Intervention de Joaquim Pueyo

Réunion du 28 septembre 2016 à 16h15
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJoaquim Pueyo, rapporteur :

Première question donc : qui évalue l'impact des accords de libre-échange de l'Union européenne ?

C'est la Commission européenne qui, incontestablement, tient le premier rôle en matière d'évaluation de l'impact des ALE, particulièrement approfondie ex-ante. En effet, depuis 2002, elle réalise, pour chaque ALE :

– une étude d'impact initiale, avant l'ouverture des négociations ;

– une étude d'impact sur le développement durable, réalisée lorsque les négociations sont en cours ;

– une étude d'impact post-négociations.

À l'inverse, l'évaluation ex-post, évoquée pour la première fois en 2010 par la Commission, est encore très limitée. Aujourd'hui, seules deux évaluations ex-post ont été réalisées sur des accords de libre-échange d' « ancienne génération » (Mexique et Chili). S'agissant des trois ALE de « nouvelle génération » en vigueur (Corée du sud, Amérique centrale et ColombiePérou), la Commission publie des rapports annuels sur la mise en oeuvre de ces accords. Très succincts, ces rapports ne peuvent cependant pas être considérés comme de véritables évaluations ex-post.

Il convient de souligner que la Commission ne réalise pas seule ces évaluations ex-ante, en particulier la plus approfondie des trois qui est l'étude d'impact sur le développement durable. En effet, cette étude comme les deux autres reposent largement sur la modélisation économétrique qui exige des compétences dont la Commission ne dispose pas. Elle recrute donc des consultants extérieurs dont elle intègre les conclusions, parfois en les nuançant, dans les études d'impact. S'agissant des évaluations ex-post, elles s'appuient elles aussi sur des consultants extérieurs ; en revanche, les rapports annuels de mise en oeuvre sont élaborés par la seule Commission.

Si la Commission tient le premier rôle en matière d'évaluation des ALE, le Conseil fait essentiellement de la figuration. Pourtant, ses pouvoirs en matière de politique commerciale commune sont considérables : il autorise l'ouverture des négociations, il oriente le cours de celles-ci via le comité de politique commerciale et, enfin, il autorise la signature et la conclusion de l'accord. Cependant, comme nous l'avons constaté, le Conseil, dans l'exercice de ces pouvoirs, s'appuie exclusivement sur les études d'impact de la Commission sans jamais les soumettre à une contre-expertise ; de plus, le Conseil ne disposant pas de capacité d'évaluation autonome, il ne réalise pas d'étude d'impact concurrente de celles de la Commission.

En revanche, les États-membres, qui disposent d'une telle capacité d'évaluation, l'ont largement utilisée pour évaluer ex-ante l'impact du Partenariat transatlantique de commerce et d'investissement (PTCI ou, en anglais, TTIP). Par exemple, dans notre pays, la Direction du Trésor fait systématiquement une contre-expertise des études d'impact de la Commission et le Centre d'études prospectives et d'informations internationales (CEPII), qui relève des services du Premier ministre, réalise des études de l'impact des ALE pour la France. Cependant, outre que ces évaluations ne sont pas forcément publiques ni révélées au Conseil ou à la Commission, elles ne portent que sur l'impact national d'un ALE et non sur l'impact européen. Le Conseil, en tant qu'institution européenne, n'est donc pas forcément plus éclairé.

En matière d'évaluation ex-post, c'est encore pire. Le Conseil se désintéresse de la mise en oeuvre des accords de libre-échange. Dans les cas où il est saisi de celle-ci, par exemple à l'occasion de la transmission des rapports annuels de mise en oeuvre des ALE, il n'y a jamais de suite.

Les raisons d'un tel désintérêt du Conseil sont à chercher dans les compétences de celui-ci, quasi-nulles une fois l'ALE en vigueur. Contrairement au Parlement européen, il n'a en effet pas vocation, à contrôler l'action de la Commission européenne ni la mise en oeuvre des politiques européennes.

