Intervention de Michel Ménard

Réunion du 5 octobre 2016 à 9h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMichel Ménard, rapporteur de la mission d'information :

Au terme de vastes auditions, de plusieurs déplacements sur le terrain, à Strasbourg, à Nantes et à Montrouge, dans le souci constant de prendre en compte la réalité concrète et la grande diversité des expériences sur le territoire national qu'illustrent notamment les très éclairantes réponses apportées par les enseignants de Loire-Atlantique à un questionnaire que je leur avais adressé dès ce printemps, j'ai le plaisir de vous présenter aujourd'hui les principales conclusions auxquelles nous sommes parvenus.

Mon espoir est que, au-delà d'inéluctables divergences d'appréciation induites par le fort contraste entre la politique suivie à partir de 2010 et notre choix de rétablir une formation initiale plus exhaustive, la grande majorité des propositions formulées rencontrent un puissant consensus.

La place cardinale de l'éducation dans le destin de notre pays et, il faut bien l'avouer, les terribles défis que lui oppose le poids toujours disproportionné des inégalités dans la réussite scolaire, font de la qualité des pratiques des enseignants, et donc de celle de leur formation, la pièce maîtresse de la refondation de l'école engagée par la loi du 8 juillet 2013.

L'année 2013, ce n'est qu'hier, et il faut bien comprendre que nous avons été amenés à poser un regard sur un chantier encore en cours. Ce n'est qu'à la rentrée 2015 que sont entrés dans le métier les premiers enseignants totalement formés par les ESPE. À cet égard, il faut souligner que cette réforme si importante a pu être accompagnée, évaluée, corrigée souvent. En témoignent la conduite de trois vagues d'accréditation pour certaines ESPE, la publication de bientôt quatre rapports des inspections générales, celle de l'excellent rapport d'étape de nos collègues du comité de suivi de la loi de 2013, ainsi qu'une profusion de séminaires, de circulaires du ministère…

Désormais, le paysage se dessine plus clairement, et j'ai la satisfaction de vous dire combien il me semble prometteur pour la formation initiale, même si, nous le verrons, tant de choses restent à faire pour la formation continue.

L'inspiration de la refondation de la formation tenait en une conviction, simple mais si contradictoire avec l'histoire cloisonnée de nos anciens « ordres » d'enseignement. Enseigner, c'est un métier. Un métier qui ne s'improvise pas, mais qui s'apprend au contact des élèves, dans la complexité et la diversité de leurs aptitudes et de leurs besoins, et qui se perfectionne tout au long des carrières. Bien sûr, l'excellence disciplinaire est le socle de l'apprentissage, et je veux ici saluer la pertinence du choix effectué par la précédente majorité de porter le niveau de recrutement au master, qui nous place parmi les pays européens les plus exigeants. Mais l'exercice efficace et épanouissant du métier d'enseignant exige des aptitudes professionnelles qui, elles aussi, s'apprennent. C'est pourquoi nous avons tant regretté la suppression en 2010 de l'année de stage précédant l'entrée dans la carrière, qui était pourtant l'apport le plus salué de l'héritage des instituts universitaires de formation des maîtres (IUFM), que je sais par ailleurs contesté.

C'est d'ailleurs en pleine lucidité, au regard des difficultés rencontrées par les IUFM, que nous avons placé les ESPE dans une philosophie profondément différente.

La première innovation, c'est le choix d'unifier la formation de tous les personnels de l'éducation, afin de colmater cette éternelle fracture opposant historiquement l'école de masse des « instituteurs » aux enseignements élitistes des « professeurs ». Mais cela va bien au-delà. L'ambition est de créer une culture commune à tous les acteurs de l'éducation : c'est l'objet du fameux « tronc commun ». C'est aussi ce qui justifie la volonté de renouveler et de diversifier le vivier des formateurs.

La deuxième originalité, c'est le positionnement des nouvelles écoles au sein des universités, pour parvenir enfin à sortir la formation de son moule disciplinaire et lui donner sa véritable identité professionnelle, académique et pédagogique. D'où le poids renforcé de l'alternance – près d'un mois et demi en première année de master, puis la moitié du temps en deuxième – tant il est évident que la meilleure, peut-être l'unique manière pour les futurs professeurs d'appréhender les exigences de leur métier et les besoins de leur formation demeure la conduite de la classe.

