Intervention de Patrick Bloche

Réunion du 5 octobre 2016 à 9h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPatrick Bloche, président :

Je vous remercie, chères et chers collègues, de vos interventions, auxquelles j'ai été sensible.

Peut-être dois-je rappeler, en préalable, pour répondre en partie à Rudy Salles et à Isabelle Attard, qu'il ne faut pas se tromper quant à l'objet de cette proposition de loi. Le présent texte vise à renforcer la liberté, l'indépendance et le pluralisme des médias, non à lutter contre la concentration. Les deux sujets se croisent, mais ne se recouvrent pas. Le problème de la concentration des médias est avant tout économique. C'est une sorte d'exception française, si je puis dire, qui fait, depuis assez longtemps, que de grands intérêts industriels et financiers, plutôt éloignés du monde des médias, ont investi massivement pour posséder ce que l'on appelle aujourd'hui des empires de presse écrite ou audiovisuelle. Cela vaut aussi bien pour les médias nationaux que régionaux. Ai-je besoin de rappeler le poids du Crédit mutuel ?

Je vous dis cela pour parer à toute déception. Pour avoir, avec beaucoup de collègues ici présents, suivi ces sujets depuis le début de cette législature, je n'ai pas le souvenir qu'un des groupes de notre assemblée ait jamais déposé une proposition de loi visant à proposer le dispositif miracle permettant de lutter contre la concentration des médias…

Nous savons que la presse écrite connaît une crise. En la matière, pour reprendre la fameuse formule de Montesquieu, il faudrait légiférer encore plus que d'une main tremblante, c'est-à-dire sans faire fuir les investisseurs privés, dont la presse écrite a tant besoin pour survivre à la concurrence née sur internet. Personne ici n'aurait l'idée de proposer que ce soit l'État qui finance la presse, même si nous conservons en le réformant – et Michel Françaix pourrait être plus disert que moi sur ce sujet – un dispositif d'aide publique qui permet de nourrir l'exigence de pluralisme.

J'ai lu l'excellent livre de Julia Cagé et participé à de nombreux débats sur la concentration des médias, mais ce n'est pas l'objet de cette proposition de loi. Pour autant, je ne voudrais pas que l'on considère qu'elle ne sert à rien. Au contraire, elle contient nombre de dispositions protectrices pour les journalistes, permettant effectivement que l'information soit traitée à l'abri, si j'ose dire, des interventions liées aux intérêts des annonceurs et, a fortiori, des actionnaires. J'espère que ces dispositions inciteront nos concitoyens à accorder plus de crédibilité à l'information qui leur est servie quotidiennement, quel que soit le média, puisque, vous le savez, la cote de popularité des journalistes n'a rien à envier à la nôtre... Pour qu'il en soit ainsi, l'information doit être indépendante des intérêts de ceux qui possèdent les médias dans notre pays.

Il ne s'agit pas, au moment de répondre à vos légitimes interrogations, de refaire le débat, mais d'apporter rapidement quelques précisions.

Je veux tout d'abord remercier très chaleureusement Stéphane Travert et les élus du groupe Socialiste, écologiste et républicain, auquel revient l'initiative de cette proposition de loi. Les amendements qui ont été adoptés sur la transparence, les dispositifs de sanction, sont autant de verrous qui permettront à la loi de ne pas être une simple déclaration de principe, mais de produire tous ses effets.

Je remercie également chaleureusement Gilda Hobert pour son intervention et je tiens à la rassurer. Si Reporters sans frontières, organisation dont nous saluons l'engagement, a rétrogradé la France de la 38e à la 45e place, c'est moins à cause des politiques publiques qui ont été mises en oeuvre dans notre pays que du fait de certains événements tragiques de l'année 2015, notamment l'attentat terroriste contre Charlie Hebdo. J'espère que le vote de cette proposition de loi permettra à notre pays de remonter dans ce classement l'an prochain.

Cela m'amène à relever ce qu'a dit avec beaucoup de justesse Marie-George Buffet. La France est en effet membre de l'Union européenne. Or, dans nombre de pays membres, la liberté de la presse est menacée, voire remise en cause. J'ai participé, à Zagreb, il y a quelques mois, en tant que président du groupe d'amitié France-Croatie, à un débat pour contribuer à la défense de la liberté de la presse menacée par les initiatives de l'actuel gouvernement de ce pays – et ce qui vaut pour la Croatie vaut pour d'autres pays, comme la Hongrie ou la Pologne.

Madame Duby-Muller, nous n'allons pas « refaire le match », même si j'aurais grand plaisir à le refaire avec vous. En l'occurrence, nous sommes partis d'une intime conviction professionnelle, notion qui, je le rappelle, existe depuis la signature en 1983 d'un avenant à la convention nationale collective des journalistes, que le Sénat lui-même a souhaité renforcer en l'intégrant dans la loi en 2009. Cette notion d'intime conviction professionnelle, que nous avons réduite à la simple conviction professionnelle pour qu'il n'y ait aucune ambiguïté, existe déjà depuis longtemps et n'a généré aucun contentieux particulier. Comment se dire que l'on peut accorder aux journalistes de l'audiovisuel public des dispositions protectrices qui ne vaudraient pas pour tous les journalistes, notamment pour les journalistes des médias privés ? Notre démarche est donc avant tout d'élargir des dispositions protectrices qui existent déjà dans la loi.

