Intervention de Didier Migaud

Réunion du 11 octobre 2016 à 16h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Didier Migaud, Premier, président de la Cour des comptes :

En effet, il n'y en a pas beaucoup, et nous le disons. Mais il y en a tout de même un peu !

Cela étant, l'investissement n'est pas vertueux en lui-même ; nous le répétons régulièrement. Il l'est quand il répond à un besoin collectif, lorsqu'y préside le souci de l'efficacité et de l'efficience, et dès lors que les dépenses de fonctionnement qu'il entraîne ont été correctement anticipées. Or, dans ses rapports publics, la Cour évoque traditionnellement des investissements qui se révèlent beaucoup plus coûteux que prévu.

De grandes disparités entre les situations sont également à relever au sein de chaque catégorie de collectivité. Le rapport de la Cour en fournit de nombreux exemples. L'effet de la baisse de la DGF est loin d'être uniforme et les efforts de gestion ne sont pas également répartis.

La proportion des communes en grave difficulté financière n'a pas augmenté en 2015, mais elle demeure préoccupante. Par exemple, 77 villes de 20 000 à 50 000 habitants, soit 23 % du total, et 4 villes de plus de 100 000 habitants sur 39 ont affiché une épargne nette négative. Le nombre des départements qui connaissent une situation financière délicate est en hausse. Ainsi, en 2015, huit départements présentaient une capacité d'autofinancement négative, au lieu de cinq l'année précédente – qui sont demeurés dans cette situation pour la deuxième année consécutive.

En outre, l'amélioration globale, quoique contrastée, que l'on observe en 2015 pourrait ne pas se poursuivre en 2016. Trois constats expliquent la prudence de la Cour sur ce point.

Premièrement, l'exercice prospectif conduit dans le cadre du rapport montre que les collectivités vont subir un durcissement de la contrainte pesant sur leur gestion, du fait d'une baisse plus forte – de 2,9 milliards d'euros – de l'ensemble des transferts financiers de l'État, et peut-être d'un moindre dynamisme de leurs recettes fiscales.

Par ailleurs, leurs dépenses de fonctionnement devront intégrer les conséquences financières des mesures prises au niveau national touchant non seulement la fonction publique, mais aussi l'organisation territoriale : le regroupement des régions, le resserrement de la carte intercommunale, la création de treize métropoles, les prochains transferts de compétences des départements aux régions.

Enfin, la reprise de l'investissement local, rendue possible par un effet de cycle au sein du bloc communal, ne sera vraisemblablement pas sans conséquence sur la situation financière des collectivités territoriales et de leurs groupements.

Dans ce contexte, la Cour recommande de nouveau aux collectivités de poursuivre leurs efforts de maîtrise des dépenses de fonctionnement. Il s'agit en effet du principal levier dont elles disposeront pour préserver leur capacité d'autofinancement.

J'en viens au troisième message : la recherche d'un pilotage budgétaire plus efficace de la part des collectivités devra s'appuyer sur la prévisibilité accrue de leurs ressources et sur une concertation mieux organisée avec l'État.

Chaque année, au-delà de nos observations générales sur la situation et les perspectives des finances locales, nous apportons un éclairage spécifique sur plusieurs points qui le nécessitent. Cette année, j'insisterai notamment sur les marges de manoeuvre que la Cour a mises en évidence concernant la gestion de la fonction publique territoriale.

Un pilotage efficace de l'équilibre budgétaire des collectivités territoriales nécessite que ces dernières puissent disposer de ressources prévisibles, notamment fiscales. Or les impôts locaux présentent – vous avez évoqué cet aspect, messieurs les présidents – d'importants défauts qui en limitent l'équité, la lisibilité et in fine la prévisibilité. Trois exemples de lacunes sont détaillés dans le présent rapport.

Le premier est l'obsolescence des valeurs locatives cadastrales, qui permettent notamment de calculer la taxe foncière et la taxe d'habitation, et qui n'ont pas été révisées depuis les années 1970. Depuis 2010, une réforme de ce système est engagée, qui reste inaboutie.

Le deuxième exemple est l'opacité du système extrêmement complexe des exonérations législatives d'impôts locaux et de leurs compensations par l'État. Excepté pour la taxe d'habitation, les compensations versées aux collectivités diminuent selon un rythme difficilement prévisible pour celles-ci. Il est vrai que c'est souvent ainsi qu'elles sont conçues : comme une variable d'ajustement.

Le dernier exemple est l'instabilité du produit de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), qui constitue une part significative des produits de fonctionnement des collectivités. Le produit de cet impôt subit des fluctuations fortes et imprévisibles qui affectent les exercices de prévision budgétaire.