Ces réformes ont rencontré de réels succès, dont le rapport décrit la diversité en s'attachant à mettre en valeur les meilleures pratiques. Elles ont réussi à enrayer l'inquiétante crise des vocations – baisse de 40 % et de 55 % des candidats aux concours externes respectivement de professeurs des écoles et du certificat d'aptitude au professorat de l'enseignement du second degré (CAPES) entre 2008 et 2012. Depuis, les aspirants au métier de professeur des écoles ont augmenté de 75 %, ceux de professeurs certifiés de 130 % ; cette reprise témoigne d'un indéniable dynamisme, même dans les académies les moins attractives. Les masters de l'éducation des ESPE s'imposent sans ambiguïté comme la voie de référence, avec des taux de réussite de leurs étudiants au concours de 15 à 20 points supérieurs aux autres candidats. Avec 12 % d'étudiants supplémentaires dans les écoles depuis 2014, ces masters bénéficient des plus fortes croissances observées dans les universités.

Pour autant, tout n'est pas parfait, et la mission a utilement identifié de très nombreux points d'amélioration.

De manière générale, ma conviction est que les vastes ambitions pertinemment identifiées en 2013 peinent à être satisfaites dans le temps si bref d'un master de deux années, dont l'une est préemptée par la difficile préparation du concours, et la seconde par le mi-temps du stage en responsabilité. Le risque est réel qu'à courir tant d'objectifs, les ESPE tendent parfois à dispenser des enseignements morcelés, brefs et généralistes. Enseigner est un métier qui demande plus de deux années de formation.

C'est pourquoi il nous est apparu indispensable de bâtir un continuum de formation qui sensibilise les jeunes dès la licence, par l'introduction de modules spécifiques, et surtout qui déploie l'effort de formation sur les deux premières années d'enseignement. Cela passera par un plus fort développement des effectifs des étudiants apprentis professeurs qui bénéficieront dès la licence d'un apprentissage renforcé, et par une adaptation des concours afin que leur expérience soit un atout et non un handicap.

Un tel étalement des enseignements professionnalisants permettra en outre de renforcer l'alternance en première année de master, pour la porter à un tiers du temps. Il offrira aux ESPE l'opportunité d'adapter et de hiérarchiser les contenus des formations, en fonction notamment des lacunes de leurs élèves, de la diversité de leurs parcours et des besoins induits par leurs affectations, et de donner une pleine cohérence aux objectifs du tronc commun dont les très nombreuses exigences seraient étalées sur quatre années, permettant en particulier d'aborder en profondeur les problématiques extrêmement importantes que sont la gestion des élèves à besoin éducatif particulier, le travail interdisciplinaire et le soutien. Il donnera enfin un rôle plus éminent aux tuteurs, les chevilles ouvrières de la formation dont nous proposons d'ailleurs la revalorisation, et fera des établissements d'accueil des jeunes stagiaires et enseignants de véritables « établissements formateurs », pleinement articulés aux ESPE, et dont la capacité de formation sera dûment évaluée et labélisée. Une telle démarche est un premier pas indispensable vers une meilleure affectation des stagiaires dans des établissements dont les compétences en formation seront ainsi reconnues et valorisées.

Parallèlement, il nous apparaît indispensable de mieux encourager les ESPE à mutualiser leurs ressources et à fédérer les divers acteurs qui travaillent à leur côté. C'est vrai pour les disciplines ou les métiers à effectif faible, et je pense aux enseignants spécialisés des lycées professionnels qui gagneraient à être formés dans des pôles labélisés, par exemple au sein des campus des métiers, l'important étant de porter une attention particulière à l'intensité des liens avec les milieux professionnels concernés. Mais c'est tout aussi vrai pour la recherche : les ESPE doivent s'imposer comme les grands fédérateurs et diffuseurs de toutes les recherches éducatives, sur le modèle de la démarche innovante de l'Institut Carnot des sciences de l'éducation, à Lyon, qui s'attache à répondre scientifiquement aux besoins exprimés par les enseignants eux-mêmes.

Ces évolutions nous conduisent évidemment à la lancinante question des concours, que la mission n'a pas voulu éluder.

Il est clair que la présence du concours au milieu du master ne favorise guère la cohérence générale du parcours de formation, accaparant la première année du master où les étudiants ne prêtent souvent qu'une oreille distraite aux contenus professionnalisants, et dévalorisant parfois la seconde où certains admis estiment que tout est déjà joué.

Pour autant, mon opinion personnelle est qu'il serait déraisonnable d'entreprendre dès à présent le bouleversement d'un système déjà modifié deux fois au cours des cinq dernières années, car le risque serait alors de le rendre illisible. La priorité est de renforcer le contrôle des aptitudes professionnelles dans les concours actuels, en particulier en veillant à ce que les jurys se réfèrent expressément au nouveau référentiel des compétences et contrôlent efficacement la connaissance des valeurs fondamentales du système éducatif.

