Intervention de Jean-Jacques Urvoas

Séance en hémicycle du 13 octobre 2016 à 9h30
Prédication subversive — Présentation

Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux, ministre de la justice :

Monsieur le président, madame la rapporteure, monsieur le président de la commission des lois, mesdames et messieurs les députés, depuis le XVIIIe siècle, notre législation a progressivement renforcé ses outils afin de lutter contre les discours de haine susceptibles de porter atteinte à l’ordre public.

Nous avons ainsi construit des digues de plus en plus efficaces, tout en restant dans l’esprit de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

Ce processus s’est toujours inscrit dans la conception française de la laïcité, la protection de tous les cultes et le respect de la liberté de conscience.

Même durant cette législature, d’importantes avancées ont été réalisées, parce que nous l’avons voulu, l’ensemble des textes ayant été votés par une écrasante majorité, je l’ai rappelé tout à l’heure.

Ainsi, la loi du 13 novembre 2014, relative à la lutte contre le terrorisme, a renforcé la lutte contre l’apologie du terrorisme, en transférant ce délit de la loi sur la presse de 1881 vers le code pénal.

Son double avantage était de le faire échapper aux règles procédurales dérogatoires de la loi de 1881 et de permettre les poursuites en comparution immédiate.

Puis ce fut la loi du 3 juin 2016, qui a incriminé la consultation régulière de sites faisant l’apologie du terrorisme.

Enfin, en ce moment, le projet de loi Égalité et citoyenneté en cours d’examen tend à renforcer la lutte contre les discriminations, notamment en raison de l’appartenance ou de la non-appartenance à une religion.

L’outillage est donc conséquent, mais à vos yeux insuffisant, madame la rapporteure, puisque vous nous proposez de pénaliser la prédication subversive.

Comme je vous l’ai indiqué la semaine passée, lors des questions au Gouvernement, si nous pouvons comprendre ou partager votre intention, nous estimons que vos propositions sont doublement problématiques. Soit les mesures proposées figurent déjà dans notre arsenal juridique, soit elles se situent en dehors de l’État de droit et confinent au délit d’opinion.

En d’autres termes, non seulement nous sommes convaincus que notre arsenal est efficace, mais en plus, nous avons tendance à considérer qu’aller au-delà serait disproportionné.

Je rappellerai simplement ce que je vous ai déjà dit la semaine dernière. Notre arsenal juridique, aujourd’hui, nous donne les moyens de lutter conte l’apologie du terrorisme, de sanctionner la mise en péril des mineurs par des messages incitant au terrorisme par le biais de l’article 227-24 du code pénal, qui punit la fabrication ou la diffusion, par quelque moyen que ce soit et quel qu’en soit le support, d’un message à caractère violent, incitant au terrorisme ou de nature à porter gravement atteinte à la dignité humaine, lorsque ce message est susceptible d’être vu par un mineur.

Notre arsenal nous permet également de poursuivre la provocation directe à commettre un crime ou un délit suivie d’effet, délit déjà prévu à l’article 23 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. La provocation publique à commettre des infractions non suivie d’effet est un autre délit, prévu par l’article 24 de la même loi.

Puis-je encore évoquer la provocation non publique à la haine ou à la discrimination, la diffamation ou l’injure non publique, prise en compte par un décret du 25 mars 2005 ?

La provocation par le ministre du culte à la résistance à l’exécution des lois ou aux actes de l’autorité publique est également prévue, par l’article 35 de la loi de 1905.

Rappelons par ailleurs, mesdames et messieurs les députés, que l’outrage ou la diffamation par un ministre du culte envers un citoyen en charge d’un service public est un délit, en vertu de l’article 34 de la loi de 1905.

Oui, il a déjà été prévu de réprimer tout ministre d’un culte qui, dans les lieux où s’exerce ce culte, aura publiquement, par des discours, des lectures, des écrits distribués ou des affiches apposées, outragé ou diffamé un citoyen chargé d’un service public.

Même les pressions exercées pour déterminer une personne à exercer ou à s’abstenir d’exercer un culte ont déjà été prises en considération par l’article 31 de la loi de 1905. Elles peuvent donner lieu à une contravention de cinquième classe, lorsqu’elles sont commises, notamment par violences ou par menaces, contre un individu.

Aller plus loin serait disproportionné.

La répression des manifestations ou des discours religieux prônant la supériorité des lois religieuses sur les lois de la République doit s’exercer dans le respect des libertés fondamentales, et notamment de la liberté d’expression et du principe de laïcité.

En outre, la rédaction de la proposition de loi présente un risque important d’inconstitutionnalité au regard de l’exigence de précision de la loi pénale.

Il conviendrait de définir de façon précise la notion de « prédication subversive ». Or vous conviendrez avec moi qu’il s’agit d’une notion fluctuante, aux contours indéterminés, susceptible de renvoyer à un nombre exponentiel d’expressions de la pensée.

À ce titre, cette notion peut porter une atteinte importante à la liberté d’expression et à la liberté de religion.

Cela me permet de rappeler la chose suivante. Le sens profond de la parole religieuse, quelle qu’elle soit, consiste la plupart du temps à faire prévaloir, dans la conscience des fidèles, la règle religieuse sur la règle civile, sans pour autant appeler à la désobéissance à la loi. L’infraction projetée par votre proposition de loi autoriserait donc une pénalisation particulièrement étendue de l’enseignement et de la pratique de la religion. À titre d’exemple, l’Église catholique condamne ouvertement le divorce, l’avortement ou la contraception, qui sont pourtant autorisés par les lois de la République !

