis et je le respecte. J'avais au reste été entendu par lui. Je ne pourrai cependant pas répondre aux questions de détail relatives à la qualification de telle ou telle charge. Des échanges sont en cours avec l'administration du Trésor ; d'autres ont eu lieu avec les responsables politiques, où j'ai souligné que la Commission européenne attend le respect des objectifs du pacte de stabilité et le respect des engagements français. Officiellement, l'avant-projet de budget français ne nous a cependant pas encore été transmis.
Je pense qu'il est possible de tenir en 2017 l'objectif d'une réduction du déficit public à 3 % du PIB. Même si l'ensemble des sujets est loin d'être épuisé, ni pour cette année, ni pour les années à venir, c'est notre sentiment aujourd'hui. Observant le climat en France, je dirais que la culture nationale du déficit apparaît absurde et contreproductive sur le plan économique et politique. Les deux derniers reports des objectifs n'ont été ni des faveurs, ni des cadeaux. La France respectait dans un cas ses engagements structurels, ce qui pouvait être pris en compte dans la mesure où le déficit nominal n'était pas supérieur à 3 % ; dans l'autre cas, l'engagement de déficit nominal était tenu, mais non structurel. La recommandation qui s'applique aujourd'hui prévoit que la France passe en dessous des 3 % en 2017. Pour qu'elle sorte ensuite de la procédure excessive, la trajectoire des finances publiques françaises devra être durable et crédible, je le rappelle.
Honnêtement, il ne s'agit pas d'envisager la situation comme un quelconque duel entre la Commission européenne et le gouvernement français. Ce serait tomber dans un piège. La Commission n'est pas là pour censurer le verdict des urnes en France. Elle n'est d'ailleurs pas la seule des institutions européennes impliquées dans la procédure budgétaire. Comme gardienne des traités, elle applique les règles avec la flexibilité nécessaire, puis elle transmet ses avis au Conseil, qui prend une décision. Deux institutions sont donc impliquées : la Commission et le Conseil.
La Commission n'a pas de sabre, elle n'aborde pas les questions sous un angle punitif, elle n'est pas habitée par un esprit de sanction. Elle a les épaules larges, mais enfin, elle n'est pas seule. Quelle image donnerait plutôt la France, sur le plan économique et politique, si elle passait sous les 3 % en 2017 pour remonter ensuite au-dessus de cette limite ? La culture du déficit n'est pas favorable à l'image de la France, à son rayonnement et à sa force. Qui peut contester, monsieur Vergnier, que l'Allemagne présente une meilleure performance macro-économique ? Cela n'empêche certes pas les excédents courants, qui témoignent d'un excès d'épargne et d'un défaut d'investissement dans ce pays.
La réalisation des objectifs est jouable. Nous ferons toutes les observations qu'il convient. La culture du déficit n'est pas positive. Mais n'envisageons pas les choses sous la forme d'une confrontation singulière entre la Commission européenne et un exécutif français, quel qu'il soit. Il ne suffirait pas d' » aller à Bruxelles » pour dire que c'est ainsi et pas autrement. Ce serait beaucoup plus compliqué. Il faudrait éviter de se mettre dans ce schéma intellectuel et politique. Il n'est pas inévitable.
S'agissant, madame la rapporteure générale, des règles sous-jacentes au calcul du déficit, je vous promettais une réponse non pour septembre, mais pour l'automne. Un groupe de travail sur l'output gap rendra prochainement ses conclusions, qui seront transmises à l'Eurogroupe. Sous la présidence néerlandaise, une vraie disponibilité des collègues s'est fait jour pour obtenir plus de simplicité, plus de lisibilité et plus de cohérence macro-économique des règles applicables. Le vrai problème, comme vous l'avez dit, madame Berger, est bien la dette publique. Retenons des bornes simples, comme le niveau de déficit et le niveau de la dette, ainsi que la corrélation entre les deux. Sur ces deux critères, la France est au-dessus de la moyenne et sur une tendance dynamique. La trajectoire n'est donc pas bonne. L'endettement, public et privé, doit être aussi un facteur central de la réflexion à laquelle vous appelez, monsieur Cordery, sur l'Union économique et monétaire et sur une capacité budgétaire de la zone euro.
