Intervention de Marisol Touraine

Réunion du 11 octobre 2016 à 17h00
Commission des affaires sociales

Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé :

Ce cinquième PLFSS du quinquennat que j'ai l'honneur de vous présenter est l'occasion à la fois d'engager des politiques et des réformes pour 2017, de mesurer le chemin parcouru et d'apprécier l'évolution de la sécurité sociale depuis notre première rencontre, ici, à l'automne 2012.

La sécurité sociale, dans l'imaginaire collectif des Français, c'est un déficit que l'on n'arrive pas à combler. Or, aujourd'hui, le redressement des comptes sociaux est une réalité. Il fallait faire des efforts ; nous les avons assumés et ils ont payé. Cependant, nous avons toujours fait preuve d'un volontarisme permanent au regard du progrès social, de l'amélioration de la prise en charge ou de l'accompagnement de nos concitoyens.

Les chiffres, vous les connaissez puisque vous m'interpellez régulièrement à ce propos depuis la commission des comptes de la sécurité sociale. Je veux rappeler que lorsque nous sommes arrivés aux responsabilités, le régime général de la sécurité sociale, qui recouvre les quatre branches de celle-ci, perdait 17,5 milliards d'euros. À la fin de l'année, ce chiffre devrait être d'environ 3,5 milliards d'euros, contre les 5 milliards qui avaient été prévus lors de la dernière commission des comptes de la sécurité sociale. Grâce aux mesures dont nous poursuivrons ou engagerons la mise en oeuvre en 2017, nous devrions réduire le déficit à 400 millions d'euros – mais, comme chaque année nos résultats sont meilleurs que les objectifs fixés, n'excluons pas la possibilité que le déficit soit encore inférieur. Quand bien même le résultat ne serait que conforme à l'objectif, ce n'en serait pas moins un redressement spectaculaire : 400 millions d'euros de déficit, par rapport à un budget de près de 500 milliards d'euros ! C'est la première fois que nous nous trouvons dans cette situation depuis 2001. Non seulement nous réduisons les déficits – des quatre branches de la sécurité sociale, seule l'assurance maladie sera encore en déficit – mais, depuis 2015, nous réduisons la dette pour la première fois : en 2017, la dette de la Caisse d'amortissement de la dette sociale (CADES) et de l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS) se situera en deçà de son niveau de 2011 – de 148 milliards d'euros, elle sera ramenée à 140 milliards.

Dans ce contexte, c'est un message de confiance que nous devrions envoyer à nos concitoyens, et ce de manière collective. Or certaines déclarations me rendent perplexe. Sur les bancs de l'opposition, j'entends les uns contester ce rétablissement, les autres l'imputer à leurs propres réformes, quand ce n'est pas les deux à la fois. Quelle n'a pas été ma surprise, par ailleurs, en lisant dans la presse des commentaires sur ce que serait le déficit si nous n'avions pas mené des réformes de réduction des dépenses : la réduction du déficit n'en serait pas une, car les dépenses pour les médicaments diminuent et les dépenses pour les soins de ville sont maîtrisées. Mais le propre d'une politique de réduction des déficits, c'est aussi d'engager des réformes de structure, c'est-à-dire de réduction des coûts. Et c'est ce que nous faisons !

J'entends aussi expliquer que c'est à la réforme des retraites de 2010 que l'on devrait l'actuel redressement des comptes. Non seulement personne n'a jamais contesté la contribution de cette réforme – dont je continue de contester le principe –, mais je peux vous en donner l'estimation officielle. La réforme des retraites de 2010 a rapporté, entre 2012 et 2017, 11 milliards d'euros. Néanmoins, il faut retrancher de ce montant les dépenses supplémentaires induites par cette réforme : alors qu'elles auraient dû partir à la retraite, entre 120 000 et 150 000 personnes de plus sont passées en invalidité, représentant un surcoût de 1,2 à 1,5 milliard d'euros pour les budgets de l'invalidité ; alors qu'elles auraient dû partir à la retraite, 80 000 personnes supplémentaires ont eu recours aux minima sociaux – revenu de solidarité active (RSA), allocation adulte handicapé (AAH), allocation spécifique de solidarité (ASS) –, soit un surcoût de 640 millions d'euros. À la suite de cette réforme aussi, le nombre de chômeurs âgés de soixante et soixante et un ans indemnisés par l'Unédic a plus que doublé : 50 000 chômeurs indemnisés de plus. On ne peut donc considérer que les économies engendrées par cette réforme soient seules à l'origine du rétablissement des comptes de la sécurité sociale. Les réformes menées par le Gouvernement depuis 2012, elles, ont amélioré le solde des comptes de 39 milliards d'euros au total, ce qui nous permet d'annoncer aujourd'hui ces résultats pour l'année prochaine.

