À l'occasion des sommets de la Terre, notamment celui de Nagoya, la France s'est engagée à stopper le déclin de la biodiversité. Il est en effet essentiel de protéger celle-ci, et la mobilisation de l'emploi peut aider à respecter ces engagements. La biodiversité peut en effet contribuer à la lutte contre le chômage. Or, en la matière, malgré la récente loi sur la biodiversité, le constat est affligeant : adoptée le 20 juillet 2016, elle n'a fait que les derniers titres de l'actualité, devancée par l'aménagement des voies sur berge et le Tour de France.
Le déclin de la biodiversité est pourtant plus grave que prévu. Les rapports de l'Union internationale pour la conservation de la nature confirment l'hémorragie. La semaine dernière, en association avec le Muséum national d'histoire naturelle, l'Office national de la chasse et de la faune sauvage et la Ligue pour la protection des oiseaux, elle a encore fait le constat de ce déclin, qui se mesure à travers la situation des oiseaux : sur 284 espèces nicheuses, 92 – soit un tiers – figurent désormais sur une liste rouge. Or leur condition est un indicateur de l'état plus général de la biodiversité. Quand l'oiseau est présent, l'ensemble du vivant l'est également.
Grâce à un état des lieux réalisé avec l'Atelier technique des espaces naturels (ATEN), nous avons pu distinguer deux cercles d'emplois spécifiquement dédiés à la nature et à la biodiversité : d'abord, les vingt-sept métiers directement liés à la préservation de la biodiversité, tels les chargés d'études, les gestionnaires d'espace, les gardes natures et les juristes, pour un total de 22 000 emplois, auxquels s'ajoutent 6 000 emplois dans l'enseignement supérieur ; ensuite, quinze métiers exploitant et valorisant les connaissances liées à la biodiversité, et contribuant à sa préservation, comme les techniciens agricoles ou forestiers, les bureaux d'étude, les animateurs nature, pour un total de 48 000. Globalement, il s'agit donc de quarante-deux métiers et de 76 000 emplois.
Nous comptons également 30 000 agents chargés des espaces verts, 73 000 conseillers agricoles, potentiellement engagés dans la lutte pour la biodiversité, et 91 000 emplois des entreprises du paysage. Ainsi, nous arrivons à 200 000 emplois concernés. Entre emplois liés, directement ou indirectement à la biodiversité, et emplois potentiellement concernés par elle, le total s'élève donc à près de 300 000 emplois.
Certes, on ne peut faire le compte avec précision des emplois liés à la biodiversité ni prétendre que telle action créera automatiquement un nombre déterminé d'emplois. Le rôle du CESE est plutôt d'analyser et de formuler des recommandations. On voit bien, toutefois, que les métiers d'intégration représentent un potentiel colossal. Prenons l'exemple des toitures végétalisées, dont l'élaboration associe un couvreur et un botaniste, ou du biomimétisme, activités qui sont en plein développement.
Le budget de la biodiversité s'élève à 2 milliards d'euros. Parent pauvre, la connaissance n'en récolte que 1,3 %, soit 21 millions d'euros, qui vont au Muséum d'histoire naturelle, vaisseau amiral de la connaissance de la biodiversité. Les financeurs se répartissent comme suit : les collectivités territoriales à 46 %, l'État à 18 %, les agences de l'eau à 11 %, les entreprises à 17 %, l'Union européenne à 4 % – ce qui me semble étonnamment peu – et les ménages à 4 %.
Notre premier constat est que les métiers de la biodiversité sont mal identifiés. Ils ne sont pas présents en tant que tels dans les formations, dans les référentiels ou dans les accords de branche, mais sont plutôt dispersés dans la catégorie plus vaste des métiers verts. Il n'existe pas non plus de référentiel européen commun. Ainsi règne une certaine confusion.
Comment développer ces emplois ? Nos trente recommandations s'ordonnent autour de trois axes. Il convient de poursuivre l'identification et la structuration de ces emplois, l'Agence française pour la biodiversité (AFB) pouvant établir cette cartographie, car l'ATEN sera intégré à cette agence. Les régions ont aussi un rôle essentiel à jouer à travers leurs stratégies de développement durable et d'innovation.
Le deuxième axe est de développer les compétences et connaissances nécessaires. Il faut impérativement des recrutements dans la recherche publique. Le président de la Fondation pour la recherche sur la biodiversité – organisme regroupant des institutions publiques de recherche, telles que l'Institut national de la recherche agronomique (INRA) ou le Muséum – a constaté un déficit. Il n'est pas possible de relever les défis qui se posent à nous sans se doter de moyens techniques et en ressources humaines.
Enfin, la formation continue en biodiversité est indispensable, en y intégrant les associations. Nous avons également constaté un déficit de l'accès des femmes à ces métiers.
Pour conclure, nous recommandons de promouvoir les emplois de la biodiversité, notamment dans le secteur agricole, car les 91 000 conseillers agricoles représentent un formidable potentiel. Il faut aussi intégrer la biodiversité dans la formation initiale des architectes et des urbanistes, ou encore la valoriser dans le secteur touristique.
Notre avis a été adopté par 166 voix et n'a recueilli que 9 voix contre. Ces voix sont celles des représentants au CESE de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA). En mon nom personnel, je regrette vivement leur position. J'ai appris qu'ils prenaient ainsi en otage la loi sur la biodiversité, qui n'avait pas eu l'heur de leur plaire. C'est dommage. Avec les représentants de la FNSEA siégeant dans notre section, nous avons cependant beaucoup travaillé sur le sujet.