L'on m'a interrogé sur la prise en compte de demandes de flexibilité formulées à ce jour. Les pays qui en ont exprimé au titre de la sécurité ont été l'Italie et la Belgique, la France n'y ayant pas eu recours ; sur l'accueil des réfugiés, il y a eu l'Italie, la Belgique, l'Autriche, la Slovénie et la Finlande. Quant aux types de flexibilité prévus par notre communication sur le sujet, seule l'Italie y a eu recours à ce jour.
Pour ce qui est de la défense, j'estime que ce qui relève d'une défense européenne doit être pris en compte de manière spécifique à l'échelle européenne. Tant que nous n'avons pas de vraie défense européenne, et donc pas de répartition des charges, il est extrêmement compliqué et artificiel d'évoquer une règle particulière. Il y a une prise en compte globale, mais il ne saurait y avoir de prise en compte singulière, monsieur Mariton.
Il est fondamental d'agir pour approfondir l'Union économique et monétaire, ses instruments et sa gouvernance. La Commission européenne publiera un livre blanc sur le sujet. Des avancées sont improbables avant les élections françaises et allemandes, mais il faut préparer ces avancées futures.
Sur la fiscalité, je concéderai à monsieur Woerth la continuité, mais je relèverai tout de même, monsieur Alauzet, une accélération majeure. Depuis 2012, depuis l'adoption du Foreign Account Tax Compliance Act (FATCA) et de la procédure BEPS, la communauté internationale exprime une volonté d'arriver à des standards communs. Une révolution de la transparence fiscale est en marche. Cela ne doit cependant pas être mis en balance avec la réduction des dépenses publiques. C'est la première fois qu'à la Commission européenne, un membre du collège est à la fois chargé des dépenses et des recettes. Cela me paraît sain. Quant à moi, je plaide en faveur d'un ministère des finances de la zone euro.
S'agissant de l'optimisation fiscale agressive et de la décision rendue contre Apple, l'Irlande ira en effet devant la Cour de justice de l'Union européenne. Nous sommes cependant confiants sur l'application et l'interprétation de la réglementation telle qu'elle a été faite par notre collègue Margrethe Vestager et par l'ensemble du collège des commissaires.
Quant à ACCIS, le projet va être repris. À vous de me dire si vous voyez une convergence fiscale franco-allemande. Il y a en tout cas déjà une convergence sur la lutte contre l'évasion fiscale. Je serais heureux que les projets relatifs à la TTF, à la TVA et à la liste noire commune des paradis fiscaux, ainsi que l'ACCIS, soient portés par les uns et par les autres. Ce serait déjà un très beau résultat.
En ce qui concerne la politique de la BCE, nous ne pouvons pas nous prononcer, car l'institution est indépendante. Ce que fait Mario Draghi, son expression et la manière dont il conduit la politique monétaire donnent cependant aux acteurs économiques des signaux utiles. Mais la politique monétaire ne peut pas tout ; il faut aussi des réformes structurelles. Pour ce qui est de la stimulation de la croissance, également nécessaire, le plan Juncker de soutien à l'investissement bénéficie à la France et à ses régions, grâce à la conjonction favorable d'entreprises, grandes et petites, capables de porter des projets et d'un secteur public qui a su se mobiliser, sous l'impulsion de banques en charge de promouvoir l'investissement, telle la BPI.
S'agissant du Brexit, la Commission s'en tient à une position de principe. Nous en regrettons la perspective, mais nous respectons la décision du peuple britannique. À nos yeux, les quatre grandes libertés consacrées par les traités ne peuvent être scindées. Telle est pour nous la base, principielle et non punitive, des négociations. Mais nous devons d'abord attendre que les choses soient plus nettes du côté britannique.