Réforme des retraites de 2014, meilleure prise en compte des revenus des familles pour les prestations familiales, amélioration de la pertinence des actes, maîtrise du coût des médicaments, virage ambulatoire, efficacité de la dépense hospitalière, telles sont les réformes structurelles que nous avons engagées, qui ont eu des résultats utiles et intéressants. Pour autant, celles-ci n'ont pas empêché la progression, dans le même temps, de la qualité de l'accompagnement : pour nous, l'équilibre de la sécurité sociale n'est pas l'ennemi des droits sociaux, au contraire.

Le projet que nous vous présentons aujourd'hui s'inscrit dans la continuité de ce qui a été fait depuis 2012 tout en poursuivant l'amélioration de la prise en charge et de l'accompagnement de nos concitoyens.

Dans la poursuite de la modernisation de notre système de retraite, le compte personnel de prévention de la pénibilité est aujourd'hui une réalité ancrée dans notre paysage social ; le droit opposable à la retraite garantit à toute personne qui prend sa retraite qu'elle pourra la percevoir dans un délai limité ; les petites retraites agricoles ont été revalorisées. En 2017, nous poursuivrons, en facilitant la transition entre emploi et retraite, grâce à l'extension de la retraite progressive qui pourra désormais concerner les salariés qui ont plusieurs employeurs.

Nous poursuivons aussi la modernisation de la politique familiale qui, depuis 2012, a été adaptée aux changements de la société, à la nouvelle réalité des familles, pour leur meilleure prise en charge, un meilleur accompagnement des familles les plus pauvres et des familles monoparentales. C'est ainsi que nous avons très fortement revalorisé, à partir de 2012, les allocations qui leur sont destinées – jusqu'à 1 000 euros de plus par famille et par an – et que nous avons développé les solutions d'accueil des jeunes enfants.

Avec ce PLFSS, la protection des familles lors des séparations sera renforcée. Depuis le 1er avril dernier, la garantie contre les impayés de pension alimentaire, expérimentée depuis le milieu de l'année 2015, a été généralisée. Nous approfondissons cette action en créant une agence nationale de recouvrement des impayés de pension alimentaire. Ce projet de loi prévoit, par ailleurs, de favoriser la garde des enfants à domicile ou chez des assistantes maternelles. Aujourd'hui, les familles doivent faire l'avance des cotisations avant de recevoir le complément de garde. Ce circuit de paiement sera revu pour éviter que l'avance de ces frais ne pèse sur le budget des familles. Cette mesure de simplification doit, par ailleurs, soutenir l'emploi déclaré.

Nous poursuivons l'action engagée depuis 2012 pour améliorer la protection sociale des indépendants en continuant à alléger et rendre plus justes leurs cotisations sociales, en poursuivant l'amélioration du fonctionnement du recouvrement de leurs cotisations par les unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (URSSAF) et le régime social des indépendants (RSI) et en permettant à une partie des professions libérales non réglementées d'améliorer leur couverture retraite et de bénéficier d'indemnités journalières.

Nous poursuivons l'action de transformation engagée par la loi de modernisation de notre système de santé. D'abord, en confortant la priorité qu'est la prévention. Nous renforçons ainsi la politique de réduction des risques, notamment pour les usagers de substances psychoactives. Les missions des centres d'accueil et d'accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogues (CAARUD) seront élargies pour permettre à ceux-ci de dispenser des médicaments en lien avec leur mission. Nous prolongeons, par ailleurs, la politique de lutte contre le tabagisme en alignant la fiscalité applicable au tabac à rouler sur celle des cigarettes. Parce que l'industrie du tabac a bénéficié à plein des hausses de prix décidées avant 2012 sans qu'il y ait eu hausse de la fiscalité, nous mettons en place une contribution sur le chiffre d'affaires des fournisseurs agréés par les fabricants de tabac. Le rendement de cette contribution, de l'ordre de 130 millions d'euros par an, sera en partie affecté au fonds de lutte contre le tabagisme, dont l'existence sera consacrée dans la loi.

Pour conforter notre engagement en faveur de la démocratie sanitaire et de la reconnaissance du rôle des usagers et des patients, ce projet de loi crée un fonds pour la démocratie en santé, qui permettra de sanctuariser par la loi les financements de l'Union nationale des associations agréées d'usagers du système de santé (UNAASS). Ces fonds seront triplés, ce qui témoigne d'un engagement sans précédent.

Ce PLFSS consacre une nouvelle étape dans notre soutien à l'innovation. L'accélération de l'innovation thérapeutique est un défi lancé à notre système de santé comme à l'ensemble des systèmes de santé dans le monde. Il s'agit de concilier le développement de traitements thérapeutiques radicalement innovants, dits « de rupture », avec la soutenabilité de nos systèmes de santé. Des traitements innovants qui seraient si chers qu'ils ne pourraient être achetés, ce ne serait pas soutenable économiquement ni supportable moralement. Au-delà des actions engagées au niveau international, dans le cadre du G7, nous instaurons de nouvelles manières de les prendre en charge au niveau national.

