Intervention de Hervé Gaymard

Réunion du 28 septembre 2016 à 16h15
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaHervé Gaymard, rapporteur :

Nous nous sommes également intéressés à l'évaluation ex-post des accords de libre-échange et, à cette fin, nous sommes rendus à Bogota et à Lima pour évaluer les premiers résultats de l'ALE avec la Colombie et le Pérou.

En 2006, l'Union européenne a ouvert des négociations avec les quatre pays de la Communauté andine (Colombie, Pérou, Équateur et Bolivie) en vue de la signature d'un accord ambitieux, à la fois politique et économique, contribuant à renforcer l'intégration régionale. Cependant, en raison du retrait, pour des raisons politiques, de l'Équateur et de la Bolivie, un simple ALE a été signé avec la Colombie et le Pérou qui a, de fait, contribué à fragiliser une Communauté andine, aujourd'hui moribonde. L'approbation de l'ALE n'a par ailleurs pas été moins singulière que sa négociation. En effet, sensibilisé par une campagne d'ONG sur les impacts négatifs de l'accord, le Parlement européen a subordonné son approbation à la présentation, par les gouvernements colombien et péruvien, de « feuilles de route » portant des engagements en matière de droit sociaux.

En dépit de ces singularités, le contenu de l'ALE est en ligne avec les autres ALE de « nouvelle génération ». Il supprime les droits de douane sur la totalité des produits industriels et agricoles, à quelques exceptions près, notamment le lait colombien, protège 92 indications géographiques européennes et ouvre les marchés publics. Il comporte également un important volet institutionnel destiné à mettre en oeuvre ses dispositions relatives à l'abaissement des barrières non-tarifaires et au développement durable.

Trois ans après son entrée en vigueur, les premiers résultats de cet ALE apparaissent satisfaisants sur le plan économique pour l'Union européenne. Les exportations européennes vers la Colombie ont constamment progressé et la balance commerciale, très déficitaire en 2012, est désormais quasiment à l'équilibre. Les exportations européennes de produits agricoles ont fortement progressé, comme les équipements de transport. Toutefois, il convient de souligner que Renault est l'un des principaux producteurs automobile en Colombie et qu'il bénéficiait à plein des droits de douane élevés sur les importations de véhicules. Par conséquent, la baisse des droits de douane, qui favorise les exportations européennes, pourraient avoir un effet défavorable pour ce constructeur et l'emploi local.

A l'inverse les exportations colombiennes ont surtout progressé en matière de produits agricoles (notamment les bananes) et de fleurs, même si l'essentiel reste les minerais. L'ALE est ainsi jugé de manière positive par le gouvernement et les entreprises colombiennes, notamment parce qu'il permet à la Colombie de diversifier ses exportations au delà de ses points forts traditionnels, notamment le charbon.

S'agissant du Pérou, il est difficile de mesurer l'impact économique de l'ALE en raison de deux facteurs que sont les variations du prix des matières premières, notamment du cuivre, et de l'effondrement du Peso, qui a considérablement renchéri les exportations européennes. Cependant, on peut observer une forte augmentation des échanges de fruits et légumes, en particulier de quinoa dont la culture profite particulièrement aux régions andines défavorisées ; toutes les personnes rencontrées ont salué l'ALE et rappelé que sans lui, le Pérou aurait perdu l'accès au marché européen dont il bénéficiait par le Système des Préférences Généralisées.

Quelques difficultés de mise en oeuvre ont toutefois été signalées. La première et la plus importante concerne les boissons spiritueuses. La Colombie discrimine en effet ouvertement, sur le plan fiscal, les boissons alcoolisées importées des boissons produites localement. Cependant, si rien n'a changé depuis 2013, la faute en incombe aux régions plus qu'au gouvernement colombien lui-même. Celles-ci disposent d'un monopole sur la vente d'alcool, en retirent d'importantes ressources et sont, pour certaines, productrices. Cependant, peut-être suite à la saisine de l'OMC par l'UE, les choses semblent avancer puisqu'un projet de loi a été déposé qui harmonise cette taxation, désormais assise sur le prix de vente et le degré d'alcool. Cependant, comme c'est la composante prix de vente qui serait très prépondérante, les boissons les plus chères, en particulier le vin, seront défavorisées.