Quant aux fonds structurels, madame Karamanli, il est normal qu'un pays qui déroge aux règles doive payer des amendes et s'exposer à des suspensions de versement. L'Espagne et le Portugal ne se sont cependant pas vus imposer de mesures fiscales ; ce sont eux qui les ont proposées pour échapper à des amendes. En tout état de cause, les suspensions de fonds structurels sont systématiquement levées dès que les engagements pris sont de nouveau respectés. Une discussion est en cours avec le Portugal, tandis que l'Espagne n'a pour l'instant qu'un gouvernement en charge des affaires courantes. Sur ce sujet, mes collègues Jyrki Katainen et Corina Creţu ont défendu hier, devant le Parlement européen, l'idée qu'ils ne recherchent pas une suspension superflue des versements dans le cadre des fonds structurels, mais bien plutôt la garantie de contreparties permettant d'éviter cette suspension.
En ce qui concerne la Grèce, je souhaite vraiment que s'instaure un cercle vertueux, que les engagements pris soient tenus et les réformes décidées. Une réunion de l'Eurogroupe se tiendra dès lundi et mardi, tandis qu'une ouverture de discussions sur la dette s'engagera d'ici fin 2016. La Commission veut une réussite du programme grec, le retour de la croissance et de la confiance. Et cette réussite est liée à la capacité des créanciers à traiter de manière intelligente la question de la dette.
Monsieur Fromantin, s'agissant des prévisions de croissance du FMI, vous avez raison de souligner l'écart entre les pays émergents, même s'ils ont beaucoup ralenti eux aussi, et les nôtres. Pour le FMI, le ralentissement le plus important s'observe cependant aux États-Unis, tant cette année que l'an prochain. Pour l'Europe, les prévisions sont un peu meilleures pour 2016, un peu moins bonnes pour 2017. La question est de savoir comment élever notre potentiel effectif de croissance, en usant de manière équilibrée de la politique monétaire, de la politique budgétaire, des investissements et des réformes structurelles. La croissance revient, mais elle est encore beaucoup trop molle. C'est pourquoi des politiques structurelles intelligentes, notamment sur le capital humain, sont indispensables.
Madame Filippetti, j'ai participé hier au Parlement européen à un débat sur les conflits d'intérêt. La question de l'exemplarité et de la transparence est posée. Aussi je regrette, comme le président Juncker, le comportement inapproprié de certains commissaires du précédent collège. José Manuel Barroso a fait le choix de travailler pour une banque qui a joué un rôle particulier dans l'affaire grecque ; certes, il a, ce faisant, respecté les règles applicables, mais il n'en a pas respecté l'esprit. Quant à Neelie Kroes, elle a négligé de déclarer qu'elle a été dirigeante d'une entreprise dont le siège était aux Bahamas. Le président Juncker a demandé des clarifications à l'un comme à l'autre.
Les règles dont nous disposons ne sont pas négligeables : l'article 245 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, la mise en place d'un code de bonne conduite, celle d'un comité d'éthique. Ce comité a rendu, sur les quarante demandes qui lui ont été soumises, cinq avis négatifs, qui ont tous été suivis.
Après une longue carrière politique nationale, je ne peux cependant qu'appeler à ne pas « tirer sur le pianiste » bruxellois. Les règles et contrôles au niveau européen sont beaucoup plus puissants que dans n'importe quelle institution nationale. Un commissaire n'a le droit de mener aucune autre activité pendant l'exercice de son mandat. Son agenda est examiné et scruté. Quand j'étais ministre des finances, ce n'était pas le cas – non que j'aie eu des rencontres suspectes, mais les règles de transparentes étaient moins contraignantes.
Respectons les institutions. Respectons aussi le droit des individus à faire valoir leurs droits, sans discréditer la Commission européenne. Un commissaire européen est très à l'aise pour parler, puisqu'il ne peut exercer en même temps de fonction d'enseignement, être avocat ou encore travailler pour des entreprises. Mais il ne faudrait pas lui interdire ces activités plus tard, faute de ne plus trouver alors personne pour accomplir ces mandats.