Forte de ces constats, la Cour formule plusieurs recommandations pour appeler l'État à remédier rapidement au manque de transparence affectant certaines composantes de la fiscalité locale.

Un nouveau cadre de dialogue entre l'État et les collectivités territoriales doit être instauré pour anticiper la contribution de ces dernières au redressement des comptes publics. Actuellement, la trajectoire financière des collectivités fait l'objet de prévisions peu étayées et non concertées. Ce constat s'applique à la fois au programme de stabilité 2016-2019, qui a fixé pour objectif l'équilibre des comptes des administrations publiques locales en 2016, et à l'objectif d'évolution de la dépense locale (ODEDEL), qui ne prévoit pas en 2016 de nouveau ralentissement des charges de fonctionnement des collectivités territoriales. Les collectivités territoriales ne sont toujours pas associées à la définition de ces deux éléments de programmation, alors même que le programme de stabilité organise leur trajectoire financière sur plusieurs années.

Par ailleurs, afin de donner plus de portée à l'ODEDEL, un document budgétaire pourrait être annexé à la loi de règlement, qui analyserait les écarts entre les prévisions et les réalisations. Les progrès accomplis en ce sens étant très limités, le rapport de 2016 reprend des constats et des recommandations déjà formulés les années précédentes.

La concertation entre l'État et les collectivités territoriales à propos des objectifs d'évolution des dépenses, de recettes, de solde et d'endettement reste encore trop peu formalisée, ce qui nous distingue de plusieurs pays européens. Aussi la Cour recommande-t-elle l'organisation d'une concertation approfondie sur la trajectoire-cible des finances publiques locales au sein d'une instance associant des représentants de l'État et des collectivités territoriales. Cette instance pourrait être le nouvel observatoire des finances et de la gestion publique locales prévu par la loi NOTRe. En tout état de cause, quel que soit le cadre retenu – cela relève de votre responsabilité –, l'État devrait partager plus systématiquement les informations financières dont il dispose en la matière.

De plus, la Cour réitère, en la précisant, sa recommandation d'une loi de financement des collectivités territoriales. Cette loi, qui n'aurait pas un caractère prescriptif pour les collectivités, rassemblerait en un texte unique l'ensemble des dispositions ayant un effet sur les prévisions de dépenses, de recettes et de solde. Elle intégrerait par exemple l'impact budgétaire des « normes », c'est-à-dire des décisions prises au plan national et qui peuvent peser sur les budgets des collectivités, ainsi que celui des mesures nouvelles adoptées en loi de finances initiale en matière de transferts financiers de l'État ou de fiscalité locale. L'élaboration de ce projet de loi de financement serait au centre de la concertation entre l'État et les collectivités territoriales.

Une meilleure gestion de la fonction publique territoriale constitue aussi une piste majeure d'économie de dépenses et un moyen d'accroître l'efficacité et l'efficience de l'action publique locale.

La gestion de la fonction publique territoriale présente un caractère ambivalent. D'un côté, la fonction publique territoriale s'inscrit dans le cadre des statuts nationaux en vertu du principe de parité entre les fonctions publiques, de sorte que l'État peut engager les collectivités par certaines décisions, par exemple concernant le point d'indice. De l'autre, la gestion de cette fonction publique relève de l'entière responsabilité des collectivités territoriales, conformément au principe de leur libre administration, inscrit dans la Constitution.

Avec près de deux millions d'agents à la fin de l'année 2014, la fonction publique territoriale représente plus d'un tiers des effectifs totaux de la fonction publique. Le rapport étudie deux enjeux relatifs à sa gestion : les marges de manoeuvre envisageables et le pilotage du suivi de cette gestion.

Aux yeux des juridictions financières, les marges de manoeuvre budgétaires sont importantes. De 2008 à 2015, les dépenses de personnel des administrations publiques locales sont passées de 64 à 79 milliards d'euros. Cette forte progression – de 23 % – explique plus de la moitié de l'augmentation totale des dépenses des collectivités au cours de cette période. À plus long terme, les dépenses de personnel des administrations publiques locales ont progressé nettement plus vite que celles de l'État et de ses opérateurs ou des administrations de sécurité sociale.

Le rapport dessine plusieurs pistes d'économies, en s'appuyant notamment sur les observations issues des contrôles opérés en 2015 par les chambres régionales et territoriales des comptes sur la base d'un échantillon de 130 collectivités territoriales et groupements intercommunaux.

