Le Sénat ayant en effet adopté, en commission comme en séance publique, une motion tendant à opposer la question préalable à la proposition de loi visant à renforcer la liberté, l'indépendance et le pluralisme des médias, que j'ai déposée au début de l'année avec Bruno Le Roux et nos collègues du groupe Socialiste, écologiste et républicain (SER), nous voici saisis, en lecture définitive, du texte que l'Assemblée nationale a adopté en nouvelle lecture, le 18 juillet dernier.
Cette lecture définitive est l'aboutissement d'un parcours législatif qui, bien que réalisé dans le cadre de la procédure accélérée, aura duré près de sept mois… Ce délai suffit à montrer que le grief formulé par certains de nos collègues sénateurs à l'encontre du calendrier d'examen de cette proposition de loi est pour le moins infondé.
Tout aussi surprenant est le reproche que la rapporteure du Sénat, Mme Catherine Morin-Desailly, a adressé aux députés d'avoir opposé « un refus quasi-systématique des apports du Sénat ». Je rappellerai que c'est sur proposition de la haute assemblée qu'ont été notamment introduits dans cette proposition de loi : l'article 1er bis A qui prévoit la remise, aux journalistes, de la charte déontologique de l'entreprise qui les emploie ; l'article 7 bis qui étend aux chaînes parlementaires le dispositif des comités relatifs à l'honnêteté, à l'indépendance et au pluralisme de l'information et des programmes ; ou encore l'article 10 ter qui clarifie les règles applicables en matière de numérotation des chaînes de télévision dans les offres des distributeurs.
Le Sénat a par ailleurs accueilli favorablement, en les votant conformes ou en n'y apportant que quelques modifications d'ordre rédactionnel : l'article 4 qui dispose que les conventions conclues entre le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) et les éditeurs de services diffusés par câble, satellite et ADSL intègrent les mesures à mettre en oeuvre pour garantir le respect des principes de pluralisme, d'honnêteté et d'indépendance des médias ; l'article 6 qui fait figurer le respect de ces mêmes principes dans les critères obligatoirement pris en compte par le CSA lorsqu'il délivre une autorisation d'usage des fréquences hertziennes aux éditeurs de service de télévision et de radio ; l'article 9 qui vise à garantir l'effectivité de la limitation de la détention du capital des services audiovisuels par des personnes de nationalité étrangère ; ou encore l'article 10 bis qui élargit la saisine du CSA aux organisations de défense de la liberté de l'information reconnues d'utilité publique en France.
De son côté, l'Assemblée nationale a fait un pas en direction de nos collègues sénateurs. Afin de répondre aux interrogations qu'ils ont parfois exprimées quant au caractère subjectif de la notion d'« intime conviction professionnelle » – pourtant présente dans la loi depuis 2009, à l'initiative du Sénat, sans occasionner aucun contentieux à ce jour –, elle a décidé, sur ma proposition, de fonder le droit d'opposition, étendu par l'article 1er à l'ensemble des journalistes, sur la simple notion de « conviction professionnelle », formée dans le respect de la charte déontologique de l'entreprise ou de la société éditrice. Cette « conviction » ne sera en rien arbitraire. Elle devra être « professionnelle », c'est-à-dire trouver ses fondements dans l'accomplissement des démarches et le suivi des précautions fondamentales qui constitue l'exercice loyal et professionnel du métier de journaliste.
Cependant, les efforts consentis par l'Assemblée nationale pour parvenir à un consensus ne pouvaient la conduire à renier l'esprit qui animait l'exposé des motifs et la version initiale de la proposition de loi.
C'est donc en toute logique que notre assemblée, après l'échec de la commission mixte paritaire (CMP) réunie le 14 juin dernier, s'est attachée à renouer avec la démarche des auteurs de la proposition de loi.
Elle l'a d'abord fait en prévoyant, à l'article 1er, que les chartes déontologiques devront être rédigées conjointement par la direction et les représentants des journalistes. Cette rédaction conjointe devra résulter de véritables « négociations », c'est-à-dire d'entretiens, d'échanges de vues ou encore de consultations tendant à la recherche d'un accord, et non de simples « discussions » susceptibles d'être closes par une initiative unilatérale de la direction. Un amendement du Gouvernement est par ailleurs venu utilement préciser qu'à défaut de conclusion d'une charte avant le 1er juillet 2017, et jusqu'à l'adoption de celle-ci, les déclarations et les usages professionnels relatifs à la profession de journaliste pourront être invoqués en cas de litige.
