Intervention de Didier Migaud

Réunion du 11 octobre 2016 à 16h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Didier Migaud, Premier, président de la Cour des comptes :

Je me réjouis moi aussi de présenter pour la première fois aux commissions des finances et des lois, dans le cadre d'une réunion commune, notre rapport annuel sur les finances publiques locales – le quatrième. Cette année, comme l'année dernière, ce rapport est remis au Gouvernement et au Parlement en application des dispositions de la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe).

À mes côtés, pour vous le présenter, se trouvent Henri Paul, président de chambre et rapporteur général de la Cour, et Christian Martin, président de la formation interjuridictions chargée de l'élaboration du rapport ; nous sommes également accompagnés de Perrine Biéchy, rapporteure générale auprès de cette formation, et de plusieurs rapporteurs de la Cour et des chambres régionales des comptes parmi tous ceux, nombreux, qui ont travaillé à préparer le rapport.

Chaque année, les juridictions financières rendent publics plusieurs centaines de rapports faisant état de leurs contrôles des administrations publiques locales. Des enquêtes conjointes de la Cour des comptes et des chambres régionales et territoriales des comptes permettent par ailleurs d'éclairer la gestion locale sous des angles transversaux et font l'objet de rapports publics.

Le rapport que nous publions aujourd'hui s'appuie sur ces travaux et les prolonge. Pour ce faire, il se fonde sur les éléments suivants : des observations à partir des outils d'analyse des données comptables et financières des collectivités, qui nous permettent d'apprécier la diversité des situations locales et d'anticiper leurs évolutions ; des instructions conduites dans 130 collectivités situées dans treize régions, qui alimentent notamment un chapitre sur la fonction publique territoriale ; enfin, le contrôle par la Cour des administrations d'État compétentes et son dialogue nourri avec les associations nationales des collectivités.

Rappelons que les finances locales sont une composante majeure des finances publiques de notre pays. En 2015, les dépenses des administrations publiques locales s'élevaient à 249 milliards d'euros, ce qui représente 20 % du montant total des dépenses publiques. Par ailleurs, les administrations locales bénéficient de transferts financiers de l'État qui ont dépassé, en 2015, les 103 milliards d'euros. C'est la raison pour laquelle – vous l'avez rappelé, monsieur le président – le redressement des comptes publics auquel la France s'est engagée suppose nécessairement la maîtrise de leurs finances par les collectivités territoriales.

Dans ce rapport, la Cour formule trois constats principaux et se penche sur un enjeu de gestion majeur pour toutes les collectivités territoriales.

Premièrement, en 2015, la situation financière globale des collectivités territoriales s'est améliorée. Les collectivités ont contribué à l'amélioration du solde public national, grâce à des mesures d'économies de dépenses et au dynamisme de la fiscalité locale.

Deuxièmement, cette amélioration d'ensemble recouvre des situations diverses selon les catégories de collectivités territoriales, et à l'intérieur même de ces catégories.

Troisièmement, la poursuite nécessaire de ces efforts de gestion devra reposer sur un pilotage budgétaire plus efficace, fondé sur une plus grande prévisibilité des ressources et sur une concertation mieux organisée avec l'État. La gestion de la fonction publique territoriale constitue certainement un levier essentiel de la maîtrise des dépenses locales et un moyen d'accroître l'efficacité et l'efficience de l'action publique locale.

Le premier message formulé dans ce rapport est le suivant : en 2015, les collectivités territoriales ont mieux maîtrisé l'évolution de leurs dépenses et ont bénéficié d'une fiscalité locale dynamique. Elles ont ainsi contribué à l'amélioration du solde public national.

Tout d'abord, les contraintes financières pesant sur les ressources des collectivités territoriales ne se sont que modérément durcies en 2015, dans un contexte dynamique pour la fiscalité locale.

L'année dernière, la Cour avait constaté que la baisse de 1,5 milliard d'euros des dotations de l'État en 2014, conjuguée au ralentissement des ressources fiscales, s'était traduite par un renforcement de la contrainte financière pesant sur les collectivités. En 2015, la baisse des dotations de l'État a été nettement plus marquée puisqu'elle a représenté 3,7 milliards d'euros. L'ensemble des concours financiers de l'État, qui inclut les prélèvements sur recettes, ont diminué de 6,8 % en 2015, soit environ 3,9 milliards d'euros.

Le fait que la contrainte financière pesant sur les collectivités ne se soit pourtant durcie que modérément peut s'expliquer par deux éléments. Tout d'abord, l'accélération de la baisse des dotations a été partiellement compensée par la hausse des dotations de péréquation en faveur des collectivités les moins favorisées financièrement, à hauteur de 327 millions d'euros, et par une augmentation de 9 % – soit 2,9 milliards d'euros – de la fiscalité transférée par l'État aux départements et aux régions.

Ensuite, les collectivités ont bénéficié en 2015 de recettes fiscales en plus forte hausse. Un ralentissement de la fiscalité des ménages et une stabilité de la fiscalité économique avaient été observés en 2014. À l'inverse, les produits des impôts directs se sont accrus de 5,9 milliards d'euros en 2015. Cela constitue la plus forte progression depuis la réforme de la fiscalité locale de 2011.

Au total, le solde résultant de la progression des ressources fiscales et de la baisse des concours financiers de l'État est resté pratiquement inchangé en 2015 par rapport à l'année précédente, autour de 2 milliards d'euros.

Je rappellerai ici un message récurrent des juridictions financières : il est souhaitable que la baisse des concours financiers de l'État aux collectivités s'accompagne d'une meilleure maîtrise des dépenses de fonctionnement et d'une sélection plus exigeante des investissements, plutôt que d'une augmentation des impôts locaux. Ce principe de bonne gestion semble avoir été respecté par une majorité de collectivités depuis 2012. La baisse des concours de l'État en 2014 et 2015 n'a pas conduit les communes et les intercommunalités, prises globalement, à rehausser sensiblement les taux de leurs impôts locaux, même si des exceptions peuvent être relevées. La progression des produits fiscaux est venue d'un accroissement spontané des bases des impôts, ainsi que de la revalorisation votée annuellement par le Parlement – laquelle est supérieure à l'inflation –, davantage que d'une augmentation des taux.

En 2015, ce dynamisme des recettes fiscales s'est conjugué avec une baisse globale des dépenses des collectivités, ce qui a donné lieu à une amélioration de leur situation financière globale. Les données de la comptabilité budgétaire montrent ainsi que, en 2015, les dépenses des collectivités territoriales ont reculé de 0,9 % ; elles ont également reculé en comptabilité nationale.

Les efforts de gestion des collectivités ont commencé à produire des résultats perceptibles. Le rythme de leurs dépenses de fonctionnement a diminué grâce à des baisses d'achats de biens et de services ainsi que de subventions versées. Le rythme des dépenses de personnel a été divisé par trois, déduction faite de l'effet des décisions prises au plan national touchant la fonction publique. Même si leur épargne a cessé de diminuer, elles ont encore réduit leurs dépenses d'investissement.

La situation financière des collectivités territoriales s'est donc améliorée dans l'ensemble, ce qui n'est pas contradictoire avec une augmentation de la quantité de départements rencontrant des difficultés, ni avec le fait qu'un certain nombre de collectivités territoriales se trouve toujours dans une situation très sensible.

Dans ce contexte, comme l'a relevé la Cour dans son rapport de juin 2016 sur la situation et les perspectives des finances publiques, les administrations publiques locales ont contribué pour plus de moitié à la réduction du déficit public national.

Si la Cour constate ainsi une amélioration globale, les situations diffèrent selon la nature des collectivités. C'est le deuxième message du rapport.

L'évolution de la situation financière a été globalement plus favorable pour les communes et les groupements intercommunaux. Au-delà des transferts de compétences qui se sont poursuivis, notamment avec la mise en place des nouvelles métropoles, des efforts de gestion ont trouvé une traduction concrète. Combinés à la reprise des recettes fiscales, ils ont permis aux collectivités du bloc communal, prises dans leur ensemble, d'interrompre l'effet de ciseaux constaté les années précédentes, et d'accroître leur épargne après deux années de diminution importante.

En revanche, les départements, dont les dépenses sociales ont connu une évolution toujours dynamique, bien que ralentie, ont seulement pu freiner l'érosion de leur épargne. Ce résultat est d'abord dû au dynamisme accru de leurs produits fiscaux, notamment des droits de mutation à titre onéreux (DMTO), qui a plus que compensé la baisse de la DGF. Pour les départements, l'année 2015 s'est aussi caractérisée par le ralentissement de certaines charges de fonctionnement – notamment les dépenses de personnel – et par la baisse de certaines autres – les achats de biens et de services, les subventions versées.

Enfin, les régions ont globalement connu l'évolution la plus défavorable. Leur épargne brute a continué de se dégrader pour la troisième année consécutive. À la différence des autres catégories de collectivités, elles ont investi davantage. Elles ont cependant bénéficié de la croissance retrouvée de leurs recettes de fonctionnement, malgré la baisse de la DGF. Cette marge de manoeuvre a été plus que compensée par l'accélération des dépenses de fonctionnement due, en grande partie, aux nouvelles compétences transférées par l'État. Même si la progression des subventions versées et des autres charges de gestion courante s'est accentuée, celle de la masse salariale et des achats s'est ralentie.

Je le répète : globalement, l'évolution de la situation financière des collectivités territoriales en 2015 montre que de réels efforts de gestion ont été entrepris et qu'ils commencent à porter leurs fruits.

Il reste toutefois un sujet à propos duquel il convient d'être vigilant : bien que la réduction de leurs investissements se soit poursuivie, les trois catégories de collectivités ont continué à s'endetter, étant entendu que les collectivités ne peuvent emprunter, donc s'endetter, que pour investir – à la différence de l'État qui, lui, emprunte pour ses dépenses courantes, comme la sécurité sociale.

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