Nous n'allons pas non plus refaire le débat sur le CSA. Cela dit, je tiens à corriger les inexactitudes de l'intervention de Rudy Salles. Notre collègue ne peut pas dire que le CSA est composé de membres qui n'ont aucune compétence professionnelle, puisque nous avons collectivement voulu, au contraire, par la loi du 15 novembre 2013 sur l'indépendance de l'audiovisuel public, professionnaliser ses membres tout en évitant qu'il y ait surreprésentation des journalistes – ce qui, à un moment, avait été caricaturalement le cas, et qui ne l'est plus.

On peut penser ce que l'on veut du CSA, mais je rappelle que, depuis la loi de 2013 les deux membres de cet organisme qui sont renouvelés tous les deux ans, l'un par l'Assemblée nationale, l'autre par le Sénat, doivent faire l'objet d'un consensus entre la majorité et l'opposition, puisque le choix qui nous est proposé par le président de chaque assemblée doit être validé à la majorité des trois cinquièmes, ce qui implique que l'opposition l'approuve.

J'ai trouvé par ailleurs que Rudy Salles avait une vision quelque peu « bisounours » de ce qui se passe actuellement dans les médias. Comme l'a rappelé avec beaucoup de pertinence Michel Françaix, il est nécessaire que le législateur intervienne, aussi bien pour les entreprises solidaires de presse – à cet égard, nous avons intégré ses excellents amendements – qu'en ce qui concerne la transparence. Marie-George Buffet s'est demandé si une charte unique n'eût pas été préférable ; encore faudrait-il qu'il y ait accord entre ceux qui représentent les éditeurs et les journalistes dans l'ensemble des secteurs de la presse, et il faut bien avouer que ce n'est guère réaliste. C'est pourquoi nous avons choisi, avec pragmatisme, par souci d'efficacité, de faire la révolution média par média – et je ne pense pas que Michel Françaix ait parlé de la presse quotidienne régionale par hasard… Les représentants des journalistes et la direction de chaque média de la presse écrite, de la presse audiovisuelle, de la presse en ligne, seront face à face, d'ici le 1er juillet 2017, pour échanger, discuter, négocier une charte des droits et des devoirs, dans laquelle chacun pourra se retrouver, aussi bien les directions, puisqu'il ne s'agit pas de remettre en cause leur responsabilité concernant notamment la fixation de la ligne éditoriale, que les journalistes. C'est sur ces chartes que sera assise la notion de « conviction professionnelle » évoquée tout à l'heure.

Enfin, la présente proposition de loi a été médiatiquement évoquée pour les amendements que nous y avons intégrés sur la protection du secret des sources des journalistes. Je ne referai pas l'exposé par lequel j'ai tenté de prouver, point par point, combien le droit avait progressé de manière positive entre la loi du 4 janvier 2010, dite « loi Dati », et le texte sur lequel nous serons appelés à voter demain matin. Bien sûr, on peut toujours faire mieux, mais il ne faut pas oublier l'essentiel.

Lorsque nous avons adopté en première lecture cette proposition de loi, le 8 mars dernier, et que nous y avons intégré l'article 1er ter sur la protection du secret des sources des journalistes – à cet égard, je tiens à saluer Michel Pouzol et Marie-Anne Chapdelaine pour le rôle décisif qu'ils ont joué – tout le monde a applaudi et considéré que nous étions les « rois du monde ». En nouvelle lecture, le 18 juillet, les députés de la majorité, qui ont peut-être une responsabilité plus particulière que les autres, ont refusé la plupart des amendements présentés – notamment par le Gouvernement – pour n'en retenir qu'un seul : celui de Mme Adam et de M. Bridey qui vise à protéger l'identité des membres des unités des forces spéciales. Je ne puis donc laisser dire que cette simple modification, liée à une actualité que je n'ai pas besoin de rappeler, constitue une régression catastrophique et qu'il aurait mieux valu en rester à la loi Dati ! Je vous avoue ma totale incompréhension, dès lors que l'essentiel, ce qui fait que notre démocratie progressera, a été maintenu. J'invite donc tous les esprits éclairés à se ressaisir et à s'approprier une matière, certes complexe juridiquement, mais qui justifiera que l'on dise que nous avons fait oeuvre utile pour la liberté de la presse et la démocratie dans notre pays.

Mes chers collègues, j'ai été beaucoup trop bavard, mais je souhaitais apporter les réponses nécessaires aux vraies et bonnes questions que vous avez posées.

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