L'Assemblée nationale ne pouvait pas non plus renoncer à l'ensemble du dispositif destiné à conforter le droit d'opposition des journalistes et à en assurer l'effectivité. C'est pourquoi elle a rétabli les dispositifs qu'elle avait adoptés en première lecture et qui prévoient : à l'article 1er bis, que le comité d'entreprise sera destinataire d'une information annuelle sur le respect du droit d'opposition par l'entreprise ; à l'article 2, que le CSA devra veiller à ce que les conventions qu'il conclut avec les éditeurs de services garantissent le respect du droit d'opposition reconnu à l'ensemble des journalistes. Au risque de me répéter, je tiens à souligner que le contrôle du CSA s'exercera bien a posteriori. Les éditeurs de services de radio et de télévision, à travers les conventions qu'ils auront conclues avec le Conseil, prendront ex ante des engagements visant à garantir l'honnêteté, l'indépendance et le pluralisme de l'information et des programmes et le respect du droit d'opposition des journalistes. C'est seulement ensuite que le CSA sera amené à prononcer des sanctions en cas d'éventuels manquements.
L'Assemblée a également décidé, à l'article 11 bis, que la violation du droit d'opposition des journalistes sera sanctionnée par la suspension, totale ou partielle, des aides publiques aux entreprises de presse. Il en sera de même en cas de violation des obligations de transparence des entreprises de presse, qui sont renforcées par l'article 11.
Pour ce qui est de la garantie, par le CSA, de l'honnêteté, de l'indépendance et du pluralisme de l'information et des programmes qui y concourent, les conventions conclues entre le CSA et les éditeurs de services devront intégrer les mesures à mettre en oeuvre pour garantir le respect de ces principes – c'est l'objet de l'article 3 –, et le non-respect de ces mêmes principes sur plusieurs exercices interdira au CSA de recourir à la procédure de reconduction simplifiée des autorisations d'émission – ainsi en dispose l'article 5.
Quant aux comités relatifs à l'honnêteté, à l'indépendance et au pluralisme de l'information et des programmes, l'Assemblée a rétabli à l'article 7, à mon initiative, le dispositif qui avait le mérite d'asseoir la crédibilité de ces comités en leur permettant d'être consultés pour avis par toute personne et en définissant des règles d'indépendance exigeantes. À l'initiative de M. Stéphane Travert et des membres du groupe SER, la procédure de nomination des membres des comités a été simplifiée, sans que soient pour autant réduites les garanties de leur indépendance.
Enfin, je tiens à rétablir la vérité sur le contenu de l'article 1er ter qui concerne la protection du secret des sources des journalistes, car, contrairement à ce qui a pu être dit ou écrit un peu hâtivement, ces dispositions comportent des avancées considérables par rapport au droit positif.
Premièrement, le champ des bénéficiaires de la protection du secret des sources est étendu. En l'état du droit, le bénéfice de protection est limité aux « journalistes » qui sont actuellement définis comme « toute personne qui, exerçant sa profession dans une ou plusieurs entreprises de presse, de communication au public en ligne, de communication audiovisuelle ou une ou plusieurs agences de presse, y pratique, à titre régulier et rétribué, le recueil d'informations et leur diffusion au public ».
Outre que le dispositif voté élargit la définition du journaliste en cessant d'exiger que ce dernier pratique le recueil d'informations et leur diffusion au public « à titre régulier et rétribué », il étend la protection du secret des sources aux directeurs de la publication ou de la rédaction et aux collaborateurs de la rédaction qui, par leurs fonctions, seraient amenés à prendre connaissance d'informations permettant de découvrir une source.
Deuxièmement, la définition des atteintes indirectes au secret des sources est étendue afin d'y inclure « le fait de chercher à découvrir une source au moyen d'investigations portant sur les archives de l'enquête » d'un journaliste, d'un directeur de la publication ou de la rédaction ou d'un collaborateur de la rédaction.