De 2002 à 2013, les effectifs de la fonction publique territoriale ont augmenté de 27,5 %, ce qui représente 405 000 agents supplémentaires. Plus de la moitié – 243 000 – se trouvent dans le secteur communal, qui, à la différence des départements et des régions, n'a pourtant pas fait l'objet de nouveaux transferts de compétences de la part de l'État.

Des observations des chambres régionales et territoriales des comptes, il semble ressortir que, sous la pression de la baisse accélérée des dotations de l'État, les collectivités territoriales ont engagé des efforts de gestion de leur masse salariale pouvant passer par une meilleure maîtrise de leurs effectifs. Il importe, pour que cette démarche soit durable et efficace, de remédier à des faiblesses de gestion qui ont favorisé l'évolution observée jusqu'à aujourd'hui : une évaluation non méthodique des besoins ; un suivi imprécis des ressources humaines ; une gestion prévisionnelle encore insuffisamment développée ; des mutualisations à approfondir au sein des ensembles intercommunaux ; un remplacement des départs à la retraite qui reste trop souvent systématique malgré ces constats.

La gestion du temps de travail devrait être plus rigoureuse. La durée annuelle de travail est encore trop souvent inférieure à la durée réglementaire. Cela dit, les juridictions financières font le même constat à propos de la fonction publique hospitalière, et de la fonction publique d'État dans certaines administrations. En revanche, l'absentéisme est plus élevé dans la fonction publique territoriale que dans les deux autres. Toutefois, les chambres régionales des comptes observent l'amorce d'un mouvement de rattrapage. De bonnes pratiques émergent, comme la suppression d'heures supplémentaires forfaitisées irrégulièrement utilisées comme compléments de rémunération dans certaines collectivités, ou l'annualisation de la durée du travail dans des services connaissant une variation saisonnière de leur activité.

L'impact budgétaire de la gestion des carrières doit être davantage pris en considération. Les collectivités territoriales pratiquent trop systématiquement l'avancement d'échelon à la durée minimale prévue par les textes. De même, la gestion des avancements de grade reste insuffisamment modulée en fonction de la valeur professionnelle des agents. Les collectivités territoriales ne régulent qu'exceptionnellement leur politique d'avancement de grade ou d'échelon en fonction d'objectifs de maîtrise de leur masse salariale.

En outre, selon les observations des chambres régionales, les régimes indemnitaires sont dynamiques et faiblement modulés.

Dans ces différents domaines, la Cour formule des recommandations pour inciter les collectivités territoriales à se doter de méthodes et d'outils permettant une gestion plus performante de leurs ressources humaines.

Au plan national, enfin, le suivi de la gestion de la fonction publique territoriale devrait être mieux piloté. Dès lors que la contribution des collectivités territoriales au redressement des comptes publics passe particulièrement par une meilleure maîtrise de leurs dépenses de personnel, il importe en effet de suivre de manière précise et rapprochée l'évolution des pratiques de gestion et leurs incidences budgétaires.

Différents acteurs sont chargés à des titres divers de suivre l'évolution de la fonction publique territoriale : l'Insee (Institut national de la statistique et des études économiques), la direction générale de l'administration et de la fonction publique (DGAFP), la direction générale des collectivités locales (DGCL), le Conseil supérieur de la fonction publique territoriale (CSFPT), les centres de gestion et leur fédération nationale. Cette multiplicité d'acteurs et de dispositifs de suivi a très souvent pour effet un manque de complémentarité et de coordination. En termes statistiques, malgré les progrès accomplis grâce à l'action coordonnée par la DGAFP, tous les champs ne sont pas couverts et les évolutions en cours ne sont pas suffisamment analysées du point de vue qualitatif. Un guide des bonnes pratiques de gestion des ressources humaines a été réalisé pour recenser les démarches innovantes dans les ministères, mais il n'en existe aucun équivalent dans la fonction publique territoriale. Les juridictions financières recommandent que le pilotage du suivi de la gestion des agents territoriaux soit confié à une instance unique constituée des représentants des services centraux et des collectivités territoriales.

En conclusion, la Cour a pu noter des signes d'évolution positive des finances publiques locales en 2015. Elle appelle l'attention, d'une part, sur l'hétérogénéité des situations selon le niveau des collectivités territoriales concernées ; d'autre part, sur le risque que les évolutions positives ne se poursuivent pas en 2016.

Des efforts restent nécessaires à la poursuite du redressement des finances publiques dans leur ensemble. Certains ont été engagés dans de nombreuses collectivités territoriales, ce qui montre que des améliorations sont possibles. Le rapport comporte de nombreux exemples de bonnes pratiques qui continuent de se diffuser, y compris en matière de gestion de la fonction publique territoriale.

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