À plus long terme, cependant, je dessine quelques pistes permettant de libérer le master de la « césure » du concours, par exemple en introduisant progressivement un décalage entre les épreuves d'admissibilité, à tonalité plus disciplinaire, conservées en première année de master, voire avancées à la fin de la licence, et celles d'admission, reportées en fin de master, qui permettraient de mieux vérifier la maîtrise des aptitudes professionnelles, au besoin par des épreuves en classe.

Sur les questions plus prosaïques de gouvernance, la mission a pu, là encore, formuler un jugement nuancé mais optimiste.

Le parti pris d'ancrer les ESPE dans les universités, tout en leur donnant une spécificité marquée, n'a évidemment pas manqué d'occasionner des tensions. En l'absence de règles claires sur le pilotage, les directeurs d'ESPE ont été nombreux à se plaindre d'une trop grande centralisation et à évoquer leur sentiment, en période budgétaire difficile, d'être la variable d'ajustement des universités. Deux points techniques cristallisent ces tensions : les inscriptions administratives et pédagogiques à l'université ; le budget de projet, qui identifie les moyens dévolus aux ESPE, mais qui est trop souvent un outil fragile et exclusivement comptable.

Pour remédier à ces difficultés, nous proposons de clarifier les relations entre les deux partenaires, en créant partout une structure dédiée de pilotage entre l'université – ou mieux encore, la communauté d'universités et d'établissements (COMUE) à laquelle elle appartient – et le rectorat, avec une seule université identifiée comme chef de file.

S'agissant des inscriptions, nous estimons que les inscriptions administratives et pédagogiques doivent être centralisées au sein de l'ESPE de l'université intégratrice, afin que les écoles aient une pleine visibilité sur leurs effectifs.

Quant au budget, il conviendrait de généraliser la conclusion de contrats d'objectifs et de moyens entre l'ESPE et l'université intégratrice, qui permettraient de garantir une parfaite lisibilité, une continuité et un fléchage efficace des moyens vers le budget de l'ESPE.

Les constats, vous le lirez, sont beaucoup plus sévères s'agissant de la formation continue de nos enseignants, actuellement décevante par sa complexité, ses disparités et son manque de lisibilité et d'attractivité. L'Éducation nationale n'est guère un employeur à la hauteur des responsabilités qu'elle assigne à ses professeurs. Le chantier est immense et doit être ouvert sans tarder.

Rien ne pourra se faire sans clarifier, d'abord, les besoins et, ensuite, les missions des acteurs.

Il est ainsi primordial de simplifier et de hiérarchiser, tant dans les plans nationaux qu'académiques, l'offre de formation, aujourd'hui pléthorique – 650 offres dans le plan national de formation ! – et presque totalement dépourvue d'évaluations et de retours d'expérience.

De même, il faut remettre de l'ordre entre les formations relatives aux priorités assignées par la Nation à l'École, légitimement exercées par l'État employeur et en ce sens « obligatoires », et toutes les autres formations, tout aussi précieuses, qui doivent entrer dans le giron des ESPE, dont c'est aussi le coeur de métier.

Nous proposons ainsi que soit institué dans toutes les académies un comité de pilotage, recensant, évaluant et hiérarchisant les offres, et répartissant les tâches entre les services académiques, les ESPE, mais aussi le réseau Canopé de création et d'accompagnement pédagogique – ex-Centre national de documentation pédagogique (CNDP – dont le rôle est si précieux.

Nous insistons aussi pour que les enseignants bénéficient d'un véritable droit à la formation, dûment certifiante, grâce à la mise en place d'un compte personnel de formation et à un suivi individuel dans un portfolio. Leurs efforts pour améliorer leurs compétences doivent être valorisés – ce qui n'est quasiment pas le cas aujourd'hui –, y compris en instaurant un barème de points intervenant dans la carrière et les affectations et en mettant en place un dispositif de validation des acquis de l'expérience (VAE).

En parallèle, le moins que l'on puisse attendre est que l'Éducation nationale se comporte comme tous les autres employeurs. Le remplacement des enseignants en formation et une pleine prise en charge des frais induits par ces formations sont au nombre des sujets qu'il conviendra de régler sans attendre. De nombreuses autres propositions, centrées notamment sur le relèvement des qualifications des formateurs et sur une meilleure coordination des acteurs, sont apparues tout aussi décisives à la mission.

En résumé, je considère que la création des ESPE a permis le rétablissement d'une formation initiale ambitieuse, unifiée et professionnalisante ; qu'il convient de clarifier des points concernant la gouvernance des ESPE ; que les ESPE doivent, après avoir consenti des efforts en direction de la formation initiale, s'investir sur la formation continue en partenariat avec les rectorats ; et que le rôle de la recherche doit être renforcé au bénéfice des enseignants, mais surtout des élèves, afin que tous réussissent leur scolarité.

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