On m’a enfin opposé plusieurs dispositions du code pénal. L’article 421-2-5 réprime la provocation à commettre des actes de terrorisme ou leur apologie, en aggravant les peines encourues lorsque ces comportements s’opèrent en ligne. Cet article est inadapté puisque les prédicateurs les plus radicaux ont pris soin, depuis l’attentat perpétré contre Charlie Hebdo en janvier 2015, de ne plus appeler ouvertement à la commission d’actes terroristes. L’article 227-24, relatif à la mise en péril des mineurs, ne sanctionne que la fabrication ou la diffusion de messages violents, incitant au terrorisme ou de nature à porter gravement atteinte à la dignité humaine lorsque ces messages sont susceptibles d’être vus par des mineurs. Cet article est donc inopérant pour réprimer, par exemple, le fait d’enseigner aux enfants qu’écouter de la musique les transformera en « cochons ».
Mes chers collègues, vous le constatez vous-mêmes : il existe bien « un trou dans la raquette pénale ». Le dispositif initial de la proposition de loi visait à le combler, mais soulevait certaines difficultés juridiques, comme l’ont montré les auditions que nous avons menées. C’est la raison pour laquelle, comme je l’avais fait en commission, j’ai déposé un amendement de rédaction globale de l’article 2, plus conforme aux exigences constitutionnelles et conventionnelles.
Laissez-moi vous présenter succinctement ce dispositif alternatif qui me paraît nécessaire, adapté et proportionné à l’objectif poursuivi.
Nous sommes en présence de deux séries d’exigences qu’il nous faut parvenir à concilier : d’une part, la liberté de conscience, la liberté religieuse et la liberté d’expression et, d’autre part, la sauvegarde de la dignité de la personne humaine, l’égalité homme-femme, la sécurité publique et ce que notre ancien collègue Jean-Paul Garraud a appelé, lors de la discussion de la loi interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public, l’ordre public « immatériel », qui a fait son entrée dans notre jurisprudence.
Au sens de la Cour européenne des droits de l’homme, le but légitime poursuivi par ce dernier texte est la « préservation des conditions du vivre ensemble en tant qu’élément de la protection des droits et libertés d’autrui ». C’est-à-dire le respect des exigences minimales de la vie en société : l’égalité entre les hommes et les femmes, le respect de la dignité des personnes, etc.
Les libertés de conscience, de religion et d’expression ne protègent pas n’importe quel acte motivé ou inspiré par une religion ou des convictions. L’État peut assortir ces libertés de limitations de nature à concilier les intérêts des divers groupes et à assurer le respect des convictions de chacun. Autrement dit, on ne peut pas se draper dans la religion pour prêcher n’importe quoi.
Dans ces conditions, le dispositif que je vous propose me paraît d’abord nécessaire, pour réprimer certaines prédications salafistes insidieuses, compte tenu des angles morts de notre législation.
Ce dispositif me paraît ensuite adapté et proportionné, étant donné son périmètre et les modalités de la répression des infractions que je vous propose de créer.
D’une part, l’infraction de prédication subversive est encadrée. Seuls seraient concernés des paroles ou des écrits publics et réitérés, se revendiquant de principes religieux et ayant pour effet de troubler l’ordre public ou de provoquer à des comportements manifestement incompatibles avec trois principes constitutionnels et conventionnels : la sauvegarde de la dignité humaine, la liberté et l’égalité.
D’autre part, en lieu et place du délit de complicité qui figurait dans le texte initial, je vous propose de réprimer le seul fait d’assister habituellement à des prédications subversives ou de consulter habituellement un site internet mettant à disposition des messages de prédication subversive. Seraient expressément exclus du champ de la répression quatre comportements : la participation et la consultation effectuées de bonne foi, résultant de l’exercice normal d’une profession ayant pour objet d’informer le public, intervenant dans le cadre de recherches scientifiques ou réalisées afin de servir de preuve en justice.
Dans tous les cas, les peines encourues sont alignées sur celles prévues pour d’autres infractions de gravité comparable ou de même nature : la provocation à commettre des actes de terrorisme ou leur apologie, la provocation directe non suivie d’effet à commettre des infractions, la consultation habituelle de sites internet terroristes, la participation à des groupes de combat, etc.
Je conclurai en observant que notre pays, en adoptant en 2001 l’infraction d’abus frauduleux de l’état d’ignorance ou de faiblesse, est parvenu à se doter d’un dispositif juridique et administratif qui fait figure de modèle en matière de lutte contre les dérives sectaires, qui constituent une autre forme d’endoctrinement néfaste pour les individus et la société.
Dans le même esprit, le texte que je vous propose vise à doter notre pays de nouveaux outils pour lutter contre la radicalité politico-religieuse, non pas seulement par les discours mais aussi par la force de la loi.
Pour qu’en France, en 2016, une femme ne puisse plus être considérée comme la moitié d’un homme, pour qu’un prédicateur ne puisse plus impunément encourager à ne pas fréquenter les mécréants ou faire croire à des enfants qu’écouter de la musique les transformera en cochons.
Je vous remercie par avance de contribuer à mettre fin à cette insupportable impunité.