Ce désintérêt du Conseil pour l'évaluation ex-post des accords de libre-échange reflète largement celui des États-membres eux-mêmes. Pour prendre l'exemple de la France, le gouvernement français n'a jamais réalisé de réelles études sur l'impact d'un ALE en vigueur.

Enfin, depuis l'entrée en vigueur du Traité de Lisbonne, le Parlement européen cherche à influencer la politique commerciale européenne bien au-delà de ses compétences, lesquelles sont limitées à l'approbation. C'est ainsi que, par ses résolutions, il a obligé le Conseil à modifier le mandat de négociation de l'ALE UE-Japon en 2012 et, plus récemment, la Commission à proposer une réforme du mécanisme de règlement des différends État-investisseur et à la faire accepter par les Canadiens dans le CETA. Le fait que le Parlement européen dispose d'un « droit de vie ou de mort » sur les ALE contraint le Conseil comme la Commission à tenir compte de ses intentions et ce, sans attendre le stade de l'approbation.

Tant que le Parlement se contentait de suivre de loin les négociations et d'approuver les traités, il pouvait s'en tenir aux seules évaluations transmises par la Commission. Il lui était en effet totalement inutile de faire lui-même des évaluations ex-ante d'un ALE dès lors puisqu'il ne voulait pas influencer les négociations.

En revanche, s'il veut jouer un rôle plus important sur la conduite des négociations et, d'une manière générale, en matière de politique commerciale, il doit s'en donner les moyens et se doter lui aussi d'une capacité d'évaluation, autonome de celle de la Commission. C'est le cas puisqu'en 2012, une Direction de l'évaluation de l'impact et de la valeur ajoutée européenne comportant une Unité « études d'impact préalables » a été créée. Son rôle est « d'évaluer les forces et faiblesses des études d'impact de la Commission [et de] fournir, à la demande des commissions, une analyse plus approfondie ».

Jusqu'à présent, le Parlement n'a pas fait d'étude d'impact préalable à l'ouverture des négociations et ne l'envisage pas. Il préfère en effet évaluer les études d'impact initiales de la Commission européenne et l'a d'ailleurs fait pour trois des plus importants accords en cours de négociation : le PTCI, l'accord de libre-échange avec le Japon et le traité d'investissement avec Chine. Le Parlement semble en fait vouloir rester en retrait s'agissant de l'opportunité d'ouvrir des négociations.

En revanche, les négociations du PTCI lui ont donné l'occasion d'utiliser pleinement ses nouveaux moyens. Le débat autour de ces négociations porte en effet beaucoup sur les effets de ce traité et l'étude de la Commission européenne a fait l'objet d'une large contestation. S'il veut participer à ce débat et l'influencer, le Parlement européen devait donc lui aussi pouvoir s'appuyer sur sa propre évaluation. Ainsi, non seulement l'étude d'impact initiale de la Commission européenne a été expertisée mais le Parlement a également fait réaliser, par un consultant indépendant, une série d'études thématiques sur les effets du PTCI.

L'implication du Parlement européen en matière d'évaluation ex-ante des ALE doit donc être saluée. Il faut toutefois apporter un bémol. En effet, ce travail d'évaluation est certes diligenté par la Commission du commerce international mais il est réalisé par les services et non par un eurodéputé et n'a qu'une portée administrative. Il n'est pas endossé par la Commission et ne fait pas l'objet, en tant que tel, d'un examen par celle-ci.

En revanche, le Parlement européen n'a pas réellement développé sa capacité d'évaluation ex-post, qui reste par ailleurs exclusivement de nature et de portée administrative.

En réponse à cette première question – qui évalue ? –, notre rapport montre que l'évaluation des ALE, tant ex-post qu'ex ante, est avant tout réalisée par la Commission, avec une montée en puissance du Parlement européen en lien avec le PTCI, en particulier s'agissant de l'évaluation ex-ante. À l'inverse, malgré ses larges compétences en matière de politique commerciale, le Conseil se repose sur les études d'impact de la Commission.

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