Troisièmement, le dispositif voté neutralise les moyens de pression indirects sur les journalistes. En effet, les incriminations d'atteinte à l'intimité de la vie privée, de recel du secret professionnel et de recel du secret de l'enquête et de l'instruction peuvent aujourd'hui être abusivement utilisées pour conduire les journalistes à révéler leurs sources. L'article 1er ter offre une immunité pénale aux journalistes qui se rendent coupables de ces délits lorsque la diffusion au public des informations que la commission de ces délits a permis d'obtenir constitue « un but légitime dans une société démocratique ».
Quatrièmement, les motifs susceptibles de justifier une atteinte au secret des sources des journalistes sont plus strictement encadrés. En l'état du droit, l'article 2 de la loi du 29 juillet 1881 définit ces motifs de manière très large puisqu'il autorise une telle atteinte « si un impératif prépondérant d'intérêt public le justifie et si les mesures envisagées sont strictement nécessaires et proportionnées au but légitime poursuivi ». L'imprécision de la notion d'« impératif prépondérant d'intérêt public » et l'excessive marge d'interprétation qu'elle laisse à tous les stades de la procédure affaiblissent considérablement le degré de prévisibilité et la qualité de la protection.
L'article 1er ter que nous avons adopté définit donc plus précisément les motifs pour lesquels il pourrait être légitimement porté atteinte au secret des sources. Il s'agit : de la prévention ou la répression d'un crime ; de la prévention d'un délit constituant une atteinte à la personne humaine puni d'au moins sept ans d'emprisonnement ; de la prévention d'un délit d'atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ou d'acte de terrorisme puni d'au moins sept ans d'emprisonnement, et de la répression d'un des délits précités, lorsque celui-ci est d'une particulière gravité en raison des circonstances de sa préparation ou de sa commission ou en raison du nombre et de la qualité des victimes et des mis en cause, et lorsque l'atteinte est justifiée par la nécessité de faire cesser le délit ou lorsqu'il existe un risque particulièrement élevé de renouvellement de celui-ci.
Par ailleurs, l'Assemblée nationale a maintenu la précision selon laquelle une mesure portant atteinte au secret des sources, directement ou indirectement, ne pouvait être mise en oeuvre « qu'à titre exceptionnel ».
En outre, le dispositif voté prévoit qu'en toute hypothèse « les mesures envisagées qui portent atteinte au secret des sources doivent être strictement nécessaires et proportionnées au but légitime poursuivi » et qu'« il est tenu compte, pour apprécier la nécessité et la proportionnalité, de la gravité des faits, des circonstances de la préparation ou de la commission de l'infraction et du nombre et de la qualité des victimes et des mis en cause ainsi que de l'importance de l'information recherchée pour la répression ou la prévention de cette infraction et de son caractère indispensable à la manifestation de la vérité ». Cette dernière précision reprend la formule figurant déjà à l'article 2 de la loi du 29 juillet 1881.
Enfin, des garanties procédurales nouvelles sont introduites lors de la mise en oeuvre de mesures d'enquête ou d'instruction susceptibles de porter atteinte au secret des sources. Sont ainsi prévues : l'intervention du juge des libertés et de la détention, qui se voit reconnaître la compétence pour autoriser tout acte d'enquête, mais aussi d'instruction susceptible de porter atteinte au secret des sources ; la notification d'un droit au silence avant le début de toute audition ou de tout interrogatoire de tout journaliste, directeur de la publication ou de la rédaction ou collaborateur de la rédaction, lorsqu'il sera entendu au cours d'une enquête de police judiciaire, d'une instruction ou devant une juridiction de jugement, en tant que témoin ou personne suspectée ou poursuivie, sur des informations recueillies dans l'exercice de son activité ; l'alourdissement des sanctions pénales applicables à certaines infractions en cas d'atteinte directe ou indirecte au secret des sources des journalistes – cette atteinte étant érigée en circonstance aggravante.
L'article 1er ter est donc tout sauf un recul par rapport au droit positif : ce recul, c'est le Sénat qui a tenté de l'opérer en supprimant la notion même d'atteinte indirecte au secret des sources. L'Assemblée nationale s'est bien gardée de le suivre dans cette voie.
Ces vérités rappelées, je vous invite, mes chers collègues, à confirmer, en lecture définitive, le vote que nous avons émis en nouvelle lecture.