Si, en France, la prise de conscience en matière de dérèglement climatique existe bien – notre pays a été admirable en portant la COP21 –, nous sommes un peu en retrait en matière de biodiversité. Pourquoi un tel décalage, me demandez-vous ? C'est que, même si l'on confond parfois météorologie et climat, la question climatique offre une lisibilité des événements avec, par exemple, la multiplication des sécheresses ou des inondations, et que des réponses sont apportées par le citoyen et l'État – économies d'énergie, isolation des bâtiments, covoiturage, lutte contre les gaz à effet de serre… S'agissant du climat, les problèmes sont donc identifiés, et des solutions sont mises en place. Ce n'est pas le cas pour la biodiversité. Le fait que l'outarde canepetière, le vison d'Europe, ou la tortue d'Hermann disparaissent nous laisse complètement indifférents. Même si nous n'en savons rien, nous croyons que nous pouvons parfaitement vivre sans ces espèces. Nous n'identifions donc pas vraiment les problèmes, et nous n'avons pas davantage de réponses pour sauver la biodiversité.
Je rends souvent hommage à Jean Jouzel, qui s'attache à ce que la biodiversité ne soit pas exclue de la grande réflexion sur le climat. Lors de la COP21, la France a considéré que la question du climat ne pouvait pas être traitée sans intégrer celle de la biodiversité.
Des questions ont été posées sur l'Agence française pour la biodiversité. Nous sommes, pour l'instant, dans l'incapacité de vous répondre. Nous devons prochainement rencontrer le préfigurateur. À ce stade, nous savons que cette agence disposera d'argent – même si nous ne savons pas d'où il vient –, et que son action se déclinera au travers de celle des agences régionales pour la biodiversité. Certaines des structures existantes, comme l'Écopôle de la région Centre, deviendront peut-être des agences régionales ; d'autres, comme Natureparif, pour l'Île-de-France, garderont leur forme actuelle. À titre personnel, je regrette la grande disparité que l'on peut constater entre les agences régionales – elle résulte souvent de la volonté d'intégrer toutes les sensibilités présentes. À mon sens, l'État devrait établir un cadre afin d'éviter que chaque entité ne se laisse finalement aller à préférer l'inaction. La création de ces agences générera en tout cas un dialogue entre l'État et les régions, ce qui favorisera l'usage rationnel des budgets.
Nous avons aussi été interrogés sur la façon dont il serait possible de s'abstraire des lobbies. Je crains qu'il ne nous revienne pas de vous donner des conseils en la matière, même s'il est vrai que des pressions s'exercent aussi dans la « cathédrale du dialogue » qu'est le CESE. Vous vivez avec les lobbies au quotidien ; vous êtes mieux à même que nous d'expliquer leur existence. J'ai le sentiment qu'ils sont motivés par une peur souvent légitime. Nous nous livrons par exemple à des parties de bras de fer avec les agriculteurs ou avec les chasseurs, malgré notre volonté de faire de la pédagogie, démarche fréquemment vouée à l'échec. Je peux comprendre que les chasseurs aient peur lorsque nous nous battons pour faire cesser le braconnage des ortolans, ou pour imposer le respect des règles relatives à la protection de certaines espèces fragiles. Ils réagissent en affirmant : « Après cela, ils voudront tout nous interdire ! » Les agriculteurs, qui étouffent déjà sous les contraintes et subissent des sanctions dramatiques sur le plan économique, peuvent avoir peur que l'Europe n'en rajoute sur le terrain environnemental. Pour mettre fin à la peur, il est nécessaire d'instaurer un dialogue et de restaurer une confiance mutuelle. À la fin du Grenelle de l'environnement, Jean-Louis Borloo nous incitait à préserver « la magie du Grenelle » ; je crains qu'elle ne se soit estompée parce que nous avons tous eu peur.
Je tiens à préciser que certains membres de la FNSEA ont voté en faveur de l'avis relatif à la contribution des emplois de la biodiversité à la transition écologique.
En Afrique, même si, globalement, elle ne donne pas de résultat, la Grande Muraille verte constitue une initiative admirable, car les questions de climat et de biodiversité ne peuvent pas être abordées dans le seul périmètre de nos propres territoires. Il faut certes les prendre pleinement en compte, mais une vision mondiale est indispensable. En la matière, il n'y a pas de frontières. Le projet pâtit en particulier d'un manque de moyens, et de la situation d'une zone confrontée à des conflits multiples, mais, localement, par exemple au Sénégal, les initiatives prises génèrent une réelle forme de solidarité entre les peuples. Sur le terrain, ils se disent que l'on flirte avec le possible, et cela vaut également au niveau de la coopération. En tout cas, l'idée est belle, à l'instar de celle de Jean-Louis Borloo de fournir de l'électricité à l'Afrique.
Monsieur Jacques Kossowski, comment passons-nous de 76 000 emplois cités dans l'avis du CESE, aux 300 000 emplois que j'ai évoqués dans mon propos liminaire ? Le premier chiffre ne prend en compte que les emplois directs, contrairement au second qui comptabilise aussi les très nombreux emplois indirects, comme ceux des conseillers agricoles, ou ceux créés dans les métiers du paysage. Sachez que ce chiffre de 300 000 emplois est inférieur à celui avancé par le ministère de l'écologie !