Avec ce PLFSS, nous mettons en place des mécanismes de régulation et un financement approprié pour amortir les dépenses d'innovation. D'abord, nous renforçons la capacité pour l'assurance maladie de négocier les prix en sortie d'autorisation temporaire d'utilisation (ATU) dans des conditions équilibrées. Ensuite, nous créons, et dotons financièrement, un fonds de financement des innovations qui permettra de lisser dans le temps l'impact des variations de la dynamique des innovations thérapeutiques. L'innovation, ce sont de nouveaux médicaments, mais pas seulement. Ce sont aussi des organisations et des perspectives de recherche. J'ai annoncé, il y a plusieurs mois, l'investissement de 670 millions d'euros pour financer douze plateformes haut débit de séquençage du génome dans notre pays. Cela aussi, c'est de l'innovation. L'enjeu, c'est la médecine personnalisée, adaptée au capital humain de chacun.

Avec ce PLFSS, nous continuons de soutenir l'accès aux droits de tous. La protection universelle maladie, mise en place cette année, a d'ores et déjà apporté des simplifications tangibles pour de nombreux assurés. Elle sera renforcée, toujours pour protéger des ruptures de droits ceux qui changent de situation. Cette année, il s'agira de se concentrer sur ceux qui changent souvent de situation professionnelle. Nous souhaitons notamment éviter les changements de régime pour les travailleurs saisonniers.

Je m'arrête un instant sur le soutien à l'accès aux soins, l'un des fils conducteurs de la politique de santé que je mène depuis 2012. En 2015, pour la quatrième année consécutive, la part des dépenses de santé restant à la charge des ménages a diminué : alors que 9,3 % des dépenses de santé restaient à leur charge en 2011, cette part s'établit, en 2015, selon la commission des comptes de la santé, à 8,4 %, niveau historiquement bas. Quant au tiers payant, il s'installe dans notre paysage, mois après mois, à bas bruit, comme en témoignent les statistiques.

En 2017, une étape supplémentaire va être franchie, à travers un ambitieux plan pour l'accessibilité des soins dentaires, qui s'impose compte tenu des difficultés que rencontrent certains de nos concitoyens pour bénéficier notamment de soins prothétiques adaptés. Il s'agit de réduire le coût restant à la charge des patients en proposant de revaloriser certains soins conservateurs, en échange de la maîtrise des coûts des prothèses, qui doivent être plafonnés. Ce plan passe par un réinvestissement important, pluriannuel, de l'assurance maladie obligatoire dans ce domaine, car il s'agit, non seulement de faire baisser les prix, mais aussi de faire en sorte que les remboursements de l'assurance maladie augmentent. C'est un enjeu de santé publique. Des négociations sont actuellement engagées par l'assurance maladie avec les représentants de la profession. Si elles n'aboutissaient pas, le Gouvernement assumerait ses responsabilités par la voie réglementaire.

Parce que les efforts ont payé et que des résultats sont engrangés, il est normal d'accorder des moyens supplémentaires à notre système de santé. C'est la raison pour laquelle le taux de progression de l'objectif national des dépenses d'assurance maladie (ONDAM) a été relevé à 2,1 % pour l'année 2017. Cela reste un objectif très exigeant, l'un des plus bas que nous ayons connus, et il suppose, pour être tenu, un niveau d'économies élevé – plus de 4 milliards d'euros. Néanmoins, il nous permet de financer des mesures reconnaissant l'engagement des professionnels de santé et leur mobilisation dans la poursuite des réformes de structure, sans lesquels ces résultats financiers n'auraient pu être atteints. Pour la quatrième année consécutive, l'ONDAM de ville est supérieur à l'ONDAM hospitalier, signe de la mise en oeuvre effective du virage ambulatoire. Après la convention médicale et les revalorisations de tarifs prévues, ce taux de progression de 2,1 % consacre un choix politique structurel du Gouvernement, et traduit concrètement la reconnaissance du rôle et de la place des médecins libéraux.

Ce PLFSS mobilise aussi des moyens nouveaux pour l'hôpital. L'ONDAM hospitalier progressera de 2 %. Ces moyens supplémentaires viendront accompagner les réformes majeures engagées avec la mise en place des groupements hospitaliers de territoire (GHT). Ils viennent marquer la reconnaissance du travail, souvent difficile, de la communauté hospitalière, à travers la revalorisation du point d'indice, les augmentations salariales des infirmiers et des soignants de catégorie C, qui vont de 250 à 500 euros par an, et la poursuite de l'investissement hospitalier, avec un premier engagement, en 2017, de 252 millions d'euros. Les professionnels de santé se sont engagés, et nous marquons ainsi un juste retour de cet effort en leur direction.

Mesdames, messieurs les députés, en cinq ans – lorsque s'achèvera l'application du PLFSS dont nous discutons –, nous aurons remis à flot la sécurité sociale. Elle peut désormais progresser dans un climat de confiance, parce que nous n'avons pas fait payer le redressement des comptes sociaux aux patients ni aux professionnels de santé ; nous l'avons gagné par la réforme et par un engagement collectif. Je souhaite que nos débats nous permettent d'amplifier cette dynamique et de renforcer encore la confiance des Français.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion