Je vous parlerai quant à moi de notre avis sur la justice climatique, dont Agnès Michelot, juriste, fut la cheville ouvrière.
Certes, l'accord de Paris sur le climat a été un succès, mais il ne faudrait pas que se creuse un fossé entre ce qu'il faudrait faire et ce vers quoi l'on va. On reconnaît déjà que, en 2030, les émissions de gaz à effet de serre excéderont de 40 % ce qu'il faudrait. Nous allons ainsi vers un réchauffement de la planète compris entre 3 °C et 3,5 °C. Même si l'on réussit à contenir ce réchauffement à 2 °C, les conséquences s'en feront sentir.
Les pays les plus vulnérables sont ceux qui émettent le moins de gaz à effet de serre : l'Afrique, les régions côtières de l'océan Pacifique et de l'océan Indien. Mais, parmi les populations les plus vulnérables, nous trouvons les populations pauvres des pays riches, comme l'ont montré chez nous la catastrophe de La Faute-sur-mer et la canicule de 2003. En termes de revenus, leurs victimes se répartissaient de manière bien éloignée de la moyenne nationale.
Dans ce contexte, quelles mesures peut-on prendre pour éviter que le réchauffement climatique n'aggrave les inégalités ? Une hausse comprise entre 3 °C et 3,5 °C se traduirait par des canicules deux fois plus importantes que celle de 2003. Le déficit en précipitations accroîtrait l'assèchement et l'évaporation, ce qui aurait des conséquences sur le pourtour méditerranéen, et partant sur le rythme d'arrivée des réfugiés climatiques. Sont aussi affectés l'emploi, l'agriculture, le tourisme, les ressources en eau.
Nos recommandations reposent sur l'idée que la justice climatique est une stratégie de lutte contre les changements climatiques adossée à des principes et à des objectifs de justice climatique. Elles s'appuient sur des principes de droit de l'environnement et des principes économiques de sécurisation de l'accès aux ressources élémentaires, de concurrence équitable, de justice sociale et d'égalité entre les hommes et les femmes.
Notre avis est animé par une ambition territoriale au-delà de la métropole, car les territoires ultramarins peuvent être eux aussi extrêmement sensibles au réchauffement climatique.
Nous rappelons également les engagements internationaux de la France. Sur ce volet, nous préconisons que notre pays désigne un représentant spécial pour la sûreté climatique, et défende, à la COP22, le statut de réfugié climatique. Nous voulons aussi définir l'investissement international en y intégrant la justice climatique avec des mécanismes de contrôle et de suivi en concertation avec la communauté locale. Les investissements internationaux ne doivent pas s'exonérer des règles de la justice climatique, mais peuvent au contraire lui servir de levier.
Dans le domaine de la recherche, nous sommes à l'aube du développement de services climatiques, capables, sur le modèle des services météorologiques, de mettre, à la disposition de tous, des projections à moyen et à long terme du changement climatique. La France est bien présente dans le développement de ces services, qui méritent simplement d'être soutenus.
Nombre d'études portent sur le lien entre la pauvreté et le changement climatique. Elles ont souvent été conduites par des Français, tel Stéphane Hallegate, à la Banque mondiale, mais peu portent sur notre pays. Les régions pourraient se pencher sur les trajectoires de vulnérabilité des territoires les plus exposés, en particulier outre-mer.
Une autre catégorie de nos recommandations porte sur l'intégration des inégalités climatiques dans les politiques publiques. Nous disposons déjà d'un outil, grâce à la mise en place du plan national d'adaptation au changement climatique (PNACC), qui va être rediscuté dans une nouvelle phase. Il est important que la notion de justice climatique y soit inscrite, voire qu'elle en soit la colonne vertébrale. Nous recommandons que le PNACC prévoie une évaluation des mesures prises pour lutter contre le changement climatique, en prenant particulièrement en compte leurs effets sur les 20 % de personnes les plus pauvres.
Les programmes d'investissement doivent eux aussi être évalués, non seulement en fonction des conséquences globales, mais aussi de leurs effets sur différentes catégories de population. Il convient de développer des politiques assurantielles adaptées. Le Fonds de prévention des risques naturels majeurs doit favoriser les démarches de prévention.
À l'échelle régionale, il convient d'opter pour des modèles de développement respectueux de la justice climatique. Pour cela, le PNACC devrait, dans une perspective d'aménagement du territoire, être élaboré en concertation et en symbiose avec les collectivités, puisque les conséquences du réchauffement climatique ne sont pas les mêmes dans les Alpes ou sur les régions côtières de la France. À cet égard, le travail d'Hervé Le Treut, en Aquitaine, est tout à fait remarquable.
Il faut encore un soutien à l'innovation technologique et sociale, ainsi que des politiques sociales engagées tenant compte de ces aspects climatiques. La santé est aussi au coeur des problèmes, d'où notre souhait d'inscrire les objectifs de réduction des inégalités environnementales dans les plans régionaux de santé, qui doivent intégrer la dimension climatique. La justice climatique passe aussi, dans le monde du travail, par l'anticipation grâce à des instruments d'investissement adaptés, par l'association des salariés aux réflexions stratégiques et par le soutien aux entreprises fondant leur business model sur la lutte contre le réchauffement climatique.
Ces recommandations sont très simples et se déclinent aux niveaux international, national et régional – puisque, nous le rappelons, les territoires ultramarins sont particulièrement vulnérables. La recherche doit assurer la prise en charge des aspects transversaux de la question, notamment pour mieux évaluer l'impact du changement climatique sur l'emploi, ce qui n'est pas fait aujourd'hui.