Enfin, l’incrimination de « prédication subversive » s’avère contraire au principe constitutionnel de responsabilité personnelle en matière pénale.

Pourquoi ? Parce qu’elle prétend punir, comme complice, la personne qui aura simplement assisté au prêche dit subversif.

Or, comme l’acte de complicité que l’on veut incriminer n’a aucune matérialité, il s’analyse en réalité en tant que tentative de pénaliser des personnes au titre des actes commis par autrui, en l’espèce l’auteur du prêche.

Je citais déjà Portalis la semaine dernière, mais je vais recommencer : « Les lois ne sont pas de purs actes de puissance ; ce sont des actes de sagesse, de justice et de raison ».

Je ne crois pas que votre texte soit sage, et je suis convaincu que l’adopter serait perdre le sens de la raison.

5 commentaires :

Le 23/06/2017 à 09:22, Laïc1 a dit :

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"La provocation par le ministre du culte à la résistance à l’exécution des lois ou aux actes de l’autorité publique est également prévue, par l’article 35 de la loi de 1905."

Rappelons cet article 35 :

"Article 35

Si un discours prononcé ou un écrit affiché ou distribué publiquement dans les lieux où s'exerce le culte, contient une provocation directe à résister à l'exécution des lois ou aux actes légaux de l'autorité publique, ou s'il tend à soulever ou à armer une partie des citoyens contre les autres, le ministre du culte qui s'en sera rendu coupable sera puni d'un emprisonnement de trois mois à deux ans, sans préjudice des peines de la complicité, dans le cas où la provocation aurait été suivie d'une sédition, révolte ou guerre civile."

Ainsi l'article 35 dit bien : "ou s'il tend à soulever ou à armer une partie des citoyens contre les autres".

Or cet aspect bien précis de la loi n'est pas pris en compte dans les discussions à l'assemblée, et c'est pourtant là le point le plus important de la loi : des imams qui appellent à la haine ou à la discrimination des femmes, des athées, des homosexuels, des infidèles, doivent bien sûr être sanctionnés sur la base de cet article, ce qui ne se fait jamais. Les prêches des imams en France sont-ils tous enregistrés et analysés comme il se doit pour que cet article 35 puisse être appliqué ? Rien n'est moins sûr, et c'est même sûr qu'ils ne le sont pas (j'ai lu des interventions allant dans ce sens lors de discussions en commission à l'Assemblée...), empêchant par là l'application pleine, entière et sereine de la loi française.

Les Français ont peur de l'islam, et à juste titre, car ils savent que la loi française qui les protège n'est pas appliquée.

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Le 26/06/2017 à 08:14, chb17 a dit :

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Laïc, la majorité des musulmans de France (et d'autres pays) ne pratiquent pas le terrorisme, ni ne sont attirés par la sédition. Il se pourrait par ailleurs que des personnes, en dehors des cénacles religieux, appellent leurs auditeurs à se soulever contre l'actuelle "majorité" présidentielle dont les candidats au premier tour des récentes législatives ont obtenu l'approbation de seulement un électeur sur sept. La loi d'urgence permanente, après une litanie de mesures sécuritaires inefficaces à ramener la paix civile, sera utile au pouvoir en place pour réprimer toute sorte d'expression du mécontentement populaire probable.

Ces éléments me semblent montrer que le bouc émissaire "islam" est abusivement mis au pilori médiatique, en même temps que les "rebelles armés" al Qaïda et autres sont chouchoutés dans des zones où le chaos qu'ils imposent sert l'agenda impérialiste.

La paix soit avec vous.

Et pourvu que Regards Citoyens puisse actualiser ses sites d'info, fort utiles !

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Le 26/06/2017 à 08:19, chb17 a dit :

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Sur l'instrumentalisation du terrorisme islamique, on peut lire http://arretsurinfo.ch/cela-fait-trois-ans-quisrael-soutient-ses-mercenaires-dal-qaeda/. Cet article s'intéresse spécialement à l'état d'apartheid, mais ses complices occidentaux et pétromonarchiques sont évidemment mouillés dans le processus.

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Le 26/06/2017 à 09:30, Laïc1 a dit :

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La paix soit avec vous... Pas de paix tant que la loi française ne sera pas strictement appliquée là où elle doit l'être.

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Le 26/06/2017 à 17:25, chb17 a dit :

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"Pas de paix tant que la loi française ne sera pas strictement appliquée là où elle doit l'être "

Des deux mains, on applaudit ce constat. Pas de paix sans justice.

Car voilà que l'élite, comme les responsables élus, traite souvent la loi avec désinvolture et mépris. La corruption et la cupidité priment sur l'intérêt commun. Bien des aspects des Droits de l'Homme sont ignorés, ostensiblement. La charte de l'ONU est violée à répétition, sous prétexte d'imposer ailleurs une démocratie pourtant si bousculée ici même.

Comment a-t-on pu laisser notre gvt bombarder en Libye ou en Syrie (des civils entre autres), sans imaginer un retour du boomerang ? La paix, même la pax americana basée sur la peur d'une puissance dévastatrice extrême, peut-elle régner dans les conditions que nous connaissons, avec des gens qui n'ont plus rien à perdre et sont candidats au suicide ? Quand de cyniques bellicistes font répandre le malheur et le chaos sous des prétextes fallacieusement appelés moraux, en une prédication (propagande) agressive et véritablement subversive ?

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