Au Pérou, les difficultés ne concernent qu'un seul produit : le Pisco. Alors que tous les alcools ont lourdement taxés, le Pisco est exonéré de toute taxe, car considéré comme un bien culturel.

Un autre exemple de mauvaise mise en oeuvre de l'ALE concerne les mesures sanitaires et phytosanitaires au Pérou dans le domaine des produits laitiers et carnés. Les entreprises européennes ont plus le grand mal à savoir quelles sont précisément les règles en la matière. Cependant, ce problème n'est pas tant la manifestation d'une volonté protectionniste que le résultat d'un dysfonctionnement administratif : l'application de ces règles relève de deux administration différentes – agriculture et santé – qui ne coopèrent pas en raison de la mésentente de leur dirigeants respectifs.

Nous nous sommes également intéressés, lors de ce déplacement, à l'application des dispositions relatives au développement durable, celles du titre IX de l'ALE mais également celles des « feuilles de route ».

C'est un fait que la Colombie et le Pérou connaissent une situation difficile s'agissant du respect des droits humains, sociaux et environnementaux : assassinats de syndicalistes en Colombie, travail des enfants aux Pérou et, dans les deux pays, déforestation à finalité agricole et projets miniers détruisant l'environnement, exploitant les travailleurs et mettant en péril les communautés locales. Les études d'impact ont longuement analysé cette situation et attiré l'attention, comme les ONG, sur les possibles effets négatifs de l'ALE. La présence de dispositions relatives au développement durable, comme l'exigence de « feuilles de route » par le Parlement européen, sont la conséquence de cette situation et la manifestation de la volonté de l'Union que l'ALE contribue à l'amélioration de celle-ci.

Qu'en est-il sur le terrain ? Nous avons constaté que de nombreuses mesures ont été adoptées en faveur du respect des droits humains, sociaux et environnementaux. Notre rapport les présente toutes en détail. Elles sont la preuve d'une réelle volonté des gouvernements colombien et péruvien d'améliorer une situation dont ils ont pleinement conscience. Cependant, c'est un fait que l'application de ces mesures est défaillante et nous avons cherché à comprendre pourquoi, si l'ALE en était la cause et si celui-ci pouvait être la solution.

Or, ce que nous avons constaté, c'est que les problèmes de respect des droits humains, sociaux et environnementaux auxquels sont confrontés ces deux pays sont structurels, qu'ils préexistaient à l'ALE et que les résoudre impose des réformes qui vont bien au-delà du commerce international et des accords de libre-échange. C'est la guerre contre les FARC et le trafic de drogue qui sont la cause première des violations des droits humains en Colombie et l'ampleur du travail illégal qui empêche les travailleurs péruviens et colombiens de bénéficier de droits sociaux. Quant à la protection de l'environnement, elle est mise à mal par la corruption et, plus généralement, la mauvaise gouvernance.

Dans ces conditions, il faut être modeste dans nos attentes de l'application des dispositions relatives au développement durable et ne pas croire qu'à elles seules, elles permettront à ces pays d'atteindre en quelques années les standards européens. La signature de la paix avec les FARC, après 50 ans de guerre, aura des effets bien plus profonds sur la société colombienne qu'un quelconque ALE. Il est cependant important que ces dispositions figurent dans les ALE car elles représentent les valeurs de l'Union européenne, valeurs qu'elle doit promouvoir. En outre, ces dispositions soutiennent une demande profonde des sociétés colombienne et péruvienne en faveur d'une plus grande justice sociale qui, plus que l'ALE, aboutit à l'adoption de mesures en faveur des droits humains, sociaux et environnementaux. Pour ne citer qu'un exemple, notre rapport fait ainsi le constat que la signature des conventions de l'OIT par le Pérou, exigé par l'ALE, a commencé bien avant la signature de celui-ci.

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